10 juin 1944-10 juin 2024 : 79 ans que la barbarie absolue s’est abattue sur Oradour-sur-Glane, faisant 643 victimes, enfants, femmes et hommes. Comme toujours, l’émotion était grande dans le petit village haut-viennois, d’autant plus que le dernier survivant de la tragédie, Robert Hébras, est décédé en février dernier. Et, plus que jamais, se pose la question de la transmission du souvenir et de la mémoire.
"C’est émotionnellement chargé. Il n’est pas là, alors que traditionnellement, on célébrait avec lui les 643 victimes. Alors aujourd’hui, je pense à lui, tout particulièrement. " Quelques mots d’Agathe Hébras, la petite-fille de Robert Hébras, dernier survivant du massacre d’Oradour-sur-Glane, qui nous a quitté le 11 février dernier.
Agathe, dont cet inlassable passeur de mémoire, de souvenir, avait fait sa dépositaire, sa légataire, sa successeuse. Et pour qui l’émotion était intense, en ce 10 juin, le premier où l’on continuait à honorer la formule qui orne l’entrée des murs du village martyr, « Souviens-toi, Remember », sans son grand-père.
"Les derniers témoins ont disparu"
Si ce souhait n’est pas près, on l’espère, d’être oublié, se pose tout de même, 79 ans après, beaucoup de questions. Sans plus un seul témoin, sans plus un seul survivant, comment transmettre, comment faire perdurer, comment ne jamais oublier ?
Benoit Sadry, président de l'association nationale des familles des martyrs d’Oradour, se sent obligé par cette responsabilité. "Les derniers témoins ont disparus. On a eu la chance de les écouter, de pouvoir recueillir leurs témoignages, de façons vidéos, sonores ou écrites. Nous sommes détenteurs de ces pièces-là, à nous de les faire vivre !"
Présente lors de ces commémorations, Patricia Mirallès, secrétaire d'État chargée des Anciens Combattants, a exprimé la même volonté. " Robert Hébras a consacré toute sa vie à la mémoire d’Oradour. Il a fait quelque chose d’extraordinaire, que je veux tenter et que je vais faire : créer des passeurs de mémoires, exactement comme il a fait avec sa petite fille, Agathe. "
Garantir la mémoire
Mais au-delà du souvenir que nul ne veut voir s’effacer, le temps fait aussi son œuvre sur les murs, sur les pierres qui, derniers témoins et vestiges de cette abomination de l’être humain, subissent désormais d’autres outrages.
Presque dès le lendemain de ce funeste 10 juin 44 se sont posées les questions : que faire d’Oradour ? Comment préserver ces lieux ? Comment garantir leur mémoire ?
Nous ne laisserons pas mourir les pierres, pour que ceux qui viennent puissent se souvenir
Benoit Sadry, président de l'association nationale des familles des martyrs d’Oradour
De nombreuses pistes ont été proposées, discutées, remises en question. Faut-il tout ou partie préserver ? Faut-il laisser le temps faire son œuvre ? Faut-il sauver un peu, au risque de tout perdre ? Et surtout, puisque aujourd'hui, l’argent est plus important que la mémoire et le deuil, qui doit s’en occuper ?
La vieille église, si symbolique puisque lieu du supplice des femmes et des enfants, est depuis plusieurs mois en travaux. Non pas pour restaurer, mais pour nettoyer et consolider, pour qu’elle tienne, effroyable témoin, auquel on ne veut enlever pas un seul stigmate, pas une seule trace de balle, pas la moindre trace de l’infernal brasier qui s’y est déroulé.
Mécénat et vigilance
Et, sans apporter encore de réponse définitive, cette nouvelle, que l’on veut croire au moins bénéfique. Portée, voulue, par de nombreuses personnes, à Oradour comme en Limousin, une souscription, via la Fondation Nationale du Patrimoine, devrait être ouverte dans les prochains jours.
" Nous avions demandé à l’État de faire des efforts plus conséquents, mais nous avions aussi évoqué qu’éventuellement, nous pourrions faire appel au mécénat. Nous avons eu l’aval pour cette démarche, et nous savons que cette souscription va se lancer dans les prochains jours. " Philippe Lacroix, maire d'Oradour-sur-Glane. Comme un symbole, la ville de Strasbourg a fait part de son intention de participer à cette souscription, à hauteur de 15 000 €.
Reste que l’an prochain, le 10 juin, comme à Tulle la veille, le 9, on commémorera le quatre-vingtième anniversaire de cette horreur, de cette négation absolue de l’humanité, de cette barbarie. Comme à Tulle, des commémorations qui, ici en Limousin, prendront une signification toute particulière. Mais qui au niveau national, comme européen, risqueront de se « noyer » dans la masse : débarquement en Normandie, débarquement en Provence, libération d’une bonne partie des villes françaises, et tant d’autres souvenirs, joyeux ou atroce…
Il faudra donc être plus que jamais vigilant et, de Tulle comme d’Oradour, toujours et plus que jamais se souvenir. C’était le souhait de Robert Hébras. À lui, et à toutes les victimes, on le leur doit, cela nous oblige.