DOSSIER. "Catastrophe judiciaire", souffrance des victimes et des magistrats : l'insoutenable lenteur de la justice

Le malaise de la justice s'exprime notamment par sa lenteur. Manque d'effectifs, procédures à rallonge, nombre de crimes sont jugés plusieurs années après leur commission. Douloureux pour les victimes et parfois insensé pour les auteurs.

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Dix ans. Onze ans…. Une éternité pour juger des crimes. Les chroniques judiciaires regorgent d'affaires jugées très longtemps, trop longtemps après les faits. Le viol collectif examiné en ce moment par les assises des mineurs de l'Hérault n'échappe pas à ce constat. Quatre hommes et la compagne de foyer d'une adolescente alors âgée de 14 ans sont enfin devant la justice 11 ans après le crime. Les premiers accusés de viol, la seconde de proxénétisme. 

Un viol collectif  jugé 11 ans après

L'affaire remonte à une nuit de juin en 2012. Une jeune fille aurait été violée à plusieurs reprises près de la place de la Comédie. L'adolescente aurait suivi ses agresseurs après avoir été sommée de le faire par sa compagne de foyer qui avait récupéré l'argent payé par plusieurs individus. Elle est enfin examinée à huis-clos. Me Baptiste Sherrer, l'avocat de la victime s'est indigné parlant d'un retard inadmissible et s'interrogeant sur le "sens d'une peine applicable, onze ans après".

Victime traumatisée

La victime, encore traumatisée, aujourd'hui jeune maman et enceinte, est absente au procès. Elle n'a pas eu le courage d'affronter ses bourreaux, même aussi longtemps après. "Mais elle tient à ce qu'ils aillent en prison pour l'enfer qu'elle a subi", ajoute son avocat.

Celle qui est accusée de l'avoir prostituée est à présent mère de trois enfants et n'a plus jamais fait parler d'elle après cette terrible affaire. Instable et violente à 17 ans, la jeune femme "n'a plus rien à voir avec ce qu'elle était il y a dix ans", s'indigne à son tour Me Marc Gallix, son avocat.

Colère des victimes

Une colère que l'on retrouve souvent dans les prétoires des cours d'assises. Maryse Pêchevis, avocate au barreau de Montpellier, a bataillé pendant dix ans aux côtés de la famille d'une femme tuée par son compagnon. "Ce n’est ni sérieux, ni convenable que la justice ait été aussi lente et inefficace."

Dix ans pour juger la mort d’une femme, c’est inexplicable.

Maryse Pêchevis, avocate

Me Maryse Pêchevis a passé dix ans à se battre, aux côtés de la famille de Danièle Courrieu, tuée d'une balle dans la tête par son compagnon, un policier à la retraite, pour que celui-ci soit  jugé devant une cour d’assises pour féminicide. 

Lettre au président de la République

À Creissan dans l'Hérault, Laurence Perrin la mère de Sofiane, battu à mort en en mars 2016 à Montpellier, s’est elle aussi inquiétée de la lenteur de la justice. Quatre ans après, les auteurs présumés n'avaient toujours pas été jugés. Elle envisageait d'écrire au président de la République : "ça ne va sans doute rien changer, parce qu’on n’est que des gens normaux et qu’on n’a pas le bras long. Mais je veux qu’il sache", témoignait la mère de famille devant nos confrères de Midi libre en janvier 2020.

"Nous sommes dans une procédure judiciaire interminable, face à une justice criminelle en souffrance,
ajoutait Me Luc Abratkiewicz, également partie civile pour la famille Perrin.

On ne peut être que scandalisé par l’inaction des pouvoirs publics qui, malgré des déclarations d’intention à chaque couac judiciaire, ne font rien. Si rien n’est fait, je suis convaincu que nous sommes face à une catastrophe judiciaire.

Luc Abrakievitcz, avocat

Délai raisonnable

La mère de Sofiane craignait que les assassins présumés de son fils soient libérés. Selon la loi, un accusé doit être jugé dans des délais raisonnables tout comme doit l'être sa détention provisoire. En janvier 2020, Ramon Cortès, condamné  à 30 ans de réclusion pour l'assassinat de son ex-compagne, avait été libéré avant son procès en appel car resté trop longtemps en détention provisoire.

Situations ubuesques

Me Khadija Aoudia, avocat pénaliste et bâtonnier de l'Ordre des avocats de Nîmes, relate la situation ubuesque de l'un de ses clients. Jugé pour un meurtre 20 ans après, son client, un jeune marocain de 19 ans était accusé d'avoir tué un autre homme lors d'une soirée alcoolisée. Après être reparti au Maroc, ce dernier avait été condamné par contumace. 20 ans après, marié avec une ressortissante Française, il était revenu dans l'Hexagone, avait été arrêté à son arrivée en France et rejugé. "J'avais soulevé la nullité pour non respect des délais raisonnables mais cela n'a pas fait annuler la procédure", précise l'avocat. Dans les tiroirs de son cabinet, le dossier le plus ancien, un viol, remonte à 2012. Il n'a toujours pas été audiencé.

Torture

Les exemples s'accumulent. Me Aoudia défend les enfants, victimes présumées de viols et d'agressions sexuelles d'un enseignant pédophile. Au sujet d'une affaire révélée il y a près de 5 ans : "L'instruction est close. Il est libre sous contrôle judiciaire et nous n'avons toujours pas de date d'audience. C'est une torture pour les victimes" .

Ces délais à rallonge sont une atteinte au procès équitable pour les accusés et les victimes. Pour les victimes car elles ont un sentiment d'impunité et pour les auteurs c'est une épée de Damoclès qui met leur vie en suspens.

Khadija Aoudia, bâtonnier de l'Ordre des avocat de Nîmes

"Dans tous les cas, c'est une atteinte à la dignité humaine", ajoute Me Aoudia

Trois cours d'assises en parallèle

160 dossiers attendent d'être jugés dans le ressort de Montpellier. "Les cours d'assises siègent sans discontinuer en parallèle à Montpellier, Carcassonne et Perpignan", précise Catherine Konstantinovitch, présidente de chambre aux affaires familiales à Montpellier et déléguée régionale de l'Union syndicale de magistrats (USM). Le manque de moyens est abyssal et il faudrait deux à trois fois plus de juges pour absorber l'activité."

C'est une douleur pour les magistrats juger dans ces conditions.

Catherine Konstantinovitch, déléguée régionale de l'Union syndicale des magistrats

La moitié des affaires en appel

Le développement des cours criminelles, composées uniquement de juges professionnels appelées à juger des crimes punis de 15 à 20 ans de réclusion n'aideront pas à faire baisser les stocks, affirment les magistrats concernés. "Et ce d'autant plus qu'à Montpellier, le taux d'appel est de 50 %. Ce qui est énorme et qui signifie qu'une affaire sur deux sera rejugée", ajoute Catherine Konstantinovitch.

Sont jugées en priorité les personnes détenues car elles ne peuvent pas rester indéfiniment en détention provisoire entre la fin d'une instruction et le procès.

L'insuffisance structurelle et abyssale de moyens de la justice française est en partie la cause de ces délais à rallonge. Conséquence : la France est régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme ( CEDH) pour non respect des délais raisonnables de jugement.

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