Le parquet requiert de condamner pour association de malfaiteurs terroriste seulement deux des trois accusés concernés par cette charge. Les peines requises vont de 2 à 15 ans de prison pour les huit accusés.
Ce mardi 6 décembre, le parquet national anti-terroriste, représenté par trois avocats généraux, Jean-Michel Bourlès, Alexa Dubourg et Rachel Lecuyer, a délivré ses réquisitions concernant les peines pour les huit accusés du procès de l’attentat de Nice.
Pour Mohamed Ghraieb et Chokri Chafroud, l'accusation demande à la cour d'assises spécialement composée de les condamner à 15 ans d'emprisonnement pour association de malfaiteurs terroriste (AMT). Selon l'avocat général, en plus d'avoir été impliqués dans la recherche d'une arme et de celle de la location du camion, "ils n’ignoraient pas sa capacité à commettre des actes en lien avec une idéologie radicale". Cette particularité est une des choses qui caractérisent dans la jurisprudence une association de malfaiteurs terroriste, a-t-il expliqué.
Il a également rappelé que les deux hommes avaient eu des échanges de messages révélant une certaine violence. Concernant Chokri Chafroud, "décrire en moins d’un mois la même scène à quatre reprises d’un gros camion fonçant sur la foule pour broyer hommes femmes et enfants, ce n’est pas un hasard", déclare l'avocat général. Pour Mohamed Ghraieb, il a relevé le message de janvier 2015, suite à l'attentat de Charlie Hebdo. Ce message disait : "Je ne suis pas Charlie. Qu'ils aillent se faire enc*ler et que Dieu leur ajoute plus que ça. Va faire la prière. (...) Ah oui camarade c'est des diables ces gens-là qui insultent notre cher prophète, et tu as vu comment dieu leur a envoyé des soldats d'Allah pour les finir comme des m!"
Dans ce message, Mohamed Ghraieb fait l’apologie du terrorisme. Il se sent suffisamment en confiance avec Mohamed Lahouaiej-Bouhlel pour lui faire part de ses réflexions. Il est suffisamment en confiance parce qu'il sait que son interlocuteur partage les mêmes points de vue que lui.
Jean-Michel Bourlès, avocat général
Pas de terrorisme pour Ramzi Arefa
Pour Ramzi Arefa, une même peine de 15 ans a été demandée. Toutefois, les circonstances sont différentes. Le parquet demande à la cour de ne le condamner que pour association de malfaiteurs de droit commun, pour avoir acquis et cédé le pistolet semi-automatique à Mohamed Lahouaiej-Bouhlel le 12 juillet 2016 et acquis, détenu et transporté jusque dans sa cave une kalachnikov le 13 juillet.
Il est demandé d'abandonner la notion de "terroriste" dans cette association de malfaiteurs pour Ramzi Arefa car, contrairement aux deux autres accusés d'AMT, "leur rencontre récente, le peu de contacts et leur absence totale de contacts en dehors de cette recherche d'arme nous obligent à considérer qu’il ne pouvait connaitre l’évolution et la radicalisation de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel et donc du risque de mise en œuvre d’un projet terroriste".
Les faits qu’on lui reproche sont les faits les plus graves de cette procédure, ceux qui sont le plus directement en lien avec l’attentat : c’est lui qui fournit l’arme à Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, une arme destinée à tuer et ça il le sait.
Jean-Michel Bourlès, avocat général
Il poursuit : "Alors, il mérite la peine maximale de 10 ans d’emprisonnement" (correspondant à celle d'association de malfaiteur non terroriste, ndlr). Mais, comme Ramzi Arefa est en récidive car il a déjà été condamné pour un vol avec effraction en réunion en 2014, cette peine s'élève à 15 ans d’emprisonnement.
Sur le volet des armes dans cette affaire, les peines requises vont de 2 à 10 ans d'emprisonnement. Le parquet a requis 10 années pour Artan Henaj, et 5 ans pour Enkeledja Zace à qui il est reproché d'avoir vendu une arme à Mohamed Lahouaiej-Bouhlel.
Pour les trois personnes poursuivies pour avoir aidé Artan Henaj et Enkeledja Zace à acquérir, transporter et donner les armes (le pistolet ou la kalachnikov retrouvée dans la cave de Ramzi Arefa), Jean-Michel Bourlès demande à la cour de le condamner à 3 ans d'emprisonnement et à une interdiction définitive de territoire français Endri Elezi et Maksim Celaj et 2 ans d'emprisonnement pour Brahim Tritrou, seul accusé absent du procès parce qu'il est détenu en Tunisie.
Un mot pour les victimes
Cette journée de réquisition a aussi été l’occasion pour le parquet de prendre la parole sur plusieurs thématiques abordées depuis le début du procès. Dans la matinée, Alexa Dubourg a entamé son propos liminaire par un mot pour les victimes de l’attentat du 14 juillet 2016.
Nos premiers mots vont aux victimes, à toutes les victimes : celles qui ne sont plus là pour nous entendre, celles qui restent, qui ont fait le choix de nous écouter, qui ont mis leur vie entre parenthèses pour suivre ce procès, et qui attendent que vous leur rendiez justice, et aussi à celles qui ont préféré se tenir loin de l’enceinte judiciaire ; pour autant, nous ne les oublions pas.
Alexa Dubourg, avocate générale
Elle a précisé que le ministère public, qu’elle représente aux côtés de Jean-Michel Bourlès et Rachel Lecuyer, avait "parfaitement compris" la souffrance "immense", "insondable", "indicible" et "impartageable" des victimes. "Nous avons vu de près ce que peut être la détresse des victimes ne général, et des victimes de terrorisme en particulier."
Elle a également eu une attention particulière pour les primo-intervenants, ces personnes qui sont venues au secours des victimes et qui ont tenté d'arrêter le terroriste :
Nous n’oublions absolument pas les primo-intervenants. Votre cour aura à dire si tous sont recevables ou non en tant que parties civiles mais leur traumatisme à tous, évidemment qu’il est indéniable, et ils sont tous des victimes collatérales de cet attentat.
Alexa Dubourg, avocate générale
Des excuses du parquet à propos des autopsies
L’avocate générale a aussi répondu aux interpellations dont le parquet a été le réceptacle au cours des témoignages des parties civiles puis des plaidoiries de leurs avocats.
"Nous ne voulions pas nous défiler sur ce sujet, indique-t-elle. Un des conseils des parties civiles a plaidé, assez justement à certains égards, que les institutions étaient passées à côté des rendez-vous avec les victimes depuis six ans et cette audience c’est le dernier rendez-vous."
Si elle maintient que les critères déterminés pour réaliser les autopsies sont "toujours pertinents même rétrospectivement", elle dit comprendre que ces autopsies aient été "si mal vécues, que ce soit une souffrance" ; "nous devons comprendre que cette souffrance puisse causer de la colère".
Concernant les prélèvements d’organes massifs sur les 14 victimes autopsiées, Alexa Dubroug va dans le même sens que François Molins, ancien procureur général, venu témoigner en octobre : "ce n’est pas quelque chose de normal, ça ne correspond pas à ce que nous connaissons de la pratique des instituts médico-légaux (IML) franciliens, ni d’aucun IML sur le territoire national".
Elle admet que le professeur Gérald Quatrehomme n’a pas adressé "d’excuse franche et directe" lorsqu’il a témoigné à la barre. Toutefois, "nous n’avons pas entendu à la barre qu’il se soit félicité de la manière dont il avait géré la crise", souligne-t-elle, comme pour ne pas accabler l’homme. "Il a concédé peut-être du bout des lèvres qu’en pensant bien faire, il avait mal fait", dit-elle.
Au nom du parquet, Alexa Dubourg a finalement présenté ses excuses aux familles dont les proches ont subi une autopsie et qui n’en ont jamais été informées.
Evidemment que nous avons failli sur ce sujet de l’information des familles. Évidemment que les choses auraient dû se passer différemment. Personne n’a vérifié si toutes les familles avaient été informées et c’est inadmissible. Au nom de notre institution, nous sommes sincèrement désolés d’avoir mal fait sur ce sujet. Nous savons que ça a causé beaucoup de souffrance et la colère est légitime.
Alexa Dubourg, avocate générale
Elle assure que le parquet national anti-terroriste a tiré les leçons de ces erreurs, "même si rien n’est réparable" à présent. "Le parquet prend l’engagement de répondre aux appels des familles qui restent dans l’attente", promet l’avocate générale.
Elle conclut : "Nous avons conscience que ça ne suffira pas à apaiser les colères mais si cela a pu y contribuer, ne serait-ce que pour une victime, alors il fallait le dire."