Souvenez-vous, c’était il y a 20 ans, à Toulouse. Le 21 septembre 2001, l’explosion au sein de l’usine AZF fait 31 morts et des milliers de blessés. Elève au lycée Gallieni, Arnaud est gravement blessé. De ce jour-là, il ne se souvient de rien. Il s'est réveillé un mois après. #20ansexplosionAZF
Ils sont ouvriers, professeurs, commerçants, à la retraite, médecins, pompiers, élus. Ils ont tous les âges. Ils sont Toulousains. Le 21 septembre 2001, à 10h17, ils ont vécu l'explosion d’AZF. "Impression de chaos". "C’était l’horreur, la guerre…" Tous ont été marqués, choqués. Qu'ils soient indemnes ou blessés, sinistrés ou dans le deuil. 20 ans plus tard, Arnaud s'est battu, aidé de sa famille, pour surmonter ses graves blessures et n'a pas de colère.
"Je ne me souviens de rien"
"Le 21 septembre, je ne l'ai pas vécu comme tout le monde", explique Arnaud, aujourd'hui agriculteur dans le Gers. "Car moi, je me suis réveillé un mois après. Je sortais du coma et je ne parlais pas. J'avais le côté droit paralysé. Je ne me souviens même pas du boom de l'explosion. Je ne me souviens de rien."
20 ans après l'explosion d'AZF, pour évoquer "son" 21 septembre 2001, Arnaud ne peut que s'appuyer sur le récit des autres. Sur ce qu'on lui a raconté. "Ce qui est sûr, c'est que j'étais au lycée, en cours de sport, et apparemment, je me suis pris le panneau de basket sur la tête. J'étais en avance sur l'horaire et en attendant que les autres élèves arrivent, je m'entraînais tout seul. C'est mon professeur de sport qui m'a emmené aux urgences, à Purpan."
J'avais un trou de la taille du poing dans la tête... J'ai eu aussi la rate éclatée.
De ses blessures, Arnaud garde aujourd'hui une plaque sur le crâne, et une cicatrice sur tout le ventre.
"J'ai vite compris que je ne pouvais pas parler"
Arnaud a passé un mois dans le coma. Son premier souvenir à son réveil ? Les étourneaux qui l'empêche de dormir. "Je ne pouvais pas parler mais j'ai fait un signe à mon père vers les oiseaux. J'avais conscience de mon état, j'ai vite compris que je ne pouvais pas parler et que je devais faire des gestes pour me faire comprendre."
Ensuite, le jeune homme doit suivre un programme de rééducation fonctionnelle. "C'est là que j'ai pris conscience que j'avais tout le côté droit paralysé." Mais Arnaud se sent soutenu. Reçoit de la visite de sa famille ou de ses amis tous les deux jours. "Le week-end, mes amis venaient me chercher pour m'amener en boîte comme tous les jeunes, quoi."
Ils ne m'ont pas lâché. Comme si j'étais normal et pas un jeune de 19 ans qui a eu un accident. Je ne sais pas comment ils faisaient pour me comprendre, mais avec des signes, on y arrivait.
Après le centre de rééducation, direction l'hôpital de Lectoure. "Là, j'ai eu un super kiné, il m'en a fait baver, c'est sûr, mais il m'a fait faire des choses que je n'aurais jamais imaginé pouvoir faire : monter sur une poutre, faire du vélo, du roller, du skate-board..." Quand il arrive à l'hôpital, Arnaud est en fauteuil. Le kiné lui dit alors : "dans quinze jours, tu n'en auras plus besoin".
Je me suis dit : "Il est fou" mais en fait, il avait raison. Il a réussi à me faire bien marcher. Chapeau à lui, chapeau à moi aussi... J'ai été bien entouré pour tout ça.
"Je n'en veux à personne"
Quand on lui demande s'il en veut à quelqu'un pour ce qui est arrivé et qui a bouleversé sa vie, Arnaud est presque surpris. "Je n'ai jamais été en colère. J'étais au mauvais endroit au moment moment, c'est tout. J'étais un peu frustré, de ne pas jouer au basket avec tous mes potes, par exemple, mais pas en colère. Je n'ai pas trop suivi l'affaire, les procès. Je m'en foutais un peu, j'avais vingt ans, je préférais me consacrer à ma rééducation, à mes copains."
Je n'en veux à personne, l'erreur est humaine.
Ce qui compte pour Arnaud, c'est de s'en être sorti. Le lycéen d'il y a 20 ans se destinait au métier de mécanicien auto. Il est aujourd'hui agriculteur. "Je fais un métier que j'aime. J'ai des amis, je conduis, je pratique un sport, le golf, que je n'aurais pas fait si je n'avais été handicapé..." Et quand il évoque la souffrance, Arnaud pense surtout à celle de ses parents. "Ils m'ont cherché pendant un jour et demi car quand l'accident est arrivé, j'étais en short et tee-shirt et je n'avais pas de papiers sur moi. C'est plutôt eux qui ont souffert du 21 septembre 2001..."
"Mon épouse l'a reconnu à ses habits"
Jacques, le père d'Arnaud, se souvient avoir entendu parler très vite de l'explosion à Toulouse via la CB, la radiocommunication. "Je ne savais pas où était l'usine AZF donc je ne me sentais pas très concerné. Mais mon voisin m'a appelé pour me dire que le lycée d'Arnaud était à côté, et là, on a commencé à essayer d'avoir des informations. On a appris que le lycée Gallieni était le plus touché et là, je me suis dit : c'est grave. Je dois m'occuper de savoir où est Arnaud."
L'inquiétude monte d'un cran lorsqu'un copain d'Arnaud appelle pour dire qu'il le cherche. "Ma femme a appelé un peu partout, mais on n'avait pas de nouvelles et ça a duré... Le lendemain, on s'est rendu sur place. Dans la journée, on a eu des informations comme quoi il était peut-être vivant mais on ne savait pas où."
On savait qu'il y avait des blessés graves ici et là, sans autre identification que X ou Y. Et il fallait trouver dans quel hôpital avait été emmené notre fils.
L'épouse de Jacques finit par retrouver leur fils. "Elle l'a reconnu à ses habits. Quand elle l'a vu sur le lit d'hôpital, il était défiguré, branché de tous les côtés, inconscient bien sûr, dans un coma profond."
"On était tout le temps derrière lui"
"Ce jour-là, la vie a complètement changé pour nous." Il faut s'occuper d'Arnaud, lui rendre visite, lui parler même s'il est inconscient. "Le chirurgien nous avait dit : il faut lui parler car, même s'il est dans le coma, il vous entend". On lui a parlé d'un copain et rien que d'entendre son nom lui faisait bouger une main." Après l'hôpital, bis repetita, mais au centre de rééducation cette fois. "On était tout le temps derrière lui, on lui rendait visite", confie le père d'Arnaud. "Pour qu'il ne se sente pas seul, abandonné.".
Jacques pense que son environnement, son entourage a beaucoup joué dans l'évolution des séquelles de son fils. "On a sacrifié beaucoup de choses et c'est normal, on ne laissera jamais tomber Arnaud. Mais ce qui est sûr et certain, c'est que notre vie a changé. On ne voulait pas mais il y a trois ou quatre ans, il a fallu aller voir un psy. Parce qu'il y avait des angoisses autour d'Arnaud : est-ce qu'il souffre ? Est-ce qu'il est bien dans sa peau ? J'aurais bien aimé qu'il vive autrement qu'avec son handicap..." Certaines blessures engendrées par l'explosion au sein de l'usine AZF, ce 21 septembre 2001, ont indéniablement mis du temps à cicatricer. Qu'elles soient corporelles, ou psychologiques.
Retrouvez l'ensemble des témoignages recueillis pour la série anniversaire : il était 10h17, les 20 ans de l'explosion de l'usine AZF.