Arsenic dans l’Aude : la commission d’enquête sénatoriale va rendre son rapport

Ce jeudi, les conclusions du rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur la pollution des sols seront dévoilées par sa rapportrice Gisèle Jourda, sénatrice de l’Aude. Les sénateurs y travaillent depuis février dernier.

« Il y a une loi sur l’air, une loi sur l’eau, mais pour l’instant, aucune règlementation ne protège les sols. J’espère que ce sera l’une des propositions de ce rapport. » Pour Frédéric Ogé, le moment est important. Ce chercheur du CNRS, désormais à la retraite, a consacré sa vie à recenser les sols pollués en France par les activités minières ou industrielles. Et à tenter d’alerter le grand public comme les élus des nombreux enjeux associés à la pollution des sols. Il fait partie des dizaines de personnes auditionnées par la commission d’enquête sénatoriale pour rédiger son rapport.

Depuis quelques années, Frédéric Ogé porte une attention particulière sur la situation de l’ancienne mine de Salsigne. Située sur les contreforts de la montagne Noire, au Nord de Carcassonne, elle a été exploitée entre la fin du XIX ème siècle et le début du XXIème. D’abord pour l’or, puis pour l’arsenic. Depuis sa fermeture en 2004, des associations dénoncent la pollution accumulée par des siècles d’exploitation minière.

Deux stockages de résidus pollués ont même été construits à grands frais, mais tout autour de ce qui a été la plus grande mine d’or d’Europe Occidentale, les terres sont durablement polluées par de nombreux métaux lourds notamment. « On parle de deux millions de tonnes de produits toxiques mélangés dans 15 millions de tonnes de terre. C’est un Tchernobyl chimique », pour Frédéric Ogé. Cadmium, antimoine, cyanure … : la liste des éléments retrouvés va bien au-delà du seul arsenic.

On parle de deux millions de tonnes de produits toxiques mélangés dans 15 millions de tonnes de terre. C’est un Tchernobyl chimique 

Frédéric Ogé, chercheur CNRS

Le 15 octobre 2018, l’Aude subit un épisode méditerranéen : des trombes d’eau s’abattent sur une partie du département, particulièrement sur la Montagne Noire. Les cours d’eau débordent et font des ravages : le département déplorera 15 décès cette nuit-là. Dès la semaine suivante, des riverains et des élus s’inquiètent des effets des inondations sur la pollution. Les associations redoutent que les précipitations n’aient fragilisés les stockages de déchets chimiques. Et qu’en lessivant les sols, un partie de la pollution ne soit transportée plus bas dans la vallée, par la rivière Orbiel, qui débouche dans le fleuve Aude sur la commune de Trèbes. La Préfecture publie alors un communiqué rassurant sur les niveaux d’arsenic mesurés dans les cours d’eau, assurant qu’ils ne sont guère plus élevés qu’habituellement.

En avril, Max Brail, le maire de Lastours, une petite commune de la Montagne Noire, pris d’un doute, fait intervenir une équipe de chercheurs indépendants sur le territoire de sa commune. L’équipe réalise des mesures de concentration d’arsenic dans le sol. Et les niveaux relevés dans la cour de l’école sont alarmants, bien supérieurs aux normes admises. Une cour qui avait été justement été inondée la nuit du 15 octobre par un petit ruisseau, à sec une partie de l’année, mais qui cette nuit-là s’était transformée en torrent de montagne. Le Grésillou, c’est le nom du cours d’eau, descend directement des anciens sites miniers…

Concentration d'arsenic

Les parents des enfants scolarisés à Lastours s’inquiètent, malgré le discours rassurant des différentes autorités (préfecture, agence régionale de Santé et Bureau de recherches géologiques et minières ) et demandent des analyses pour leurs enfants qui leur sont refusées. Ceux-ci s’organisent par eux-mêmes pour réaliser les premières analyses d’urines, qui révèlent qu’une partie des enfants présente bien des taux d’arsenic supérieurs à la moyenne. Devant la colère des parents, mais aussi des associations et des élus, la Préfecture de l’Aude et l’Agence Régionale de Santé finiront par proposer un protocole de suivi des enfants, qui est toujours en cours.

Sous la pression, la Préfecture de l’Aude met également en place à l’été 2019, une campagne de relevés sur différents sites recevant du public pour déterminer s’ils sont pollués : 25 lieux sont testés. 10 sont jugés problématiques (une aire de jeu à Mas-Cabardès, une aire de Pique-nique à Lastours, l’ancienne piscine de Conques-sur-Orbiel, un stade à Trèbes, des terrains de foot à Villalier, etc…) et sont fermés au public. La plupart le sont toujours aujourd’hui. Des jardins ouvriers à Conques-sur-Orbiel et à Trèbes sont aussi devenus incultivables et ont été abandonnés, trop proches de l’Orbiel.
 

Le sénat saisi du dossier

Depuis 2014, Gisèle Jourda est sénatrice de l’Aude. Cette socialiste est aussi première adjointe de la ville de Trèbes, touchée par la pollution à l’arsenic depuis les inondations de 2018. Il semble que l’été 2019 a constitué une prise de conscience pour cette élue. C’est elle qui a demandé la création d’une commission d’enquête parlementaire en janvier dernier. Lors de la réunion constitutive de la commission d’enquête le 19 février , elle expliquait : « La pollution des sols dans la vallée de l’Orbiel (…) est particulièrement parlante, c’est le dossier qui m’a amené à proposer la création de cette commission d’enquête. » Mais la commission d’enquête a élargi son champ d’investigation : le rapport n’évoquera donc pas les seuls sites miniers mais aussi les anciens sites industriels. En 2017, un rapport avait ainsi révélé que 1200 écoles françaises sont construites sur d’anciens sites potentiellement pollués. En revanche les éventuelles pollutions des sols liées à l’agriculture ne seront pas du tout évoquées dans le rapport.
Pour Frédéric Ogé, le chercheur du CNRS désormais à la retraite, et spécialiste de la question,  « en France, le recensement des pollutions des sols est globalement fait. Mais la disponibilité, la mise à jour et parfois la sincérité de ces informations doivent vraiment être améliorées. » En tous cas, les enjeux financiers de ce dossier sont considérables : « Il faut 150 000 euros pour dépolluer une station-service lorsqu’elle est abandonnée. Il y en a au moins 80 en France. La dépollution du terrain du Stade de France, avant sa construction, a coûté 30 millions d’euros. Les montants sont énormes et rédhibitoires pour les entreprises et les acteurs publics. »

Rapport non contraignant

Rien n’a filtré pour l’instant concernant les conclusions de la commission d’enquête. Seule certitude, le rapport ne sera pas contraignant mais fera de simples recommandations. Ni le gouvernement, ni l’assemblée Nationale ne seront obligés de les appliquer mais Frédéric Ogé veut malgré tout croire en son utilité : « La commission d’enquête et ses conclusions peuvent être utiles dans le rapport de force constant qui nous oppose aux diverses autorités, notamment locales. » Et quand on l’interroge sur un éventuel opportunisme de la sénatrice audoise, qui présente ce rapport à trois semaines des élections sénatoriales, il balaie : « au contraire, ce rapport pourrait être préjudiciable à sa réélection. Certains acteurs locaux, dont des élus, ne voulaient absolument pas de cette enquête. »

Faut-il y voir un signe de la nervosité autour de ce rapport ? En tous cas, il nous a été impossible de nous procurer le rapport en avance, même en respectant un embargo, comme nous pouvons pourtant parfois le faire pour d’autres sujets.
 
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