A Saint-Hilaire, les inondations ont provoqué plus de deux millions d'euros de dégâts. 231 maisons ont été inondées de 10 cm à trois mètres ce qui représente 550 habitants impactés sur les 780 que compte le village. Un an après, de nombreux problèmes demeurent.
"Je suis née ici monsieur et je n'avais vu jamais ça". Suzanne Carbonell a 86 ans. La vieille dame habite une petite maison dans une rue étroite dans la partie ancienne du village de Saint-Hilaire, entre Carcassonne et Limoux, dans l'Aude. "J'ai eu de l'eau jusqu'à la fenêtre, j'ai sauvé mon chien en le montant sur la table de la cuisine. Il y avait des voitures qui flottaient dans la rue. Je ne suis pas bien depuis, cela ne vous arrange pas".
231 maisons inondées
Le 15 octobre 2018, les inondations dans l'Aude ont ravagé de nombreux villages. A Saint-Hilaire, 231 maisons ont été inondées de 10 cm à trois mètres ce qui représente 550 habitants impactés sur les 780 que compte le village. Ici, le Loquet, petite rivière si tranquille en temps normal, s'est transformée en une vague gigantesque et destructrice de 12 mètres de hauteur.
Les stigmates de cette nuit d'enfer sont encore bien visibles un an après. Ici, un vieux canapé à l'étage d'une maison sans toit. Là, de nombreux panneaux interdisent l'accès à des maisons ou immeubles : "interdiction de pénétrer dans cet immeuble. Danger !" peut-on lire. Des arrêtés municipaux sont affichés sur des portes comme celui-ci rue du pont "portant évacuation d'un bien à usage d'habitation présentant un danger grave pour les occupants".
Il faudrait détruire 23 maisons
Les règles édictées par la préfecture sont claires : une maison sans étage inondée par plus de 80 cm d'eau doit être détruite. Le niveau passe à deux mètres si elle a un étage. "Il faudrait détruire 23 maison", soupire Jean-Louis Carbonnel, maire de Saint-Hilaire. Il espère en sauver 11.
Un an après, Suzanne Carbonell attend toujours que l'on vienne réaliser les travaux : "ça traine. Au bout d'un an quand même, ils pourraient un peu se remuer".
Au bout d'un an quand même, ils pourraient un peu se remuer
Dans la maison voisine, Jamel Laroussi, 62 ans, vient de finir les peintures. Il accueille l'électricien qui est "débordé". Sa maison a été inondée par "50 bons centimètres. Un choc, vous vous levez vers 5h30. Il n'y a plus d’électricité dans l’escalier, tu vois rien et tu marches dans l’eau".
L'homme a dû vivre tout l'hiver sans chauffage. "On a un peu vécu comme des sans-abri. Il y avait un toit mais avec des bottes, vous vous allongez sur le canapé avec trois couvertures. C'est humide. Vous n’avez plus envie de rien. En janvier-février, j’étais sonné, moralement, physiquement, on a morflé quand même !"
J’étais sonné, moralement, physiquement, on a morflé quand même !
Il a fallu s'occuper des déclarations aux assurances. "Aujourd'hui, 80 % des maisons ont été réabilitées. 10 % des habitants sont encore dans l'incertitude",assure le maire. Un dossier de 240.000 euros vient d'être débloqué.
Tout le monde trouve le temps long
Tout le monde trouve le temps long."Il y a une grande attente de la population que le village reprenne vie, que les travaux s'engagent", explique Corinne Colomies, secrétaire de mairie. Les infrastructures communales ont aussi souffert. La bibliothèque et le foyer sont toujours fermés. La population n'a plus de lieu pour se retrouver.
La mairie a été également inondée, les ordinateurs noyés. Miracle, l'Etat civil, patrimoine de la commune datant de la Révolution a été sauvé. Avec sa collègue sécrétaire Florence Limouzy, Corinne Colomies a dû trouver refuge dans un premier temps dans le bureau de la directrice de l'école puis dans la salle de la garderie avant de s'installer fin décembre dans des algecos.
Une structure provisoire qui dure. "Les marchés publics sont très encadrés. Nous espérons enfin retrouver nos bureaux de la mairie à la fin de l'année. Mais je savais ce qui m'attendait". Corine Colomies a déjà connu pareille catastrophe en 1992 avec les inondations mortelles de Couiza et Rennes-les-bains, toujours dans l'Aude, une semaine après celles de Vaison-la-Romaine. "Je savais que ça allait être long".
Difficile de relever la tête. "Les gens sont déprimés," analyse Christelle Burlan, la pharmacienne du village. "Tout est très long. L'atmosphère ? C'est compliqué. Nous avons perdu des clients", renchérit Sylvie Canet, employée à la boulangerie. Certains locataires sinistrés ont quitté Saint-Hilaire et ne sont pas revenus. L'école a perdu une dizaine d'enfants et l'avenir de la 4ème classe est en suspens. Symbole de cette déprime : l'aire de jeu, installée le long du Loquet est toujours interdite d'utilisation.
2,40 mètres d'eau dans la cuverie
Le travail a repris et le village vit au rythme des vendanges. Pierre Bonnafoux a perdu un hectare de vigne. L'eau s'est engouffrée jusqu'à 2,40 m de hauteur dans la cuverie. Bilan : plus de 120.000 euros de perte. "On a mal à la tête mais ce n'est qu'un outil de travail. Ce n'est pas comme ceux qui ont perdu leur maison", analyse, philosophe, le viticulteur.
En cette fin septembre, la rivière est presque à sec. Difficile d'imaginer qu'il y a un an, c'était une vague de 12 mètres qui est passée par-dessus le pont. "Je ne veux pas entendre parler d'inondation mais de phénomène exceptionnel. On ne peut pas s'y préparer", prévient le maire. "La priorité est de sécuriser le village. Pour cela, il faut élargir le lit de la rivière". Les études sont lancées.
Peur de la météo
"Les gens ont peur dès qu'il y a une alerte météo. Il faut se mettre à leur place. Je suis sûr que certains ne dorment pas chez eux et quittent le village". Jamel Laroussi, sinistré, soupire: "Si cela arrivait une seconde fois, je ne sais pas si on aurait la force de faire les travaux. Dès que le ciel devient noir…. Il y a quand même un traumatisme. Les gens regardent plus la météo".
Sécuriser la rivière, c'est aussi espérer la réouverture de l'EHPAD. Une cinquantaine de résidents en forte perte d'autonomie avaient dû être évacués en extrême urgence. L'eau était montée jusqu'à 80 cm dans les chambres en pleine nuit. Un miracle, il n'y ait pas eu de victimes. Mais la structure médicale est le poumon économique de Saint Hilaire. "L'EHPAD est un projet de territoire avec l'ambition de créer aussi une maison médicale. Moi, si l’EHPAD n’est pas reconstruit, je démissionne. Le village est mort", prévient le maire. "Si on réhabilite l’EHPAD en le sécurisant, c’est 2 millions d’euros. Si on en construit un neuf, c’est 11 millions d’euros", Jean-louis Carbonnel milite pour une réabilitation du site existant.
Priorité : le retour de l'EHPAD
L'EHPAD employait 29 personnes et donnait du travail à la boulangerie (qui a perdu 30% de son chiffre d'affaires) et à la pharmacie. Autant dire que l'étude hydrologique diligentée par les services de l'Etat était attendue avec impatience et inquiétude. Les premiers résultats ont été communiqués fin septembre. "Des travaux en aval du Loquet, la rivière qui longe l'établissement, rendraient possible une mise en conformité", assure le maire. "Une crue centenaire n'aurait alors aucun impact sur l'EHPAD et une inondation exceptionelle de type octobre 2018 provoquerait une entrée d'eau de 20 à 30 cm, donc c'est jouable".
Une lueur d'espoir pour les habitants mais le chemin sera encore long. Le dossier est entre les mains de la Préfecture de l'Aude, de l'Agence régionale de la santé et du conseil départemental.Je suis persuadé que le village renaîtra
"Je suis persuadé que le village renaîtra. Il faut du courage, ne pas baisser les bras. Il faudra plusieurs années pour tout reconstruire. En 1992 (inondations de Couiza et Rennes les bains), on y est arrivés. Il faut du temps et de l’aide," est persuadée Corinne Colomies. Tout le monde ici salue l'immense solidarité dont les habitants ont profité après les inondations. "Les dons sont arrivés de partout. Comme cette petite fille de 4 ans, venue avec sa maman et un sac rempli de doudous pour ceux qui n'avaient plus rien", se souvient encore émue la secrétaire de mairie. 7000 repas avaient alors été servis aux bénévoles.
La solidarité aussi entre les habitants. "Tout le monde se parlait, les fenêtres des maisons étaient ouvertes. Le malheur unit, avant ce n'était pas ça", explique Jamel Laroussi, sinistré. "Je suis admirative du courage et de la dignité des sinistrés", tient à préciser Corinne Colomies.
Aller de l'avant
Des salariés s'affairent autour du pont pour conforter les soubassements. Il faut aller de l'avant. L'abbaye de saint-Hilaire qui a traversé dix siècles d'histoire veut participer au renouveau du village. L’association de l’abbaye de Saint-Hilaire en vallée du Loquet vient de voir le jour. "Nous venons de prendre en fermage deux vignes et une oliveraie. 25 personnes sont venues travailler pour préparer notre première récolte. Cela créer du lien social. Le vin sera vendu aux enchères aux Toques et clochés le lundi des rameaux, à Limoux. Le bénéfice servira à la restauration du cloître de l’abbaye. L'objectif est de créer une dynamique, augmenter le flux touristique dans le village", explique Philippe Gayzard, président de l'association. Une nouvelle place centrale du village est à l'étude au pied de l'abbaye. Elle devrait permettre d'y réunir les commerces.Saint-Hilaire a des projets. Jean-Louis Carbonnel se souviendra longtemps de son premier mandat de maire. "On ne se prépare pas. Il ne faut pas craquer par rapport aux gens parce que je ne suis pas super costaud, j’ai tenu le coup parce que j’étais entouré. Heureusement. Il ne faut pas baisser les bras". Pas découragé, en mars 2020, il proposera aux électeurs de poursuivre l'aventure. "J’ai posé la question l’autre jour en conseil municipal, je leur ai dit "est-ce qu’on a le droit de laisser le village dans cet état ?". Ils m’ont dit que non alors on repart".Il ne faut pas baisser les bras