Avec les récentes fugues des institutions psychiatriques à Toulouse, la question du sort des déséquilibrés revient sur la scène médiatique. A Perpignan, deux familles touchées par des drames témoignent. Elles veulent alerter sur leur situation.

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Comment faire son deuil ? Comment accepter qu'il n'y ait pas de procès, ni de peine prononcée ? Et comment vivre avec cette menace sourde : que la personne qui vous a fait du mal ou à votre famille, puisse ressortir, sans que vous n'ayez votre mot à dire ou que vous soyez prévenu? Les quatre fugues des établissements spécialisée toulousains, dont certains patients considérés "dangereux", ont mis en lumière le traitement que notre société réserve aux auteurs d'actes graves, mais considérés comme "irresponsable" par la justice.

Irresponsabilité pénale

Et qui ne peuvent donc être jugés et condamnés par un tribunal "normal" en application de l'article 122-1 du code de procédure pénale : "N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes." 

Deux familles, victimes l'une et l'autre de deux "déséquilibrés", ont souhaité témoigner dans ce contexte. Notre équipe les a rencontrées dans le cabinet de leur avocat M° Etienne Capsié, à Perpignan. Deux familles qui ne s'étaient jamais rencontrées, mais dont les discours, le ressenti et les inquiétudes convergent.

Il y a d'abord Surenzia Britz-Barcelo, la fille de Barrend Britz. Cet ancien rugbyman sud-africain s'était reconverti, après sa carrière sportive menée notamment à l'USAP, en ouvrant un café : le Bar and Britz. C'est devant son établissement de la place République qu'il a été mortellement agressé le soir du 6 décembre 2018.

Par une connaissance : Fabrice Alric. Surenzia, sa fille, précise les circonstances : "Ce n'est pas facile à comprendre. Cette personne n'était même pas de la famille mais mon père l'ai aidé. Il l'a sorti, il l'a nourri, il l'a aidé. Cette personne a choisi un destin que mon père n'a pas suivi, et après il l'a rejeté du bar. Et tout est parti de là...".

Ca faisait des mois, voire même des années qu'il menaçait de tuer mon père et les membres de ma famille

Barend Britz

Après une prise de cocaïne cette année-là, Fabrice Alric avait du être hospitalisé. Et des troubles psychiatriques avaient été détectés, des mois avant son passage à l'acte. La fille de Barend Britz continue : "A partir du moment où il a été interdit du bar, il a développé une haine envers mon père. Ca faisait des mois, voire même des années qu'il menaçait de tuer mon père et les membres de ma famille."

Pas ou peu de prise en charge

Un individu montrant de sévères troubles psychologiques mais qui n'est pas ou peu pris en charge, c'est aussi ce qu'on connu Dominique et Laure Bertran. La première est l'ancienne femme de Thierry Cahuzac, la seconde, sa fille. En août 2020, cet homme quinquagénaire, lui aussi atteint de troubles psychiques depuis des mois, avait assassiné ses parents et ses beaux-parents, à Perpignan et au Boulou.

Avant de se rendre aux gendarmes et d'avouer ses crimes. Là encore, les proches de l'auteur ont vu la situation psychique de leur proche se dégrader. Son ancienne femme témoigne : "On a vu qu'il partait dans des délires un peu paranoïaques. Au départ, c'était des gens de son travail qui nous observaient à la maison, qui allaient venir nous tuer. Malheureusement il a refusé les soins. Il a fait deux petits séjours mais à chaque fois il est sorti. Et ça s'est retourné contre nous.."

"Entendre qu'il y en a qui arrivent à s'échapper. On se pose toujours la question : et si c'est le notre ?"

Surenzia Britz-Barcelo, fille d'une victime de déséquilibré

Aujourd'hui, ces deux familles sont dans des situations juridiques différentes. Les Britz ont désormais la certitude que l'auteur du meurtre de leur père, ne sera jamais jugé. Son irresponsabilité pénale, constatée par des experts psychiatres, a été reconnue par la justice.

Pour Laure et Dominique Bertran, la procédure n'en est pas encore là. Mais les experts qui ont examiné Thierry Cahuzac, évoquent une "altération de son discernement", voir son abolition totale. Et l'auteur pourrait lui aussi échapper à tout procès et toute condamnation. Une souffrance de plus pour les victimes.

Interpellation de l'opinion publique

Les évasion et fugues successives des institutions psychiatriques de Toulouse à la fin janvier 2022 ont constitué un électrochoc pour les deux familles. "Entendre qu'il y en a qui arrivent à s'échapper. On se pose toujours la question : et si c'est le notre ?", confie Surenzia Britz-Barcelo, la fille du rugbyman. Qui élargit sa réflexion au fait d'enfermer les auteurs de crime dans ce type de structure : "Ne sachant pas où il se trouve, ne sachant pas ce qu'il va se passer. Ne sachant pas s'il va sortir d'ici un an, 2 ans, vingt ans, jamais...C'est quelque chose qui fait très peur."

il ne faut pas aller jusqu'à ne pas reconnaître sa responsabilité. Il l'a fait. Il a choisi et il l'a revendiqué. Il le revendique encore. Et il a encore des doutes sur ce qu'il pourrait faire dans le futur s'il sortait.

Laure Bertran, fille de Thierry Cahuzac

L'une et l'autre famille souhaitent interpeller l'opinion publique. Sur la notion-même d'irresponsabilité pénale, une injustice pour les familles de victimes : "il faut savoir que les mots "irresponsabilité pénale" dans la tête d'une victime, c'est quelque chose..." C'est comme un coup de poignard", continue Surenzia Britz-Barcelo.

Laure Bertran, fille de Thierry Cahuzac poursuit : "Oui la psychiatrie et nous reconnaissons une maladie. Mais il ne faut pas aller jusqu'à ne pas reconnaître sa responsabilité. Il l'a fait. Il a choisi et il l'a revendiqué. Il le revendique encore. Et il a encore des doutes sur ce qu'il pourrait faire dans le futur s'il sortait."

L'angoisse

Les deux familles s'interrogent sur les conditions de la mise à l'écart de ces criminels trop "fous" pour être jugés.  Et les évasions récentes ravivent leurs douleurs : "Il y a une crainte énorme pour notre avenir. Elle est où notre vie maintenant ?" s'interroge Dominique Bertran. qui confie son angoisse.

Celui d'une libération un jour de son ancien mari, sans qu'elle ne soit mise au courant : "On n'a aucune garantie sur son enfermement dans une certaine durée puisqu'on sait que malheureusement en France, on n'enferme pas quelqu'un pour toujours. Ils finissent toujours par sortir. Mais on demande au moins le plus possible d'en être informés. Mais même ça on n'en est pas sûrs."

Les professionnels et les organisations syndicales dénoncent depuis des années le sous-financement de la psychiatrie en France. Il existe une dizaine d'établissement en France capable d'accueillir les déséquilibrés les plus dangereux, soit environ 500 places.

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