Dans le Gard, la référente de l'association "Victimes du Covid-19" se bat pour demander un hommage national aux victimes, trois mois après le décès de son père. Aux côtés d'autres proches de victimes décédées, elle demande également la tenue d'une marche blanche en septembre dans le département.
"Mon histoire est l'histoire de tant des gens qu'il faut qu'elle devienne une histoire commune." Véronique Jullian est meutrie. Son père, Lucien, est décédé le 24 avril au Centre de gérontologie Serre-Cavalier, à Nîmes (Gard). Il y était admis mi-décembre pour une fracture du col du fémur. "J'avais régulièrement mon père au téléphone depuis le 10 mars. Après le 12 avril, je n'ai plus eu de contacts avec lui, les infirmières disaient qu'il allait mais que je ne pouvais pas communiquer avec lui parce qu'il était en train de manger ou qu'il dormait..." Le 22 avril, une soignante lui annonce que son père a été testé positif au Covid-19 quatre jours plus tôt, mais que tout va bien. "Vous imaginez ma réaction... Je n'ai pas eu de contact avec le médecin, le chef de service, les infirmières ni avec mon père", nous déclare t-elle en ce mois d'août. Le 24, un médecin l'appelle "30 secondes" et lui dit "de manière abrupte" que Lucien est décédé, sans pouvoir en dire plus sur les causes, secret médical oblige."Sur le dossier médical, il y a un blanc du 17 au 24 avril"
Près de quatre mois après, Véronique Jullian n'a pas digéré. L'artiste, qui réside aux Pays-Bas, ne comprend toujours pas le décès de son père :
"Ce qui est extrêmement difficile est que je n'ai pas eu de contact avec mon père les dix derniers jours de sa vie. On était très proches, c'était fusionnel, on se parlait tous les jours, je m'occupais beaucoup de lui même en étant loin. D'un coup, c'est la coupure et il n'y a plus rien d'humain, on ne sait pas ce qui se passe, on ne sait pas le déroulement de la maladie, on ne sait pas qu'il a eu une nouvelle maladie, on n'est pas informés. Sur le dossier médical, il y a un blanc du 17 au 24 avril, je ne sais pas comment il est mort, ce qui s'est passé dans sa tête, s'il a souffert. Je n'ai pas pu lui parler. Ce lien coupé par l'administration publique, c'est inacceptable."
Elle souhaite qu'un hommage national soit rendu aux victimes du Covid-19. "C'est une évidence parce que quand on n'a pas pu faire son deuil, qu'on a perdu un parent si proche dans ces conditions, avoir un hommage qui permet de dire que toutes ces personnes âgées dans des Ehpad ou en gériatrie étaient là, sur le front, face à une guerre, sans masque, sans armes, seulement avec leur courage et leur coeur, et seuls... Le pays doit rendre hommage à ces héros qui se sont comportés comme des soldats, morts comme des victimes d'une guerre qui s'appelle le Covid-19. On ne peut pas laisser partir ces gens-là qui sont morts sans voir leur famille, sans pouvoir partager leurs dernières émotions, leur dernier soupir avec nous. Ils étaient seuls face à ce Covid."
"Pourquoi Monsieur Macron ne fait rien ?"
L'idée d'un hommage national est venue de Léocadie Mendez. Son père est décédé le 1er mai du Covid-19. Elle veut de la "reconnaissance" pour les victimes. "C'est important pour moi qu'une journée leur soit dédiée. Quand je vois qu'il y a une journée des lépreux, des marmottes, des ambulanciers... Pourquoi Monsieur Macron ne fait rien ? En Espagne et au Royaume-Uni, ils ont rendu hommage aux victimes. La France ne fait rien, on dirait qu'on veut cacher quelque chose", déplore-t-elle.
Léocadie Mendez s'est demmenée. La référente de l'association "Victimes du Covid-19 Gard" a d'abord pris contact avec le maire de sa commune, Calvisson, qui a accédé à sa demande : la participation à la création de quelque 500 flyers, qu'elle a distribués dans le Gard. Elle s'est invitée devant des églises ou la mairie de Nîmes, a diffusé la nouvelle à de nombreux villages du département, et a même envoyé des courriers au président de la République, Emmanuel Macron, à la présidente de la région Occitanie, Carole Delga, ainsi qu'à l'ensemble des maires du Gard. En plus de Delga, un seul maire lui a répondu : celui de La Calmette.
Elle espère également organiser une marche blanche en septembre. Les contours ne sont pas encore définis. Objectif : donner une visibilité aux morts du Covid-19. "Je veux que les victimes soient reconnues. On ne parle jamais des victimes. On ne peut pas faire notre deuil normalement, on n'a pas pu être près d'eux, on n'a pas pu leur dire au revoir, on est tous en colère. En lisant différents témoignages, je me suis retrouvée dans toutes ces familles. On ne veut pas qu'ils ne tombent dans l'oubli."
Au sein de l'association, la présidente a pris conscience que le décès de son père était loin d'être un cas isolé :
"Je pensais que ça n'arrivait qu'à moi. Quand j'ai vu ces témoignages, j'ai pleuré, j'ai réalisé que papa n'avait pas été seul à mourir de façon atroce, c'est la manière dont ils sont morts. Ils ont été sacrifiés en raison de leur âge, sans matériel respiratoire, dans d'atroces souffrances. On se comprend, on se soutient, ça nous permettra de nous réunir, de nous connaitre, notre fardeau sera moins lourd. On peut même réfléchir pour entamer des démarches juridiques."
"Notre société ne doit pas oublier le respect des anciens"
Un témoignage corroboré par Véronique Jullian : "Beaucoup de personnes âgées ont fait la guerre. De nouveau, c'était une guerre, au front. Ils n'étaient pas dans les tranchées, ils étaient dans leur lit seuls. Il faut leur rendre hommage, on n'avait rien contre eux, on les a laissés mourir seul, sans rien, sans humanité. Pas de masque, pas d'appareil respiratoire, pas de médicament, ils étaient dans les mêmes conditions qu'une guerre. Il ne faut pas oublier ces victimes, qu'on devrait plus protéger parce que ce sont des personnes âgées. Notre société ne doit pas oublier le respect des anciens."
Toutes deux se retrouvent dans cette quête de vérité et cette volonté de faire leur deuil. D'où l'hommage national et la marche : "Ce serait un moyen de réparation, de reconnaissance, pour compenser le manque d'humanité, d'organisation de ces établissements qui n'ont pas su gérer cette crise, qui n'ont pas su gérer le lien avec la famille, la fin de vie de ces personnes, qui les ont laissé mourir. Il faut prendre conscience et respecter le nom de ces personnes comme des victimes d'une guerre", conclut Véronique Jullian. "Ce serait un apaisement pour nous, on franchira nos colères et on pourra traverser nos étape de deuil. On ne demande pas grand-chose", exhorte Léocadie Mendez. Le combat pour la reconnaissance de leur père et des centaines d'autres victimes est loin d'être terminé.