Jeudi 8 décembre, les avocats de deux accusés contre qui ont été requis 15 ans de prison, ont plaidé devant la cour d'assises. L'avocate Adélaïde Jacquin a défendu son client, Ramzi Arefa, et Vincent Brengarth et William Bourdon ont plaidé pour Mohamed Ghraieb.
Depuis mercredi 7 décembre, après les réquisitions du parquet, les avocats des accusés ont débuté leurs plaidoiries devant la cour d'assises spécialement composée au procès de l'attentat de Nice. Ce jeudi 8 décembre, ce sont les avocats de deux hommes contre qui ont été requis 15 ans d'emprisonnement qui ont plaidé.
En premier lieu, dans la matinée, Maître Adélaïde Jacquin s'est efforcée de montrer qu'aucun élément du dossier ne prouve que son client Ramzi Arefa avait fait partie d'une association de malfaiteurs et encore moins une association de malfaiteurs terroriste (AMT).
Ramzi Arefa a été identifié comme un suspect dans l'enquête car c'est à lui que Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, l'auteur de l'attentat, a envoyé ses derniers sms quelques minutes avant de passer à l'acte sur la Promenade des Anglais. Dans ces deux sms, on pouvait lire : "Salam Ramzy, je suis passé tout à l'heure au taxiphone 16 rue Marceau je t'ai pas trouvé Je voulais te dire que le pistolet que tu m'as donné hier c'est très bien, alors on ramène 5 de chez ton copain 7 rue Miollis, 5è étage c'est pour Choukri et ses amis" et "Ils sont prêts pour le mois prochain".
Depuis le début du procès, Ramzi Arefa reconnaît qu'il a vendu une arme à Mohamed Lahouaiej-Bouhlel mais nie totalement avoir été au courant de tout projet terroriste. D'ailleurs, le parquet national anti-terroriste a demandé mardi 6 décembre à la cour d'assises d'abandonner la notion de "terroriste" dans cette association de malfaiteurs pour laquelle il est poursuivi.
Une radicalisation qui ne pouvait pas être repérée
Pour son avocate, Maître Adélaïde Jacquin, l'aspect terroriste de cette association de malfaiteurs doit être retiré des poursuites contre son client, notamment car il n'a pas pu percevoir la radicalisation de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel. Elle a rappelé que lors de son témoignage, François Hollande avait indiqué que cet homme n'avait pas été identifié comme pouvant passer à l'acte. De même, un enquêteur de la DGSI avait expliqué que les changements d'attitude du terroriste étaient des "signaux faibles" qui ne pouvaient pas forcément être repérés avant les faits.
De toute façon, elle assure que son client n'était pas proche du terroriste et encore moins des deux autres hommes accusés de faire partie de cette association de malfaiteurs terroristes, Mohamed Ghraieb et Chokri Chafroud. Entre Ramzi Arefa et ces deux hommes, il n'y a pas de photographies les montrant ensemble, ni même d'appels téléphoniques.
Concernant sa relation avec Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, c'était un "lien d'affaires", pour la vente de cocaïne puis d'une arme, indique-t-elle. Elle rappelle : ils n'ont jamais pris de café ensemble ou même vraiment discuté. L'ensemble de leurs conversations téléphoniques dure moins de 8 minutes au total et ils se sont rencontrés une dizaine de fois. "Ça devrait suffire pour considérer que Ramzi Arefa ne pouvait pas connaître la radicalisation de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel", conclut-elle.
"Monsieur Arefa n’est pas associé à la recherche de l’arme du crime"
Elle explique aussi que lorsqu'il reçoit le message "Ada", qui fait référence à une agence de location où s'est rendu le terroriste le 5 juillet 2016, Ramzi Arefa ne se déplace pas, comme le prouvent les bornages téléphoniques. "Il n'y a pas de précision, rien ! Juste trois lettres reçues à 11h09", dit-elle.
Cela permet à Adélaïde Jacquin de rappeler à la cour que son client n'est jamais monté dans le camion, il ne l'a même jamais vu. "C’est fondamental parce que c'est l’arme du crime, ce camion, explique-t-elle. Contrairement à ce que j’ai entendu dans les réquisitions : l’arme du crime, c'est le camion, et Monsieur Arefa n’est pas associé à cette recherche de l’arme du crime."
Le parquet national anti-terroriste, lors de ses réquisitions, avait dit que sans le pistolet acheté à Ramzi Arefa, le terroriste ne serait peut-être pas passé à l'acte. L'avocate a contesté ce point : "Quand il achète l’arme (le 12 juillet, ndlr), il a déjà loué le camion, il a déjà fait des repérages sur la Promenade : trois le 11 juillet et trois autres le 12 juillet au matin."
Concernant le sms envoyé par le terroriste quelques minutes avant de passer à l'acte, pour l'avocate "ce message résulte d’un complot, d’une perversion de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel". Elle poursuit : "C’est un jeu de piste sinistre, laissé aux policiers pour retrouver les personnes dont il est question."
Pour cette avocate, il n'y a "pas d'autre option qu'un complot" de la part du terroriste pour mettre en lumière ce message. Ce ne serait pas le seul message du terroriste qui a du sens mais qui ne reflète pas la vérité, explique-t-elle. Il y a, en effet, des messages où celui-ci dit être à un endroit alors qu'il est autre part, par exemple.
Le fait que ce message ait été retrouvé tout de suite après la mort du terroriste sur le téléphone déverrouillé, ouvert dans les messages envoyés, est là encore une preuve d'une machination de sa part, assure-t-elle à la cour. Les enquêteurs retrouveront ensuite plusieurs listes, en papier ou en photo dans le téléphone, avec plusieurs noms et coordonnées qui serviront de pistes pour débuter l'enquête. Les photos de la galerie du téléphone montrent plusieurs personnes à bord du camion ou devant celui-ci : là encore une preuve que le terroriste a voulu mêler son entourage à son crime. Et les appels depuis des téléphones qui ne sont pas le sien pour lier ces personnes entre elles alors qu'elles ne se connaissent pas. Un autre élément de ce "complot", dit-elle.
Mais alors, si complot il y a, pour quelle raison ? C'est une question que le président a posée à plusieurs reprises aux accusés et même aux témoins qui avaient été soupçonnés en début d'enquête : "Pourquoi Mohamed Lahouaiej-Bouhlel vous aurait-il impliqué là-dedans ? Pourquoi vous en voudrait-il ?"
C'est là que les explications semblent moins assurées que les preuves exposées sur l'existence d'une telle conspiration. Il existe une "étanchéité" entre son entourage d'origine tunisienne (Mohamed Ghraieb, Chokri Chafroud et d'autres personnes qui étaient soupçonnées en début de procédure) et sa vie "européenne" dans laquelle "il ne pense qu'à la salsa et au sexe".
Roger Battesti, son ami et amant, et sa tante, ont expliqué durant le procès qu'il avait honte de ses origines et qu'il se faisait passer pour un homme juif prénommé Salomon ou un Brésilien pour draguer les femmes. "Il ne se sentait pas bien, il aurait voulu être européen", argumente Adélaïde Jacquin pour justifier sa théorie.
Adélaïde Jacquin affirme que pour elle, il n'y a pas association de malfaiteurs ni terroriste, ni de droit commun. "Ce n’est pas autre chose qu’une transaction avec un vendeur et un acheteur", ce qui s'est passé pour le pistolet.
II attend depuis 6 ans qu’on entende ce dont il est coupable et ce dont il est innocent. L’horreur des crimes ne doit pas vous conduire à le condamner de façon extrêmement lourde pour apaiser les cœurs.
Adélaïde Jacquin, avocate de Ramzi Arefa
L'acquittement demandé pour Mohamed Ghraieb
Pour Mohamed Ghraieb, contre qui le parquet a requis 15 ans de prison pour AMT, ses avocats n'y sont pas allés par quatre chemins : ils demandent son acquittement.
"Aucun élément du dossier ne permet d’affirmer qu’il y a eu un acte positif de la part de Mohamed Ghraieb", assure son avocat Vincent Brengarth. Il a d'ailleurs rappelé à la cour que "le doute doit profiter à l’accusé", selon la loi française. "C’est un principe fondamental qui doit inspirer votre décision", insiste-t-il.
"Vous ne pourrez qu’acquitter Monsieur Ghraieb", demande-t-il. Selon lui, le condamner reviendrait à le condamner pour "avoir circulé à bord d’un camion" et "réceptionné des messages de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel et non échangé des messages".
Il assure également qu'il n'y avait "aucune espèce d’entente entre les deux hommes qui a pu être révélée ni par l’information judiciaire ni par les débats". Pourtant, les deux hommes se voyaient très souvent et ont eu de très nombreux échanges téléphoniques. Pour Vincent Brengarth, 1448 occurrences téléphoniques ne peuvent pas porter "le sceau d’une culpabilité".
Qu’est-ce qu’il reste au dossier ? Est-ce que vous avez un élément de discussion ? Des témoins d’une conspiration ?
Vincent Brengarth, avocat de Mohamed Ghraieb
Pour le message "Vers Ada", similaire à celui envoyé à Ramzi Arefa, "on ne peut rien en tirer parce qu'il y a une absence totale de réponse ni même de discussion".
Pour Vincent Brengarth, si Roger Battesti n'est pas accusé (il n'a même pas été mis en garde à vue), alors son client ne devrait pas l'être non plus. Il s'explique : "Monsieur Battesti lui donne sa voiture, un élément matériel, il est interrogé (par le terroriste, ndlr) sur la question de la location du camion, il a vu des vidéos de décapitation sur son ordinateur... Pourquoi est-ce que ce qui est valable pour Monsieur Battesti devrait ne pas l’être pour Monsieur Ghraieb ?"
"Une peine de 15 ans, c’est une peine d’une extraordinaire gravité", déclare-t-il, alors qu'il y a "matière à ce qu’il puisse être acquitté".
Vendredi 9 décembre, la défense terminera ses plaidoiries avec celles des deux avocats de Chokri Chafroud contre qui a été requis 15 ans de prison.