Les zones Natura 2000 représentent 13 % du territoire national. Une décision du Conseil d’Etat de novembre 2021, impose au gouvernement français de mieux réglementer l'usage des pesticides dans ces zones. Les agriculteurs d'Occitanie s'inquiètent.
"C'est le plus gros dossier qu'on a vu passer à la FDSEA de l'Aude ces cinquante dernières années, c'est explosif !", assure Jean-Pierre Alaux, président départemental du syndicat agricole. Le 15 novembre 2021, le Conseil d'Etat rend une décision qui a pu passer inaperçue: elle oblige l'Etat à restreindre et interdire l'usage des pesticides en zone Natura 2000 dans un délai de six mois à compter du jugement.
Une plainte de France Nature Environnement
C'est une plainte de l'association France Nature Environnement qui est à l'origine de cette décision. Pour Olivier Gourbinot, juriste à FNE, cette décision est "une bonne nouvelle". "On sait que l'effondrement de la biodiversité est en grande partie liée à la chimie, aux produits utilisés par l'agriculture, notamment les pesticides," explique-t-il. "Le plan Ecophyto, destiné à inciter les agriculteurs à utiliser moins de produits, est un échec, malgré les millions d'euros de financement et d'incitations qui y ont été mis," continue le juriste. Qui cite l'augmentation de 23 % des ventes de ces produits entre 2019 et 2020 pour appuyer son propos.
La directive était transposée, mais pas appliquée.
Olivier Gourbinot, Juriste à France Nature Environnement
En 2009, le Parlement Européen adoptait une directive pour inciter les Etats membres à réduire l'utilisation de produits pesticides, plus particulièrement dans les aires à la biodiversité sensible, comme les zones Natura 2000. Une directive partiellement transposée dans la loi française en 2011.
Mais de façon insuffisante pour France Nature Environnement : "La directive était transposée, mais pas appliquée. Dès qu'il s'agit de limiter l'usage de pesticides, il y a de gros levers de boucliers de la part des agriculteurs. Donc le pouvoir créé des usines à gaz inapplicables. Un texte qui est à l'origine conforme à ce qu'on est en droit d'attendre en matière de protection de l'environnement devient inapplicable et inappliqué", explique Olivier Gourbinot. France Nature Environnement a donc demandé au gouvernement d'appliquer cette directive. Puis, devant l'inaction des ministères, a saisi le conseil d'Etat pour faire appliquer la directive.
Les zones NATURA 2000 au cœur de la décision du Conseil d'Etat
Issues d'une directive européenne de 1992, et prévues à l'origine pour l'an 2000, les zones Natura 2000 ne sont une réalité pérenne que depuis 2007 en France. Il y en a 1766 dans tout le pays et elles couvrent 13% du territoire terrestre métropolitain. Elles se caractérisent par une faune et/ou une flore spécifique et fragile. Les Etats membres de l'Union Européenne s'engagent à maintenir ou restaurer dans ces périmètres un état de conservation favorable pour certaines espèces ou pour certains habitats, afin de contribuer au maintien de la biodiversité.
"Dans l'Aude, les zones Natura 2000 représentent 40% du territoire. Et un tiers des surfaces agricoles. On va être un des départements de France les plus touchés par la décision du Conseil d'Etat," estime Jean-Pierre Alaux, le président départemental de la FDSEA, le principal syndicat agricole du pays.
Des agriculteurs inquiets sur le terrain
A 39 ans, Guillaumes Cigal est éleveur de poulet à Salles-sur-l'Hers, un petit village de la Piège. Ce pays de colline et de vent accueille de nombreuses exploitations, plutôt de petite taille comme celle de Guillaume. Qui, avec ses 300 poulets abattus chaque semaine et ses deux employés, ferait presque office de géant dans le coin !
Outre sa production de volailles, Guillaume Cigal cultive aussi 100 hectares de terres. Il y fait pousser des céréales pour nourrir ses bêtes; et espère bientôt y planter du soja, dont les protéines sont indispensables à son élevage, pour se libérer des importations. "Mon système de production est durable et local. Je cherche à privilégier les circuits courts, je souhaiterais être autonome en protéine végétale.. Alors certes, je ne suis pas en bio...", souffle l'agriculteur.
Et il s'inquiète : "Toute mon activité, mes champs, mes bâtiments agricoles, sont en zone Natura 2000. Si je ne peux plus me servir de produits phytosanitaires, il va falloir que je passe toute l'exploitation en agriculture biologique. Mais ca ne se fait pas comme ça, en six mois, sur un coup de tête. Et il y a beaucoup d'investissements à faire..."
Une crainte partagée par plusieurs représentants de la profession qui plaident leur cause auprès des autorités depuis plusieurs semaines. Denis Carretier, le président de la chambre régionale d'agriculture d'Occitanie s'avoue ainsi "extrêmement inquiet."
Et annonce que les agriculteurs vont "monter au créneau" pour se faire entendre : "On n'aurait jamais abouti à toutes ces zones Natura 2000 si on avait su que les règles allaient changer en cours de route !" Quelques membres de la FNSEA se sont d'ailleurs rendus le 14 décembre dernier devant le Conseil d'Etat exprimer leur mécontentement en brûlant des palettes.
Du côté de la Confédération Paysanne, pas de panique. Olivier Lozat, l'animateur du syndicat agricole dans l'Aude, se dit "plutôt favorable à des mesures environnementales qui tirent vers le haut."
France Nature Environnement aussi, par la voie d'Olivier Gourbinot se veut rassurant : "On peut faire une agriculture sans pesticide : il y a des sites où justement se sont développées des pratiques agroécologiques de grande qualité. Il faut arrêter de faire croire à tout le monde qu'on est obligés de faire une agriculture chimique, ce n'est pas le cas. Commençons déjà par limiter l'emploi des produits les plus dangereux. Les agriculteurs auront malgré tout du temps pour s'adapter, on va juste passer de l'incitatif à la contrainte."
Pas de calendrier officiel
Et l'expert de formuler un vœu : " Il faut des décisions intelligentes : il faut par exemple une règlementation nationale pour l'usage des pesticides dans ces zones. Et que les ministères ne refilent pas la patate chaude des négociations aux préfets départementaux qui risquent de céder à tous les clientélismes locaux."
Le calendrier fixé par le Conseil d'Etat ne penche pas dans ce sens : l'Etat doit faire des propositions avant le 15 mai. La France aura alors élu son Président. Mais les élections législatives ne sont qu'en juin, et on imagine mal un gouvernement de transition assumer des décisions potentiellement aussi clivantes.
Nous avons contacté le service presse du ministère de l'Agriculture pour avoir quelques éclaircissements sur le dossier et notamment son calendrier. Le service de presse nous a renvoyé vers l'allocution de rentrée de Julien Denormandie, le ministre de l'Agriculture dans laquelle il assure qu'il faut "avoir une approche pragmatique". Et dans laquelle il rappelle que le Conseil d'Etat n'interdit pas l'usage des pesticides en zone Natura 2000. Mais impossible d'avoir le moindre élément concret sur le calendrier des décisions.