58 enfants surexposés à l'arsenic dans la vallée de l'Orbiel : quelle gravité ?

Selon un nouveau décompte de l'agence régionale de Santé Occitanie, 58 enfants de la vallée de l'Orbiel présentent des taux d'arsenic supérieurs à la moyenne, sur les 191 testés. L'ARS minimise les risques, mais chez les parents et les militants, l'inquiétude reste vive.

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Dans un nouveau communiqué, l'agence régionale de santé fait le point sur la surexposition à l'arsenic dans la vallée de l'Orbiel. 58 enfants présentent des taux d'arsenic supérieurs à 10µg par litre de créatinine dans leurs urines. 25 enfants dépistés positivement ont fait l'objet d'un second prélèvement, deux mois après, 5 d'entre eux présentaient encore des taux supérieurs à la moyenne.


Le Grézillou, source de contamination

Le 15 octobre 2018, l'Aude est frappée par de terribles inondations. Des orages énormes s'abattent en plusieurs endroits, sur la Montagne Noire notamment, et font déborder les cours d'eau. Pour le ruisseau du Grézillou, qui passe sur la commune de Lastours, s'ajoute une autre problématique : il descend directement des anciennes zones minières de la Montagne Noire et passe au pied d'un stock de plusieurs dizaines de milliers de tonnes d'arsenic pur, abandonné en plein air par les anciens gestionnaires de la mine: la verse de Nartau. Lors des inondations, la cour de l'école de Lastours est inondée par ce ruisseau.
 


La verse de Nartau: plusieurs milliers de tonnes d'arsenic pur stockés en plein air

En avril 2019, alors que le département panse encore ses plaies, Max Brail, le maire de Lastours fait réaliser des mesures d'arsenic dans la cour de l'école du village. Les résultats sont alarmants : en certains points, la concentration en arsenic est dix fois supérieure à la moyenne. Le maire décide alors de fermer l'accès à la cour et réalise quelques travaux, notamment pour décaisser la couche de terre polluée. Les parents d'élève découvrent pour la plupart cette pollution ancienne, liée au passé minier de la montagne noire, riche en minerais divers, et s'étonnent du silence des autorités, comme le résume leur représentante, Emeline Févotte :
 

On se rend compte que l'Etat a une part dans l'histoire et on attend qu'il soit un peu plus présent à nos côtés.

Certains parents d'élèves inquiets, décident alors de faire analyser l'urine de leurs enfants, et particulièrement la concentration en arsenic. Les premiers résultats tombent au mois de juin  : trois enfants d'une même famille, qui habitent la commune de Mas-Cabardès, présentent des taux d'arsenic supérieurs à la moyenne (donc supérieurs à 10µg/litre de créatinine). Deux d'entre eux sont scolarisés à l'école du village.
 

On a tiré la sonnette d'alarme. Cette fois, les responsables seront ceux qui ne prendront pas les bonnes décisions au niveau de la santé des enfants.

D'autres parents souhaitent entreprendre la même démarche. Le 19 juin, ils sont une vingtaine réunis pour une manifestation devant l'hôpital. Ils demandent à l'Etat de prendre en charge le coût des analyses. C'est la famille Morel qui a lancé l'alerte.


Devant cette inquiétude, l'agence régionale de santé propose finalement d'accompagner les parents d'enfants de 0 à 11 ans à travers un dispositif spécifique de suivi sanitaire assuré par le centre antipoison de l'hôpital Purpan à Toulouse. Les enfants doivent réaliser des analyses d'urines à deux mois d'intervalle. Car d'après l'ARS, une seule mesure ne permet pas de déterminer s'il y a eu surexposition. Pendant l'été, l'angoisse se propage dans la vallée de l'Orbiel. Les parents d'élèves de Conques-sur-Orbiel, dont l'école a été inondée le 15 octobre dernier, s'inquiètent à leur tour. 


Bataille d'experts

Le 30 août 2019, quatre médecins généralistes de la vallée de l'Orbiel prennent la parole à travers un communiqué, pour apaiser les inquiètudes.

Le communiqué de quatre médecins généralistes de la vallée de l'Orbiel

 

Selon nos constatations (...) aucun enfant n'a été intoxiqué à l'arsenic de manière aigüe ou chronique.

L'ARS est sur la même ligne : le seuil de 10µg d'arsenic par litre de créatinine n'est pas une norme de toxicité, mais une moyenne. 95% de la population française présente un taux inférieur, mais en fonction des personnes, des constitutions, des habitats et des modes de vie, certains peuvent présenter un taux supérieur. Xavier Crisnaire, le délégué départemental de l'agence régionale de santé se veut rassurant :
 

Le seuil de référence n'est pas un seuil de toxicité. Ce n'est pas un seuil prédictif de maladie.

Pourtant, à la rentrée scolaire, malgré le début du suivi sanitaire, les inquiétudes restent vives. Les parents d'élève de l'école de Conques manifestent pour réclamer le déménagement de l'école qu'ils estiment encore polluée, malgré les dénégations des autorités.

Un dicours rassurant des autorités... dont une partie des riverains se méfie. Le samedi 14 septembre, deux conférences sont organisées dans des villages de la vallée de l'Orbiel avec plusieurs spécialistes de la pollution, parmi lesquels Frédéric Ogé. Ce chercheur au CNRS et habitant de la vallée est aussi un militant de l'association locale "Les gratte-papiers", qui lutte depuis 10 ans autour des questions de pollution de la Montagne Noire.

Pour lui, le problème sanitaire est sous-évalué par l'ARS. Car les habitants de la vallée de l'Orbiel ne sont pas exposés qu'à l'arsenic. Les milliers de tonnes de déchets laissés par un siècle d'exploitation minière contiennent bien d'autres substances potentiellement dangereuses : bismuth, cadmium, manganèse, plomb ou antimoine. Pour Frédéric Ogé, le véritable problème sanitaire pour les populations est la poly-exposition :
 

C'est ce qu'on appelle l'effet cocktail. L'Etat nous dit que l'arsenic présente peu de danger. Mais quel effet quand il est associé à d'autre métaux lourds, comme le cadmium, ou le plomb ?

Autre intervenante lors de ces conférences, la sociologue du travail Annie Thébaud-Mony, spécialiste des maladies professionnelles. Connue pour son engagement dans le scandale de l'amiante, cette femme a aussi une expertise spécifique sur les mines de Salsigne puisqu'elle y a mené une étude sur la santé des travailleurs, quand le site était encore exploité. D'après elle, les effets de cette pollution se feront peut-être ressentir loin dans le temps :
 

Ces polluants peuvent avoir des effets sur la cellule, entraînant soit des mutations, soit des atteintes sur des régulations cellulaire et peuvent enclencher un processus de cancérogénèse.

 


Pas d'inquiétude à l'agence régionale de santé. L'étude de mortalité menée en 2007 n'avait, d'après eux,  pas montré de surmortalité dûe à des cancers. les associations demandent que de nouvelles études portant sur la mortalité, mais aussi la morbidité, soient menés dans la vallée de l'Orbiel.
 

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