Le rapport de l'ONG Générations Futures démontre que plus les riverains sont proches des vignes, plus ils sont exposés à une concentration de pesticides. À l'aide de ses études en Gironde, Générations Futures réclame la suppression des produits cancérogène trouvés dans l'air ainsi que d'agrandir la distance entre les habitations et les vignes traitées.
En découvrant le rapport de l’ONG Générations Futures sur les pesticides dans l’air dans le monde viticole, Jocelyne et Walter Acchiardi comprennent mieux pourquoi leur quotidien est perturbé depuis quelques années. "On n’imaginait pas ça en pleine nature. On a le sentiment d’être dans un endroit sain, mais non", déplore Jocelyne Acchiardi. Leur maison de Libourne se trouve à 5 m des premiers plants de vignes. Seul un petit chemin sépare leur clôture du champ voisin.
Générations Futures a installé un capteur chez eux afin de relever la quantité de molécules issues de produits phytosanitaires accumulée en 3 semaines. Le résultat est sans appel : ils sont surexposés à plusieurs pesticides et en particulier le Folpel, une substance suspectée cancérogène par l’Union européenne. Mais cette molécule n’est pas la seule et l’endroit n’est pas isolé.
Générations Futures a placé 6 capteurs dans des endroits différents de Gironde, placés plus ou moins loin des vignes. À l’aide de ses conclusions, l’ONG alerte sur l’exposition des riverains des zones viticoles et demande leur interdiction ainsi que l’extension de la limite d’épandage par rapport aux zones habitées. La viticulture est la plus grosse consommatrice de pesticides. En 2019, on retrouvait en moyenne 18 traitements pesticides par vigne.
Des distances d'épandage "insuffisantes"
"Sans surprise, plus on est proche des vignes, plus on relève une quantité importante de pesticides." Pour Cyril Giraud, représentant de Générations Futures à Bordeaux, la législation française ne protège pas assez la population. Selon lui, l’étude menée le prouve. Depuis 2020, le gouvernement force les viticulteurs à respecter une distance de 10 m entre leurs vignes traitées et les habitations. Mais cette distance peut cependant être à 5, voire 3 m avec l’utilisation d’un matériel spécifique censé réduire la diffusion dans l’air des pesticides. "Une fois la pulvérisation effectuée, on aperçoit des nuages dès qu’il y a du vent", relève Walter Acchiardi, inquiet.
"Actuellement, ces distances ne suffisent pas, milite Cyril Giraud. Ce n’est pas une dizaine de mètres qui va régler ça !" Pourtant, selon Jean-Samuel Eynard, président de la Fdsea de Gironde, ces distances sont très contraignantes pour les agriculteurs. "Pour moi, c’était trop compliqué à gérer donc je suis passé sur des produits à distance de sécurité 0 m, des produits homologué en bio ou en bio contrôle", explique-t-il.
C’est de plus en plus courant que des gens m’appellent pour me demander si c’est raisonnable d’acheter une maison près des vignes. On aimerait pouvoir vivre près des vignes sans se poser de questions.
Cyril Giraud, représentant de Générations Futures à Bordeaux
Pour mener son étude, Générations Futures a placé ses capteurs à différentes distances des vignes : 5 m, 10 m, 25 m, 50 m, 60 m et 515 m. Les orientations par rapport à la vigne varient également pour que le vent n'influence pas les résultats. Tous les capteurs ont révélé une présence de pesticides dans l’air, mais de manière inégalée. Celui placé au cœur d’un village à 515 m des premiers plants de vigne n’y fait pas exception. En France, 4 % de la population vit à moins de 200 m de vignes, soit 2,4 millions de personnes.
Au total, 21 168 ng de pesticides piégés pour les 5 capteurs placés par Générations Futures en 2021. "Un adulte qui respire 10 ng de pesticides dans l’air et qui fait 2 h d’exercice modéré dans la journée, il dépasse le seuil de pesticides ingéré qui est autorisé dans l’eau, par exemple", alerte le docteur Pierre-Michel Périnaud, médecin généraliste et président de l’association Alerte des médecins sur les pesticides, partenaire de Générations Futures.
Le danger de l'exposition aux populations vulnérables
Pour son étude, Générations Futures a également placé un de ses capteurs dans l’école maternelle de Gauriac, qui se situe à 50 m des vignes. Un mur sépare la cour d’école du champ, mais pourtant 8 pesticides différents y ont été recensés dont 86 % de Folpel. "L’école tourne le dos aux vignes et les vents dominants auraient tendance à éloigner les produits de l’école, pourtant on en trouve quand même dans l’école", constate le maire de Gauriac, Raymond Rodriguez.
L’édile s’inquiète pour la santé des enfants de sa commune : "Est-ce qu’il y a un danger pour les élèves de l’école ?" Pour Cyril Giraud, pas de doute, si les substances sont suspectées cancérigènes, "elles ne devraient pas être respirées par les enfants". "Nous avons choisi de placer un capteur dans une école, car les enfants sont des populations particulièrement à risque", explique le représentant de Générations Futures Bordeaux. Il en veut pour preuve l’étude épidémiologique Géocap-Agri menée par l’Inserm qui établit pour la première fois un lien entre l’exposition aux pesticides et le développement de certaines maladies.
Dans un rayon de 1 km, la proportion de leucémie augmente avec l’intensité de vigne.
Pierre-Marie Périnaud médecin généraliste et président de l'association Alerte des médecins sur les pesticides
"Avant, on ne cherchait pas donc on ne trouvait pas. Il n’y avait donc pas de problème. Maintenant qu’on le sait, il faut agir", s’alarme Raymond Rodriguez, le maire de Gauriac. Il demande aux pouvoirs publics des normes sur la quantité de pesticides dans l’air. Mais le problème semble plus profond pour Cyril Giraud. "Les enfants ne sont pas plus protégés chez eux s’ils vivent en milieu viticole. On retrouve même certains de ces pesticides dans le centre-ville de Bordeaux où il n’y a pas de vigne", assure-t-il.
Parmi les produits retrouvés, le Folpel est classé CMR 2 par l’Union européenne, un classement qui suspecte les produits d’être cancérogène, mutagène et reprotoxique. Ce fongicide est aussi suspecté de perturber le système endocrinien. "Je sais que le Folpel n’est pas très bien classé, mais pour l’instant, il est toujours autorisé", défend le président de la Fdsea Gironde, Jean-Samuel Eynard.
Des "cocktails de pesticides" dans l'air
Mais ce n’est pas la seule substance problématique relevée par Générations Futures. Certaines - présentes en faibles quantités - sont même déjà interdites depuis quelques années. "C’est ce qu’on appelle un "bruit de fond", les substances subsistent dans les sols du fait d’anciennes pulvérisations", explique Cyril Giraud. Pour Pierre-Marie Périnaud, ce n’est pas forcément le plus problématique pour la santé du fait des faibles quantités. "Le vrai danger, ce sont les cocktails de pesticides dans l’air exposés sur des populations à risque, insiste le médecin. Doit-on accepter que des populations, y compris les agriculteurs eux-mêmes, soient sujets à contracter des maladies du fait de leur exposition aux vignes ?"
Habitant à 5 m des vignes à Libourne, Jocelyne Acchiardi explique qu’elle développe des problèmes respiratoires depuis quelques années. Elle souffre de sa situation : "J’essaie de passer le moins de temps possible ici dans l’année, car je suis bloqué à l’intérieur." Walter et Jocelyne Acchiardi songent à présent à vendre leur maison de Libourne. Mais ils craignent que la présence de vignes, autrefois un atout, fasse à présent baisser son prix.
En France, nous n'avons pas d'outils comme un registre national sur le cancer et sur les malformations. Le seul existant est pour les maladies infantiles. Ce n'est qu'avec ces données que les chercheurs pourraient retracer les liens entre maladies et pesticides. Mais on dirait qu'on ne veut pas voir.
Cyril Giraud, représentant de Générations Futures à Bordeaux
Pourtant, il est difficile, voire impossible, de faire un lien entre une seule substance et l’apparition de maladie. "Avec ces cocktails de produits phytosanitaires dans l’air, les gens ne sont pas exposés qu’à une seule substance", souligne le docteur à la tête d'Alerte des médecins sur les pesticides. Un des capteurs de l’étude de Générations Futures présente tout de même des résultats plus encourageant que les autres. Ce n’est pourtant pas celui disposé le plus loin des vignes. Placé à 60 m, le capteur qui relève le moins de pesticides possède tout de même une particularité : la vigne y est cultivée en bio. Comme une évidence pour Générations Futures. "La seule solution, c’est l’agriculture biologique", assure Cyril Giraud.
Pierre-Marie Périnaud va dans son sens. "Je veux bien croire qu’il y ait des produits pires que d’autres, mais la réalité, c'est que les seules données toxicologiques qui existent proviennent des industriels eux-mêmes et ne sont pas publiques", pointe-t-il. Le médecin généraliste relève également que les études cancérigènes concernant ces produits phytosanitaires datent des années 1980, alors que les normes n’étaient absolument pas les mêmes qu’aujourd’hui. "Bayer provoque les malades et les soigne derrière. Ils n’ont aucun intérêt à ce que tout cela change", dénonce le représentant de Générations Futures, Cyril Giraud.
"On ne peut plus se cacher"
"La difficulté avec les personnes qui demandent l’interdiction de certains produits, c’est qu’on se retrouve en distorsion de concurrence avec les pays étrangers, y compris au sein de l’UE, répond Jean-Samuel Eynard, le président de la Fdsea de la Gironde. Il y a des matières actives qui sont homologuées en Europe et on a du mal à comprendre que dans certains pays comme la France il y ait des restrictions supplémentaires." C’est notamment pour pointer cela que les agriculteurs ont manifesté à Bordeaux le 17 février dernier.
C’est illusoire de penser qu’on peut se passer de ces produits surtout sur des productions comme la vigne, les tomates, les pommes de terre et l’arboriculture.
Jean-Samuel Eynard, vigneron et président de la Fdsea de Gironde
"On voit bien que les agriculteurs sont pieds et poings liés, car ils sont contraints de produire plus", avoue Pierre-Marie Périnaud. Pour le maire de Gauriac, Raymond Rodriguez, pas question non plus de jeter la pierre aux travailleurs agricoles : "Ils font leur boulot et utilisent des produits homologués, on ne peut pas les blâmer pour ça". "Ce qui est plus gênant, c’est que les autorités sanitaires à aucun moment ne peuvent nous dire quelle est la toxicité de ces produits", enchaîne le maire.
En 2019, Christiane Lambert, présidente de la Fnsea, affirmait "preuve à l’appui" qu’il n’y avait "pas de dérive des gouttes de produits phytosanitaires en bout de rampe". Pour Générations Futures, par manque de données, "on ne voulait pas voir". À présent, l’ONG réclame des mesures pour protéger les populations exposées aux pesticides de la viticulture. Le représentant bordelais, Cyril Giraud, l’assure : désormais, "on ne peut plus se cacher !"