Témoignage. "6 mois sans pouvoir se dégager de salaire", Sarah, éleveuse de porc bio au bord de la faillite

Publié le Mis à jour le Écrit par Céline Dupeyrat

Le bio a-t-il encore de l'avenir ? À en croire Sarah Boutreux, la filière est en danger. Éleveuse de porc à Mouais près de Châteaubriant au nord de la Loire-Atlantique, croule sous les emprunts et peine à écouler sa production.

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Quand elle vous accueille sur la ferme des Kyrielles, c'est avec un large sourire et toute son énergie. Sarah, pourtant, aurait de quoi baisser les bras et fermer la porte.

En juin 2021, elle décide de s'associer à Rémy Daniel. Lui dirige l'exploitation de Mouais au nord de la Loire-Atlantique depuis les années 90.

Ce choix, elle l'assume et n'en changerait pour rien au monde.

"Quand je me suis installée, en juin 2021, on avait l'impression que le bio, c'était l'avenir, qu'on était là pour préserver l'environnement, la biodiversité. Avec la problématique du réchauffement climatique. Je ne me voyais faire différemment", raconte la jeune agricultrice.

Je voulais laisser quelque chose à mes enfants

Sarah Boutreux

Éleveuse de porcs bio

Pas du tout soutenus

Deux ans plus tard, c'est la claque. "C'est la grosse douche froide ! ", confirme l'éleveuse. "J'ai l'impression que le bio n'a plus d'avenir. Le gouvernement a beau nous avoir donné une petite enveloppe, nous ne sommes pas du tout soutenus. Ce n'est pas suffisant."

Les charges augmentent et la consommation a baissé, elle a plus que diminué, elle n'est plus là, on a l'impression qu'elle a disparu

Sarah Boutreux

Éleveuse de porc bio

"Pourtant, quand on écoute les consommateurs, ils ne veulent plus de traitements dans les champs, ils veulent des animaux sans traitement, mais ils n'achètent pas bio. Je peux le comprendre vu certains prix".

La grande distribution ne joue pas le jeu, il n'y a aucune transparence sur les marges que font les grands groupes et les industriels sur notre dos

Sarah Boutreux

Eleveuse de porcs bio

"Aujourd'hui, personne ne se pose la question de combien cela nous coûte de produire. On nous dit juste, moi, je te l'achète à tant, pas plus", déplore Sarah.

Résultat, pour tenir le coup, il a fallu baisser la production de 20 %. "Sans consommation, on y était contraints. Il faut faire avec."

La structure aujourd'hui vacille. "Nous avons fait des mises aux normes obligatoires. Aujourd'hui, il faut pouvoir les payer. On n'a pas les moyens".

J’ai des mises aux normes à effectuer. Je ne sais pas comment y parvenir, voire je ne les réaliserai pas du tout car je sais pas si on sera encore là dans un an.

Sarah Boutreux

Éleveuse de porc bio

L'éleveuse repaille les porcelets. Elle aime les regarder, s'ébrouer. pour être le bien-être animal n'est pas un vain. Elle a pourtant le sentiment que tous ses efforts n'auront finalement servi à rien.

"Les investissements devaient permettre de vendre 850 cochons à l'année. Là, on va pouvoir en sortir à peine 720. L'année dernière, on nous a payé en conventionnel, bien moins cher au kilo. Un porc, il faut six mois pour l'élever", explique la trentenaire.

Si la consommation bio ne redémarre pas, si le gouvernement ne fait pas le forcing pour que la loi soit respectée, elle ne donne pas cher sa peau.

Le bio, c'est accessible. En supermarché, les produits laitiers, le beurre, ça marche. Il faut arrêter de dire que tout est trop cher, c'est faux !

Sarah Boutreux

Éleveuse de porcs bio

Se diversifier pour survivre

Quand elle n'est pas à l'étable, l'éleveuse est au moulin. Avec son associé, elle a investi 110 000 euros dans un laboratoire pour fabriquer des pâtes alimentaires. "En faisant du blé dur sur place, en le récoltant, en le triant, en fabriquant la farine et en transformant. avec l'objectif de fournir les collectivités.", précise-t-elle en versant les coquillettes dans un immense baril bleu.

Sarah, charlotte sur la tête, et sur chaussons en papier, Sarah a troqué son bleu de travail. Ici tout doit être aseptisé.

"Il faut 6 heures de transformation pour remplir un séchoir. Après, il faut une nuit de séchage et on sort 130 kilos de pâtes."

Se diversifier pour remonter la pente et renflouer les caisses, une des alternatives à la crise ? Pour l'instant, malgré les subventions départementales et régionales de 40 000 euros, rien ne dit que cela suffira. 

Je vends 4 tonnes de pâtes par an pour m'en sortir, il faudrait que j'en vende 8.

Sarah Boutreux

Éleveuse de porcs bio

"On ne rentre pas dans les clous. Il faudrait doubler la production. Nous avons deux écoles qui nous portent bien et qui jouent le jeu de la loi Egalim en servant du bio dans les cantines, mais ce n'est pas assez suivi. Je n'arrive pas atteindre les niveaux ne serait-ce que pour sortir l'équivalent d'un mi-temps", expose Sarah.

L'argent ne rentre ni d'un côté ni de l'autre. 

L'an dernier, nous avons passé 6 mois sans pouvoir se dégager de salaire

Sarah Boutreux

Éleveuse de porcs bio

Et l'année qui arrive ne s'annonce pas plus réjouissante. "Je ne sais quand est-ce que l'on pourra vivre dignement".

Si rien ne change, si la consommation ne repart pas, s'il n'y a pas une vraie prise de conscience gouvernementale que le bio est en danger, on court droit à la faillite

Sarah Boutreux

Éleveuse de porcs bio

Le bio, grand perdant des manifestations

Si les pâtes sont complètes, les nuits ne sont pas. "La charge est lourde, le sommeil difficile", avoue la jeune éleveuse. C'est dur de se lever le matin et de se dire que l'on n'aura pas de salaires à la fin du mois.

"Je fais un métier qui a du sens pour moi, je nourris les gens et on a tout mis en place pour le faire bien. Ici les cultures sont protégées, le seul guide, c'est la nature. Il y a de la valeur dans tout ça", Sarah a désormais la voix qui tremble, les yeux embués.

"Il y a eu des manifestations, oui, mais le bio en sort grand perdant. Il n'y a eu aucune annonce pour nous protéger, au contraire, on recule sur la question environnementale. L'industrie agroalimentaire a gagné la partie", conclut dépitée la jeune agriculture, mère de deux enfants de 5 et 10 ans.

Avec un emprunt en cours de 200 000 euros sur les bras, couvert à hauteur de seulement 33 000 euros d'aides à l'installation, Sarah Boutreux ne se fait plus aucune illusion. Fille d'horticulteur et petit-fille d'agriculteur, elle n'envisage pourtant sa vie qu'au grand air. Mais elle pourrait à très court terme finir comme ses cochons, sur la paille...

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