Comment font les lycéens des filières professionnelles ou les apprentis pour suivre leurs cours à distance ? Le retard accumulé par certains en classe ou entreprise sera-t-il rattrapable ?
A la Chambre des Métiers de Haute-Garonne, l’heure n’est pas à l’abattement bien au contraire. « On est fier de nos équipes » s’enthousiasme la directrice générale. « Dès le vendredi suivant l’annonce des fermetures d'établissements, nos enseignants ainsi que notre service informatique ont mis en place notre plateforme d’enseignement à distance pour être opérationnels dès le mardi 17 mars » explique Valérie Lemaire.
Quels enseignements à distance ?
Il faut dire que la structure avait lancé une réflexion depuis un petit moment déjà avec notamment l’un de ses responsables de filière sensibilisé à ce sujet. Par exemple, dans le cas du pôle automobile du CFA de Muret, il est possible pour un élève de travailler sur une simulation de panne via la plateforme numérique Electude.
« Sur certaines filières industrielles ou de production, on avait des ressources » explique le doyen des inspecteurs de l’éducation nationale pour l’enseignement général et professionnel au rectorat. « Sur d’autres domaines les enseignants ont su faire preuve d’inventivité comme cette professeure de commerce du lycée professionnel Pardailhan d’Auch qui anime depuis un certain temps déjà une boutique éphémère avec ces élèves et qui communique désormais beaucoup avec eux via Twitter » relate Christophe Escartin.
Autre filière à s’être adaptée rapidement : celle de l’alimentaire. Les élèves de lycée pro comme de CFA s’y exercent désormais directement chez eux, dans leurs propres cuisines sur des tutos (tutoriels) souvent réalisés par les enseignants eux-mêmes. La Chambre des Métiers de Haute-Garonne l’assure : tous leurs enseignants sont actuellement mobilisés sur le numérique « y compris les vacataires ».
La crainte d’une fracture numérique
Côté lycées professionnels en revanche « rien n’était prêt » selon Agnès Bernadou du Snuep-Fsu Haute-Garonne. En filière pro comme en général, l’ENT a été saturé durant la première semaine avant de fonctionner réellement. « Et on a encore des élèves sous les radars, en zone rurale et en zone blanche notamment » reconnaît la syndicaliste.La FCPE relève également le fait que les parents d’élèves scolarisés en pro sont aussi souvent issus de milieux sociaux nettement moins favorisés et donc moins connectés ou équipés informatiquement. « Il faut parfois aller chercher les familles par porte à porte » relaie Muriel Paletou, présidente de la FCPE Haute-Garonne. La Fédération a d’ailleurs lancé un appel national à l’Association des Maires de France, aux départements et aux Régions pour les aider.
« Le risque d’une possible fracture numérique a été notre premier sujet de préoccupation » assure-t-on au rectorat. « Elle a été moindre que ce qui a pu être craint. Certains élèves ont pu travailler par tablette ou même smartphone, d’autres se sont faits prêter des ordinateurs par leur établissement. La Région a aussi mis à disposition des portables. Et pour les quelques familles encore non équipées, il y a une transmission de documents papier via La Poste » détaille Christophe Escartin.
Parmi les cours impossibles à enseigner à distance : ceux réalisés habituellement en atelier. « On peut penser que sur une formation de trois ans, ces deux mois ne devraient pas manquer à condition que l’élève ne soit pas en grosse difficulté » relativise Agnès Bernadou. Pour les formations en milieu professionnel, et leurs 21 semaines à valider en entreprise, des dérogations seront certainement accordées.
Pour les apprentis tout ou rien
Côté apprentis, c’est parfois tout ou rien. Ceux qui travaillaient dans l’alimentaire, type boulangerie, ou autres secteurs indispensables en période de confinement, ont actuellement plus de travail que jamais. « Ils rattraperont leurs cours généraux ou technologiques plus tard » rassure Valérie Lemaire.Pour d’autres en revanche, comme ceux du secteur du bâtiment ou de la construction, c’est souvent le chômage partiel. « Pour ceux-là, ils seront en entreprise cet été et pourront rattraper également leur apprentissage professionnel qu’ils n’ont pas actuellement » tempère encore la directrice générale de la Chambre des Métiers de Haute-Garonne.
Quoi qu’il en soit les 1200 apprentis du CFA haut-garonnais seront à nouveau tous contactés dès ce lundi pour être sûrs qu’aucun d’entre eux ne s’est perdu en route.
Quels Bacs pros à l’arrivée ?
« Pour l’heure nous n’avons aucune consigne. Elles pourraient arriver en fin de semaine » affirme Agnès Bernadou. Mais ce qui préoccupe le plus cette enseignante syndiquée, ce sont les BTS en alternance. « Ils étaient censés passer fin mars leurs épreuves orales d’après dossiers réalisées en entreprise. Leurs écrits ont lieu mi-mai. Et nous n’avons toujours pas de réponse les concernant ».
« Les épreuves seront différées. Nous sommes dans l’attente de mesures nationales » répond le rectorat. « Une ordonnance a été publiée en ce sens au Journal Officiel » précise Christophe Escartin.
Chez les parents d’élèves, l’inquiétude est également palpable. « Mon fils va passer le Bac cette année et il n’a pas pu faire ses huit semaines de stage en entreprise. Les Travaux Pratiques à raison de deux par semaine ne sont évidemment plus assurés. Ils manqueront forcément le jour de l’examen » détaille Jean-Pierre Guadamuro, trésorier de la FCPE du Gers.
« Pour les matières pratiques, un contrôle continu est réalisé sur l’ensemble du cycle. Nous pourrons nous appuyer sur ce contrôle continu si besoin » rassure Christophe Escartin pour le rectorat. « Il faut que le Ministre de l’Education fasse des annonces à la hauteur de la situation pour adapter les examens. Et ce à condition que la reprise des cours ne se fasse pas trop tard » espère Jean-Pierre Guadamuro.
Un enseignement à distance aussi bénéfique aux professionnels ?
Le directeur de la Chambre des Métiers de Haute-Garonne tire, lui, de cette crise un bienfait. « Le fait de virtualiser notre enseignement a permis un nouvel apprentissage : celui du numérique professionnel » explique Vincent Aguilera. En effet, si les jeunes sont souvent à l’aise sur les certaines applications mobiles pour dialoguer ou échanger entre eux, ils l’étaient beaucoup moins sur d’autres supports comme Google Drive, Zoom ou même Word.
Pour Vincent Aguilera l’enseignement à distance développé durant ce confinement pourrait même lui permettre d’agrandir les capacités d’accueil des CFA. Et les nouvelles techniques d’enseignement sont en mesure de bénéficier autant aux élèves qu’aux entreprises. « Elles pourraient accueillir demain des salariés formés à distance. Certaines pourraient même rattraper leur retard. Je pense aux commerces qui pourraient toucher de nouvelles clientèles ou développer leurs livraisons via des plateformes numériques communes ».