Des experts en débattront ce jeudi 21 décembre, 16h, à l'Opéra Comédie de Montpellier. France 3 en a interrogé deux. S'il souligne des mesures efficaces engagées par la ville Montpellier en faveur des mobilités douces, Frédéric Héran considère que la gratuité des transports n'en fait pas partie. Philippe Poinsot, lui, se veut plus nuancé.
Ce n'est pas la volonté politique, ni les convictions écologiques de la ville de Montpellier qui sont ici discutées. Frédéric Héran et Philippe Poinsot sont deux économistes, experts en mobilité. Interdiction des voitures en centre-ville, remplacement de certains tronçons routiers par des vélos route... Tous deux sont d'accord pour dire que depuis quelques années, la mairie engage des mesures efficaces en faveur de la mobilité douce.
La gratuité des transports en fait-elle partie ? Ce jeudi 21 décembre, à 19h, l'ensemble du réseau de bus et de tramways à Montpellier devient effectivement gratuit pour les quelque 500 000 résidents de la métropole, occasionnant une grande fête Place de la Comédie.
Spectaculaire, cette mesure a le mérite de mettre un coup de projecteur sur la ville et la question des transports gratuits. Le sujet fera même l'objet d'un débat, ce jeudi, 16h, à l'Opéra Comédie. France 3 s'est renseigné en avance auprès de deux participants : Frédéric Héran et Philippe Poinsot.
Qualité vs. prix du service
Frédéric Héran est assez catégorique. Selon les recherches de l'économiste, "Après un passage à la gratuité des transports, le report modal des automobilistes vers les transports en commun est assez faible".
Le professeur à l'Université de Lille observe que les profils séduits par la gratuité sont majoritairement des jeunes, des étudiants, des cyclistes... Ceux-là auront tendance à privilégier les transports en commun s'ils sont gratuits plutôt que de se déplacer à pied ou à vélo. Mais ils ne laisseront pas de côté leur voiture pour la simple et bonne raison qu'ils n'en possèdent pas.
D'après Frédéric Héran, plus que le prix, c'est "la qualité du service" qui pourrait convaincre les automobilistes d'abandonner la route. Rapidité, confort, élargissement des zones desservies... Des avantages dont ils bénéficient en voiture et qu'ils espèrent retrouver dans le bus ou le tramway. D'autant plus à Montpellier, une ville où "il est indispensable d'étendre le réseau", juge l'économiste.
Mauvais calcul ?
Ceci étant dit, selon lui, la gratuité apparaît comme un mauvais calcul. La mesure coûterait grossièrement 35 millions d'euros à la ville. Autant d'argent, peut-on penser, qui ne sera donc pas investi dans des lignes de tramway supplémentaires, davantage modernes, ou désengorgées.
Sauf que les choses ne sont pas aussi simples. Tout d'abord, le passage à la gratuité n'est ni total ni inconditionnel à Montpellier. En effet, Philippe Poinsot rappelle que les touristes continueront à payer les transports tandis que pour l'instant, les résidents qui ne présenteront pas leur Pass gratuité aux contrôleurs devront s'acquitter d'une amende de 72 €. Les usagers continueront donc à financer en partie la mobilité douce à Montpellier.
L'économiste ajoute que si le chiffre de 35 millions effraie, il représente en réalité entre 20 à 30% du financement des transports par la ville. "Le choc financier existe", concède l'économiste, qui ajoute : "Il s'agira d'aller chercher d'autres sources de financement".
Remettre en cause la voiture sur son terrain
Le professeur à l'Ecole d'Urbanisme de Paris observe qu' "On sort de 40 ans de politiques de la ville pensées pour rendre la circulation en voiture efficace". Il n'a par exemple jamais été envisagé de tarifer l'accès aux routes dans les zones urbaines. Mais pourquoi pas ?
Les deux experts se rejoignent de plus sur ce point : ce qui pousse les habitants à emprunter les transports en commun, c'est la remise en cause de la place de la voiture sur son terrain de jeu. "Le tout est de rendre cela acceptable pour les usagers, de ne pas nourrir excessivement leur mécontentement", commente Philippe Poinsot.
Comprendre : le but n'est pas non plus de faire de la circulation routière à Montpellier un enfer, et ce, brutalement, sans l'offre de transports adéquate en solution alternative.
Des avantages sociaux
Il existe toute une batterie de mesures pour réduire le trafic automobile en ville. Populaire, la gratuité des transports doit néanmoins être pensée en lien avec d'autres pour être réellement efficace.
Au-delà de l'intérêt écologique, il convient de noter que cette mesure présente des avantages sociaux."Les foyers les plus en difficulté bénéficieront de la gratuité comme tout le monde", commente Frédéric Héran, "ils n'auront plus à remplir des dossiers pour espérer obtenir des offres de gratuité ou de réduction parce qu'ils sont chômeurs, en situation de handicap, etc". "Cela réduit les possibilités de stigmatisation", complète Philippe Poinsot.
Montpellier, un cas d'école
Quoi qu'il en soit, Montpellier sera un cas d'école concernant la gratuité des transports en métropole.
Il s'agit effectivement de la première commune de cette envergure à faire le pas en Europe. Plus à l'ouest en Occitanie, la mesure séduit par exemple déjà les Toulousains.
Philippe Poinsot encourage en tout cas les villes à produire des données publiques sur les conséquences de la gratuité des transports en commun. Car jusqu'ici, l'économiste le répète : il reste difficile d'évaluer son impact sur le comportement des usagers.