Témoignages. Réforme des retraites : des Normands partagés entre colère, incompréhension et résignation

Publié le Écrit par Christophe Meunier

Au lendemain de l'annonce du recours au 49.3 pour faire passer la réforme des retraites, une de nos équipes s'est rendue sur un marché de Rouen à la rencontre des habitants, partagés entre colère, incompréhension et parfois résignation.

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On dit parfois qu'il faut faire les marchés pour prendre le pouls d'une population. Les politiques en campagne en arpentent les allées pour glaner des voix. Puis reviennent, de temps à autres, une fois élus, pour prendre la température comme on plonge un orteil dans l'eau. Ce vendredi matin, à Rouen, l'ambiance est raccord avec le ciel, toute en nuances de gris. 

"On est mal barré", déplore Jean-Jacques derrière son étal, "Si ça continue comme ça, ça va être comme une guerre malheureusement. Ils commencent à mettre le feu dans tous les coins." La veille, quelques heures après l'annonce du recours au 49.3 pour faire passer la réforme des retraites, des manifestations spontanées ont eu lieu un peu partout dans la région comme dans le reste du pays.

Certains y ont exprimé avec véhémence leur colère. "J'ai trouvé que ce n'était pas une bonne décision. On voit bien que ça ne va pas plaire aux gens", raconte timidement Marie-Christine, qui soufflera ses soixante bougies dans quinze jours. "Je suis dans les personnes proches de la retraite et ça va nous faire du temps en plus pour au final, je pense, pas grand chose. Il y avait sûrement des économies à faire ailleurs."

"On n'a plus rien à dire, ils font ce qu'ils veulent"

Le 49.3, Sylvie, employée communale, a vraiment eu du mal à le digérer. Et au lendemain de l'annonce, ça ne passe toujours pas.  "Là, je viens d'avoir 60 ans. Ce qu'ils m'annoncent, c'est l'horreur. Le 49.3 : la démocratie, elle est où ? On n'a plus rien à dire, ils font ce qu'ils veulent. Ben non ! Faut pas lâcher ! Il faut continuer à aller dans la rue et pousser nos élus à se bouger un peu plus et à dire ce que nous, tous les gens qui ont voté pour eux, souhaitons."

Yvette, 83 ans, qui a longtemps fait le ménage dans les écoles, approuve et rappelle : "Nos parents et nous-mêmes, on a fait beaucoup d'actions pour diminuer l'âge de la retraite. Ce n'est pas acceptable que ça se passe comme ça."

J'ai 59 ans, je porte des poids de 20 kilos le matin, le midi, du mardi au dimanche. Je ne pourrai pas faire ça jusqu'à 64 ans.

Nathalie

à France 3 Normandie

Jusqu'à présent, Nathalie n'avait participé aux manifestations. "Mon mari, retraité, y assiste mais moi, c'est plus compliqué parce que je suis indépendante", raconte cette vendeuse de vêtements. Elle se dit inquiète pour ses enfants, ses petits-enfants. Mais aussi pour elle-même. "J'ai 59 ans, je porte des poids de 20 kilos le matin, le midi, du mardi au dimanche. Je ne pourrai pas faire ça jusqu'à 64 ans, c'est impossible. Il faut venir sur le terrain voir les métiers pénibles." Et d'assurer qu'elle battra à son tour le pavé si le gouvernement maintient sa position. "S'il le faut, bien évidemment que j'y serai !"

"Il y a d'autres solutions pour trouver l'argent"

A 62 ans, Claire vient donner un coup de main sur le marché "pour le plaisir". Cette mère de famille est longtemps restée à la maison pour s'occuper de ses enfants. "Mon mari était toujours parti en voyages à l'étranger pour le travail."

Pour autant, Claire ne vit pas dans une bulle. "Hier, je suis allée en ville et j'ai vu des hommes qui faisaient du marteau-piqueur toute la journée. Là, je me dis que (la retraite à 64 ans) ce n'est pas possible. J'ai une copine qui travaille en Ehpad. Elle est arrêtée. Elle a 55 ans. Elle ne peut plus soulever les gens. Mon patron maraîcher, il est encore plus jeune et il a mal au dos H-24. Il fait un travail de titan. La retraite à 64 ans ? Il y a d'autres solutions pour trouver l'argent."

Mais celles-ci ne semblent pas à l'ordre du jour. "Je suis inquiète pour la suite", confesse Claire, "Je ne sais pas ce qu'il va se passer dans la rue. Il (le président) ne veut pas entendre les syndicats, il ne veut pas les recevoir. S'il passe en force, ça ne va pas améliorer les choses. Et si les gens baissent les bras, c'est lui qui gagnera."

Est-ce qu'on est toujours en démocratie ? Là, j'ai l'impression que c'est bien acté qu'on n'y est plus. On voit bien la colère des gens et ça n'a aucun effet sur le gouvernement.

Thibault, maraîcher

à France 3 Normandie

Thibault, maraîcher, sent justement l'espoir l'abandonner. "Est-ce qu'on est toujours en démocratie ?", demande le jeune homme, "Là, j'ai l'impression que c'est bien acté qu'on n'y est plus. On voit bien la colère des gens et ça n'a aucun effet sur le gouvernement. Je ne sais ce qu'il faut faire pour se faire entendre dans ce pays. A priori, ça ne sert à rien de manifester. Donc qu'est-ce qu'il faut faire ? Est-ce qu'il faut passer un cran au-dessus pour se faire entendre ? C'est quand même un peu radical, non ? On n'est plus dans un régime démocratique. Ils ont envie de faire passer quelque chose, ils le font passer coûte que coûte, malgré la mobilisation des gens. Ça me décourage."

Un mur d'incompréhension

Dominique, lui, est déjà la retraite et observe cette actualité avec une certaine distance. La question de la pénibilité, estime-t-il, devrait être traitée au sein des entreprises, entre partenaires sociaux. Quant aux blocages, il les juge inefficaces. "Au final, on bloque Monsieur et Madame tout le monde. Le gouvernement, lui, il est un peu loin de tout ça. On immobilise les gens au lieu de faire bouger le gouvernement."

Quant au 49.3 : "J'ai bien du mal à comprendre, je suis devant un mur d'incompréhension. Le principe paraît tordu des deux côtés donc pour s'en sortir, ça ne va pas être facile. Je préfère être à ma place, à faire mon petit marché tranquille, que d'essayer de résoudre le problème.

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