Le chemsex est sur le devant de la scène médiatique en raison de l'affaire Pierre Palmade. Mais loin des caricatures, le phénomène, qui consiste à prendre des drogues puissantes pour augmenter ses sensations lors de rapports sexuels, touche un public de plus en plus large. Le Toulousain Yann B. s'en est sorti. Témoignage.
"Gentil". "A l'écoute". "Professionnel". "Bienveillant". Ses proches et ses collègues garderont de J- C l'image d'un homme bien, parti trop tôt, le 8 août 2022, à l'âge de 45 ans. Un mois avant son décès, c'est un autre visage que ce Toulousain avait offert à la justice. Jugé pour exhibition sexuelle et usage illicite de stupéfiants, il s'était masturbé devant plus de 400 enfants âgés de 6 à 10 ans rassemblés pour un tournoi de football. De cet événement, il n'avait gardé aucun souvenir.
Pour expliquer son acte, J-C a reconnu être adepte du “chemsex”, une pratique consistant à consommer des produits psychotropes pour intensifier les actes sexuels. “Je me suis rendu chez un homme pour une relation sexuelle et pour prendre des stupéfiants. J’ai perdu la mémoire”, a-t-il déclaré. Dépressif, il a expliqué que le cocktail d'anxiolytiques et de stupéfiants aurait entraîné "une perte de conscience totale".
6 année de sa vie sous la domination du chemsex
Une histoire qui pourrait être presque banale pour Yann B. Le chemsex a représenté pour lui 6 années complètes de sa vie. Une expérience qu'il a racontée dans un livre "Ma vie en poudre", paru en mai 2022 (éditions Les Impliqués). Tout commence lorsqu'il apprend que son compagnon est atteint d'un cancer des poumons. Il a alors 23 ans. "Plus le cancer progressait, plus j’avais besoin d’oublier. J’ai commencé à prendre des doses, un petit peu au début puis de plus en plus, jusqu’à malheureusement au décès où j’ai chuté psychologiquement. J’ai alors pris des doses plus fortes et j’ai complètement sombré dans l’addiction" rapporte-t-il de façon hésitante.
Il plonge dans les drogues de synthèse, des poudres généralement, financièrement abordables et faciles à trouver, qu'il combine avec d'autres produits. "J’en ai testé malheureusement beaucoup" constate-t-il. Accroc aux stupéfiants, mais aussi au sexe. "Je n’ai jamais pris de drogue, seul, sans sexe, explique-t-il. Car ce n’était pas mon intérêt. C’était vraiment ce cumul des deux qu’on arrive plus à déphaser."
Le mécanisme est simple, les drogues permettent de décupler les sensations lors des rapports sexuels. Yann B, "en mal de cœur" avait besoin de ces doses pour oublier ses malheurs et décrocher de la réalité. "Comme je n’avais envie de rien, je prenais un produit pour avoir ces sensations, le GHB pour oublier, du Viagra® pour assurer sexuellement. Tout ça, c’était un cocktail pour assumer ma vie qui était compliquée à ce moment-là et gérer mes émotions."
Des week-ends de drogue et de sexe jusqu'à l'épuisement
Au plus mal, il en prend tous les jours. Le plus souvent, "le soir après le travail à petite dose. J’étais raisonnable la semaine pour assurer mon travail. Par contre, dès le vendredi midi, je me jetais dessus littéralement." Il enchaîne alors les partenaires, trouvés sur des lieux de drague ou à l'aide d'une application, sans dormir, jusqu'à l'épuisement le dimanche matin.
Le reportage de Sandra Wachlewicz et Laurence Boffet pour France 3 Occitanie
"Le chemsex cela me permettait de revivre, constate Yann. J’étais mort à l’intérieur, j’étais vide. Mais je me sentais vivant à travers ces émotions factices. C’était très facile. Il suffisait d’un sachet de poudre et je faisais le plein d’émotions qui avaient totalement disparu en moi."
Il multiplie les prises de risques lors de ses rapports. Au point d'avoir un accident et d'être dans l'obligation de prendre un traitement post-exposition (TPE) afin de ne pas attraper le VIH.
Verbaliser son addiction pour la reconnaître
Son état physique se dégrade. Il maigrit à vue d'œil. Se casse une dent en mangeant un simple burger. "Je me souviens un matin, je me suis vu dans le miroir. J’étais squelettique. Je me suis dit "ce n’est pas moi, ce n’est pas possible".
Jusqu'au jour, où Yann B. comprend qu'il est accro. "Je suis allé voir un médecin pour prendre un traitement contre le VIH. Le docteur m’a dit « vous savez Monsieur ce ne sont pas des bonbons ». Et là, pour me justifier, j’ai dû verbaliser « désolé Monsieur je suis drogué ». Mine de rien, cela a eu un impact pour moi. Cela démontrait que cela n’allait plus."
Après avoir vu plusieurs spécialistes, dont un addictologue et un psychologue, il rencontre un sexologue qui l'aide à se rendre compte qu'il consomme trop facilement le sexe et lui conseille de se frustrer pour ne pas avoir besoin de produits. Grâce à cette révélation, Yann arrête la drogue et, bien qu'il ait eu des rechutes et des déceptions, il mettra plus d'un an et demi à s'en sortir.
Prouver que l'on peut s'en sortir
Yann B. veut désormais partager son expérience : "le message que je veux faire passer, c’est que c'est possible. On peut sortir de cette addiction. J’ai eu certains déclics psychologiques que je veux transmettre. Je veux vraiment montrer que l’on peut s'en sortir."
Un message de prévention essentiel, car durant la période de Covid, la pratique du Chemsex a connu une recrudescence "Ce n’est pas toujours une problématique, mais cela le devient lorsque la personne n’arrive plus à gérer et multiplie ces pratiques avec des conséquences affectives, sexuelles, sociales, professionnelles et financières, explique Najah Al Bazzo, psychologue et sexologue, coordinatrice du Centre Enipse de ressources en santé mentale LGBT+ (CeSaMe) ouvert à Toulouse en mai 2022. La plupart des personnes recherchent d’abord du plaisir lors de relations sexuelles désirées avec moins de pressions avec une augmentation de libido, des sensations. La porte d’entrée, c’est la question du plaisir, du partage, soit en couple, soit en collectif. C’est lorsqu’il y a une escalade dans une addiction ou dans des comportements à risques que cela devient problématique. C’est important de ne pas avoir un discours de diabolisation."
L'urgence d'un débat de fond
La problématique est complexe et doit être prise en charge de façon pluridisciplinaire. Le CeSaMe travaille ainsi en réseau avec des psychiatres, des médecins, des professionnels en gestion des risques. Les associations communautaires sont souvent les premières portes d'entrée : "les personnes concernées ont peur de la discrimination. Les associations leur permettent d’être bien accueillies, bien jugées, qu’on ne diabolise pas les pratiques et que l’on ne soit pas dans une écoute active. Ce qui leur permet de libérer la parole. De se poser et après de construire leur parcours, par rapport à leur rythme et par rapport."
Najah Al Bazzo attend un véritable débat de fond sur ce sujet afin de mettre en place des dispositifs adaptés : "Pour ça, il faut que les politiques s’impliquent avec un plan stratégique." Car l'urgence est là. Le Chemsex est désormais pratiqué de plus en plus jeune.