Partage de vidéos illicites, délation, justice improvisée, menaces de mort... La révélation de ce crime, qui s'est déroulé sur le parking d'une boîte de nuit toulousaine a donné lieu cette semaine à un déferlement de tout ce que l'on déteste sur les réseaux sociaux.
Au départ, il y a un acte criminel d'une extrême violence : un viol en réunion, une scène abjecte sur le parking de la discothèque Le Carpe Diem, dans la nuit de samedi à dimanche.
Et puis, il y a tout le reste autour : les auteurs et/ou complices qui filment le viol et partagent la vidéo, ceux qui, d'une curiosité plus que malsaine, demandent à la voir, les dénonciations de pseudo-suspects, sans preuve et parfois à tort, et un usage sans doute abusif des réseaux sociaux pour "faire justice", ce qui, justement, peut entraver le travail de la justice.
La vidéo, objet d'un délit
Tout commence donc par la commission d'un crime, dans la nuit de samedi à dimanche, à Balma : le viol d'une jeune fille de 18 ans par plusieurs hommes (la victime évoque 5 à 6 personnes). L'enquête devra déterminer si la victime avait été droguée. Le viol en réunion est passible de 20 ans de réclusion criminelle.Et puis, il y a un premier partage de cette vidéo, sur le réseau social Snapchat.
Enregistrée, la vidéo est alors partagée sur Twitter et c'est là, durant la journée de lundi, que de nombreux signalements sont opérés auprès de la plateforme Pharos de la police nationale.
Aujourd'hui, l'enquête, menée par les gendarmes de la section de recherches de Toulouse, porte évidemment sur le viol en réunion, mais également, après l'ouverture d'une information judiciaire par le parquet de Toulouse, sur l'enregistrement et la diffusion de la vidéo : en clair, celui ou ceux qui, sans participer au viol, a filmé et partagé est coupable de ne pas avoir porté assistance à la victime, de ne pas avoir dénoncé le crime mais également d'avoir filmé et partagé une vidéo délictueuse. Ce qui en fait un ou des complices des criminels.
Interrogée par nos confrères de France Bleu Occitanie, Chantal Pasco, responsable des réseaux sociaux pour la police nationale, précise que les vidéos délictueuses sont de plus en plus nombreuses sur les réseaux sociaux.
Parfois, ces partages de vidéos sont de bonne foi : les internautes veulent aider les enquêteurs, révéler le crime. Malheureusement, ils participent aussi ainsi à la diffusion de la vidéo délictueuse.
La sortie des charognards
La présence de la vidéo sur les réseaux sociaux a déclenché aussi l'apparition de messages nauséeux que nous ne reproduiront volontairement pas ici : des messages publics d'appel à voir cette vidéo de viol. Une curiosité malsaine dénoncée, elle aussi par de nombreux internautes.Une "chasse à l'homme" improvisée et dangereuse
Surtout, les réseaux sociaux ont résonné cette semaine d'une véritable chasse à l'homme, des internautes se substituant aux enquêteurs et menant surtout une opération de délation en publiant des noms et des photos des "suspects". Aucun des grands réseaux sociaux n'a été épargné : Snapchat, Facebook, Twitter et même Instagram.Comme nous le révélions dès mercredi, la victime s'est même senti obligée de faire une vidéo à visage découvert, publiée sur son compte Snap, sur Instagram et reprise sur Twitter, en compagnie d'un ami qui était accusé sur les réseaux sociaux pour expliquer qu'il n'a rien à voir avec cette affaire. Contacté par France 3, l'intéressé, ancien participant à une émission de téléréalité, a indiqué avoir reçu "des centaines de messages de haine et de menaces de mort". Il a porté plainte au commissariat de Toulouse.
Le reflet d'une époque ?
Il y a dans cette sordide affaire, beaucoup d'éléments qui pourrait refléter (en partie) notre époque : si le viol, y compris en réunion, est vieux comme l'humanité, la facilité avec laquelle on filme aujourd'hui avec son smartphone, on partage tout, y compris le pire, sur les réseaux sociaux, on accuse sans preuve et publiquement, marque sans doute pour certains non seulement une grave carence dans la connaissance des règles, de la loi, du respect de la personne humaine mais aussi une forme d'impunité et de manque de prise de conscience de la gravité des actes commis.En opposition avec le travail des vrais enquêteurs
Ce déferlement sur les réseaux sociaux (accompagné, c'était inévitable, d'allusions racistes et xénophobes) s'est opéré en quelques heures seulement. Les gendarmes eux travaillent loin de l'immédiateté. "Nous sommes dans la discrétion, bien loin des réseaux sociaux" nous confiait un enquêteur en milieu de semaine.5 jours après la révélation du viol, il n'y a toujours pas eu d'interpellation. Et pour cause : les enquêteurs constituent le dossier, vérifient les emplois du temps, auditionnent (notamment la victime) avant de procéder à des gardes à vue, qui pourraient intervenir dans les jours qui viennent. Le temps du net n'est pas le temps de l'enquête.