À peine la justice a-t-elle annulé le précédent permis d'exploration, qu'un nouveau vient d'être demandé par une société nommée Neometal. À Salau en Ariège, les opposants à la réouverture de la mine de tungstène ne baissent pas les armes.
C'est un énième rebondissement pour l'avenir de l'ancienne mine de tungstène de Salau. Dans ce hameau niché à 900 mètres d'altitude au cœur du Parc naturel régional des Pyrénées ariégeoises, les "pros" et les "antis" mine ont une nouvelle occasion de se déchirer.
En effet, une nouvelle demande de permis d'explorer vient d'être déposée par la société Neometal. "Nous avons ici la plus grande réserve d'Europe de tungstène" affirme un proche de ce dossier à la Tribune dimanche.
Une des plus grandes mines du monde
L'histoire débute en 1964, quand les scientifiques du BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières) découvrent du tungstène dans la falaise qui surplombe ce hameau de la commune de Couflens. Point de fusion élevé, grande conductivité électrique : la qualité industrielle du minerai ariégeois serait exceptionnelle.
En avril 1971, la France démarre donc à Salau l'exploitation de ce qui est encore aujourd'hui une des plus grandes mines de tungstène au monde.
Développement fulgurant
Près de 150 salariés extraient le tungstène que s'arrachent l'industrie de l'armement et le secteur de l'électricité. La mine fournit la moitié de la production nationale. Le hameau de Salau bénéficie alors d'un développement fulgurant. Des dizaines de logements sont construits et l’école réhabilitée.
Dumping chinois
1986 : fin de l'âge d'or. Après quinze ans d'exploitation seulement, la mine de Salau ferme brutalement. Le dumping chinois a fait chuter les cours. Les mobilisations syndicales restent vaines, et le départ des 250 habitants laisse un hameau sinistré.
2016 : un nouveau projet stratégique
30 ans après sa fermeture, la mine de Salau revient au cœur de l'actualité. Une entreprise à capitaux australiens, Variscan Mines, obtient auprès de l'Etat un permis de recherches exclusif. Comme l'explique Stéphane Bourg, le directeur de l'OFREMI (Observatoire Français des ressources minérales pour les filières industrielles), "le tungstène est devenu un métal stratégique pour ses applications hi-tech : semi-conducteurs, batteries, ou encore moteurs de fusée". Mais les chinois et russes contrôlent 90% du marché mondial.
Le tungstène est classé "minérai de conflit'". Produire en France nous éviterait d'enrichir des groupes en afrique suspectés d'alimenter les caisses du terrorisme
Stéphane Bourg, directeur de l'OFREMI
Contestation locale
Mais dans la montagne ariégeoise, les temps ont changé. On mise désormais sur l'écotourisme. Et les plaies du passé sont mal refermées : un territoire encore pollué par l'amiante contenue dans les déchets miniers. Et plusieurs anciens mineurs victimes d'asbestose, la maladie de la poussière d'amiante qui détruit les poumons. La contestation s'organise.
Saga judiciaire
La délivrance du permis "des Mines de Couflens" donne lieu à une guerre de tranchée de plusieurs années entre le camp de "pros" et celui des "antis". En justice, les associations alertent sur les risques de santé publique, les atteintes environnementales et critiquent le montage financier de l’opération.
- En 2019, le permis de recherches est annulé par le tribunal administratif de Toulouse
- Annulation confirmée en 2020 par la Cour administrative d'appel de Bordeaux
- Mais en 2022 le Conseil d'Etat annule l'annulation et renvoie le dossier devant la Cour de Bordeaux
- En février 2024, la Cour de Bordeaux invalide à nouveau le permis, sur des bases environnementales.
Un tel projet de recherches minières, au regard de sa nature et de son ampleur, est susceptible d'affecter de manière significative le site Natura 2000 de Couflens.
Cour administrative d'appel de Bordeaux - 20 février 2024
Le projet revient par la fenêtre
Mais ceux qui croyaient le dossier enterré se trompaient. Constatant la partie perdue, Michel Bonnemaison le promoteur du projet d'exploitation de la mine, décide... de relancer. Au premier jour de l'été 2024, l'ex-dirigeant de Variscan Mines a déposé une nouvelle demande de permis de recherche au ministère de l’Économie et des finances, cette fois au nom de Neometal, une autre entreprise dont il est également actionnaire aux côtés de Emmanuel Henry, propriétaire de la société récemment créée, Stibiotech Vendée, spécialisée dans l'exploration et l'extraction de minerais métalliques, Todd Hennis, patron de la société Gladstone, Selim Fendi, dirigeant d’Aurum Monaco spécialisé dans la production d'or ou encore l'homme d'affaires André Gauthier.
"La mine, c'est toujours non"
En face, l'association "Stop Mine Salau" reprend donc son bâton de pèlerin. "Nous refusons toujours les déchets" miniers, confirme l'adjoint au maire de Couflens Jacques Renoud. Également membre de l'association, il s'étonne de l'acharnement du promoteur, alors que selon lui "il ne resterait au fond de la mine que trois mille tonnes de tungstène", soit une année d'exploitation. Et l'élu croit savoir que la vérité est ailleurs.
En fait, ils se cachent derrière le tungstène. Mais ce qu'ils veulent, c'est l'or.
Jacques Renoud, adjoint au maire de Couflens, et membre de "Stop Mine Salau"
Les décideurs politiques s'interrogent
Le sous-sol pyrénéen contient en effet du métal précieux, et particulièrement là où on trouve... du tungstène. "L'extraction de l'or génère autant déchets toxiques notamment du cyanure qu'il faut stopper !" s'inquiète Jacques Renoud. "Un emploi qui tue, ce n'est pas un bon emploi"; pour l'adjoint au maire, en pensant notamment à l'amiante.
Le dossier est actuellement étudié par les élus régionaux, départementaux, et les maires concernés. Ils ont reçu son promoteur, demandé des compléments techniques, en tentant d'écarter les a priori. Vice-président de la Région Occitanie et président du Parc naturel régional des Pyrénées ariégeoises, Karim Chibli exprime ses "réserves et doutes à titre personnel", sur le modèle environnemental, sur la gouvernance. Mais ne s'interdit rien.
Il faut raison garder face à des opportunismes et des opportunistes. Mais nous devons aussi explorer les voies d'une plus grande souveraineté industrielle.
Karim Chibli, Vice-président de Région, président du Parc naturel régional
Le consortium candidat doit présenter son dossier dans les jours à venir. Après une nouvelle évaluation, c'est in fine le Gouvernement qui tranchera.