Chanel, Jacquemus... Comment Marseille est devenue une capitale de la mode

La maison Chanel a choisi Marseille comme lieu pour son prochain défilé croisière, collection présentée entre les célèbres Fashion Weeks. Une mise en lumière inédite de la ville qui s'impose, un peu plus, comme capitale d'une mode de l'entraide, ouverte sur toutes les cultures.

Chanel à Marseille. La nouvelle a fait grand bruit dans le milieu de la mode. Après Los Angeles, Monaco, Paris, La Havane ou encore Dubaï, la maison de haute couture a choisi d'organiser son prochain défilé croisière dans la deuxième ville de France, le 2 mai. Sera alors présentée dans un lieu encore inconnu la collection printemps 2025 de la griffe de luxe. Du jamais vu sous le soleil de Massalia. Dans un communiqué, la maison aux deux "C" indique avoir envie de célébrer "l'énergie et la vitalité culturelle d’une des plus effervescentes villes de Méditerranée". La reconnaissance de l’importance de Marseille, cœur battant d’une mode ouverte sur le large.

Marseille, sous les projecteurs

Ce n'est pas la première fois que la marque, dont la direction artistique est assurée par Virginie Viard, choisit de faire escale dans le Sud. En 2022, les mannequins avaient foulé le Carlo Beach Hôtel, à Monaco. En 2021, Chanel avait misé sur le décor enchanteur des Carrières des lumières, aux Beaux-de-Provence. Plus récemment, les silhouettes de la collection prêt-à-porter printemps/été 2024 étaient inspirées des jardins de la villa Noailles, haut lieu de l'art contemporain à Hyères. Mais cette fois-ci, c'est Marseille, et c’est un choix qui détonne.

"En tant que Marseillais, je suis ravi que Chanel choisisse cette ville, s'émeut Olivier Amsellem, fondateur du concept-store JoggingJogging, rue Paradis. On associe Chanel aux plus grandes capitales du monde, comme quelque chose d'inaccessible. C'est beau de venir ici, de présenter quelque chose qui fera date. On est touchés, nous qui représentons la mode depuis 10 ans à Marseille".

"Le choix de Chanel, c'est reconnaître la légitimité de Marseille, 10 ans après avoir été capitale de la mode et de la culture. Ce n'est pas rien pour la ville et ses habitants".

Photographe, ex-assistant des plus grands du milieu, comme Jean-Baptiste Mondino, Olivier Amsellem baigne dans le monde de la mode depuis les années 1990 à Marseille. Pour lui, le défilé Chanel est une opportunité de mettre la ville en lumière.

Invité au dernier défilé Chanel en pleine fashion week mardi 23 janvier à paris, Olivier Amsellem en a profité pour remercier la marque sur les réseaux de sa boutique :

"Il faut se rendre compte de la période dans laquelle on vit, ajoute-t-il. Venir à Marseille, cette ville dans laquelle il y a eu plus de 150 magasins pillés lors des émeutes l'été dernier, dont le mien, ce n’est pas anodin. Ca met du baume au cœur. Cette prise de position me touche."

Marseille, ville d’inspiration

Via sa boutique cofondée avec Charlotte Brunet, Olivier Amsellem a à cœur de mettre en lumière la jeune garde de la mode. Marine Serre, Charlotte Chesnais, mais aussi Simon Porte Jacquemus, dont les vêtements figurent sur les portants de Jogging depuis le début de sa carrière. Rihanna, Dua Lipa, Jennie des Blackpink... Aujourd’hui, le créateur habille les plus grandes stars à travers le monde.

Simon Porte Jacquemus a remis Marseille au cœur de la mode.

Olivier Amsellem


France 3 Provence-Alpes

"Simon fait partie de ces génies qui sortent d'un village des Bouches-du-Rhône (Mallemort, ndlr) et qui arrivent avec un sens de la com et du talent, et qui se fait une place, dans le monde de la mode. Et quelle place !"

En 2017, le jeune créateur encore peu connu présente sa collection "Les santons de Provence" à Marseille, sur la passerelle qui relie le Mucem à la place d'Armes du fort Saint-Jean. Une collection inspirée du vestiaire traditionnel provençal. L’événement fait date, dans la cité phocéenne. Et les images font le tour du monde de la mode.

Olivier Amsellem se rappelle "l'émerveillement des gens qui étaient présents, et des répercussions que ce défilé a eues dans le monde de la mode".

"C'est bien de donner de l'émerveillement à des gens qui ne se sentent pas forcément concernés par la mode. Au travers de ces défilés, ils peuvent se reconnaître dans quelque chose. Ça peut donner des idées à des jeunes."

Un an plus tard, Simon Porte Jacquemus dévoile son premier défilé homme dans la calanque de Sormiou.

Des déclarations d'amour à Marseille que le génial Jacquemus multiplie depuis le début de sa carrière. Il lui a même consacré un livre : "Marseille Je t'aime", des images compilées comme un poème pour rendre hommage à la ville au ciel bleu azur.

Pour son prochain défilé, ce lundi 29 janvier, Simon a de nouveau choisi la région Provence Alpes-Côte d'Azur. Après les champs de lavande de Valensole ou les montagnes de sel des Salins de Giraud, la collection 'Les Sculptures", inspirée des œuvres d'Alberto Giacometti, a défilé à la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence, dans les Alpes-Maritimes.

EN IMAGES. Gigi Hadid, Emily Ratajkowski, Kylie Jenner et Julia Roberts... Défilé de mode ultra-glamour à Saint-Paul de Vence

Marseille, un réseau qui fédère

Le fondateur de la maison Jogging n'oublie pas de citer les noms de ceux qui ont œuvré pour la mode à Marseille. A commencer par Maryline Bellieud-Vigouroux, qui, dès 1986, s'est fixée comme objectif de faire de Marseille une ville de mode, en développant la formation aux métiers de la mode, et en soutenant les marques émergentes.

C'est elle qui est à l'origine de la création de la Maison Mode Méditerranée (MMM) en 1988, longtemps présidée par le couturier tunisien Azzedine Alaïa. Maryline Bellieud-Vigouroux a posé la première pierre du musée de la mode au château Borély. Elle a également lancé le festival OpenMyMed, qui fait découvrir au grand public de nouveaux talents, dont le jeune... Simon Porte Jacquemus, en clôture du festival, avec ses santons. 

Maryline Bellieud-Vigouroux a eu l'idée de rassembler autour de la mode à Marseille, beaucoup de designers et de talents.

Olivier Amsellem

Depuis, nombreuses sont les marques à avoir éclos dans cet écosystème marseillais : Sessun, American Vintage, La Nouvelle, Noo, Le Temps des Cerises, Gas Bijoux, Sugar, Ginette NY, Marianne Cat, et bien d'autres. 

Marseille, ville créative

"Ce n'est pas simplement Chanel qui vient défiler. C'est Chanel et tous les métiers de la mode. Toute cette création, ces traditions, des milliers de petites mains d'œuvre", insiste le fondateur de la maison Jogging. Une référence au 19M, lieu Chanel dédié à la création des métiers de la mode, dans un bâtiment dessiné par l'architecte marseillais Rudy Riciotti.

"Chanel, ce n'est pas juste des gens qui défilent sur un tapis avec des tailleurs comme dans les années 1930. C'est tout un savoir-faire, et à Marseille, il y a ce savoir-faire"

Un savoir-faire défendu par l'association Fask, réseau des professionnels de la mode en région Paca. Le réseau a également son école : la Fask Academy, qui permet aux 15-18 ans de se former et d'obtenir un CAP couture.

"Notre ville est connue et reconnue pour générer de l'innovation, technique et artistique", explique le fondateur du réseau Fask, Jocelyn Meire. "Les couleurs de la ville, l'atmosphère, le climat, la position géographique, tout est propice à la créativité"

On est ravis qu'une grande maison comme Chanel reconnaisse la capacité de notre territoire à générer de la créativité et de l'innovation.

Jocelyn Meire, fondateur du réseau Fask

"A Marseille, la créativité, c'est faire avec les moyens du bord. Avec ce qu'on a sous la main, comme ses couleurs incroyables. Chanel, Jacqemus, ou d'autres, ils viennent chercher ça, cette inspiration."

Marseille, ville au croisement des cultures

La situation géographique de Marseille et son histoire est aussi dans l'ADN de la mode et des créations. "C'est une ville où il y a une grande mixité, plusieurs cultures et des talents qui se mélangent", insiste Olivier Amsellem.

"A Marseille, ville cosmopolite, portuaire, on revendique cette différence qui fait cette unité", note Jocelyn Meire.

Une identité racontée en détails par Marlyne Bellieud-Vigouroux dans le dossier "Histoire de la mode à Marseille", en 2013 : "Depuis plusieurs décennies, [la mode] est, à Marseille et dans le monde, un exemple parfait d’intégration réussie composée de toutes ces communautés qui, par leur savoir-faire, se sont imposées." Un apport culturel et artisanal qui a fait de Marseille une capitale à part, dans le domaine. 

Dans une interview pour le magazine Antidote, Simon Porte Jacquemus expliquait s'inspirer de cette mixité : "[Marseille] a influencé ma personne et l’envie de ne pas avoir de frontières avec les gens, j’ai toujours eu envie d’être proche de tous, et cette ville le permet naturellement. "

Marseille, ville bleue et blanche

Marseille, c'est aussi un décor sans pareil. Une ville bras ouverts sur la mer et le soleil couchant. Un ciel bleu lavé par le mistral. Une source d'inspiration pour les plus grands artistes depuis toujours. Cezanne, Derain, Bracq. Entre autres. Et pour tous les créateurs.

Simon Porte Jacquemus n'est pas le seul à avoir misé sur le décor phocéen. Christelle Kocher, créatrice de la maison parisienne Koché, a présenté sa toute première collection croisière à Marseille, sur le navire Danielle Casanova, en 2018. Un bateau qui relie la cité phocéenne à la Corse, à l'Algérie à la Tunisie. Un symbole fort pour la designeuse. "C'est une grande métropole, une ouverture sur l'Europe, un point de jonction avec l'Afrique. C'est une ville de contraste. Tout comme Koché qui est un mélange entre le classique et le moderne", confiait-elle alors à La Provence.

Marseille, loin de l'élitisme

Plusieurs écoles de mode et de création sont implantées à Marseille, dont la première école de mode engagée, le studio Lausié. Un établissement qui enseigne les techniques de la mode écoresponsable depuis 2021. Sa fondatrice, Marion Lopez, est également à l'origine d'un collectif, Bàti Bàti, qui réunit les acteurs de la mode engagée dans la cité phocéenne. Parmi eux, Charlotte Labigne, créatrice de la marque "Marj Label", et confondatrice du collectif.

Le credo de Bàti Bàti : dévoiler une autre facette de la mode, propre à Marseille. "On veut montrer qu'ici, on n'est pas dans la compétition, on est dans l'entraide, la débrouille. C'est quelque chose que je vis au quotidien." Un art de vivre qui déteint sur les créations. 

A Marseille, il y a vraiment ce sentiment qu'avec peu de choses, on peut faire beaucoup. Grâce à une communauté qui est soudée. C’est une ville créative qui n'a pas besoin d'être dans l'élitisme. Et c'est libérateur.

Charlotte Labigne, créatrice de la marque Marj Label

Derrière le terme "mode engagée", on parle d'écoreponsabilité et d'upcycling. Produire de façon raisonnée, éviter la surproduction, utiliser des matières durables à faible impact environnemental, voire utiliser des matières qui existent déjà, la récupération. "Et ça va même plus loin, développe-t-elle. On parle d'une mode inclusive : dans les représentations des corps, des genres, des origines sociales, culturelles, ethniques."

Marseille, c’est autant la Pointe Rouge que les quartiers Nord. Le Roucas que la Belle de Mai. Les claquettes chaussettes et le survêtement sont dans l’ADN de la planète Mars. Pour le meilleur, selon Charlotte Labigne. "Marseille, on pense au côté urbain. On pense au rap, au streetwear, à la streetculture, aux tags du Cours Julien... c'est tout ça. Marseille n'est pas une ville lisse, c'est la beauté de la diversité. Avec tous ses quartiers différents, toutes ces personnes qui se côtoient".

"Il y a un chaos que j'adore, c'est la richesse de Marseille : faire coexister des choses qui peuvent être en apparence opposées."

Marseille, après Chanel

Pour Charlotte Labigne, le défilé Chanel est une très bonne nouvelle, "pourvu que cela s’inscrive dans la durée."

"On est ravis que Marseille soit placée sur la carte de la mode. On espère que ce ne sera pas éphémère, que les marques parisiennes puissent créer de l'emploi ici, et s'installer à plus long terme. Il y a beaucoup de talents ici"

Jocelyn Meire, fondateur du réseau FASK, s'intéresse lui aussi à "l’après Chanel" : "Quoiqu'il en soit, ça sera positif, c'est une super bonne nouvelle, pour tout ce que ça génère, en impact d’images qui seront vues dans le monde entier. Mais peut-on penser en faire autre chose ?  Est-ce qu’on peut en profiter pour discuter de ce qui se passe ici tout au long de l’année ?" 

Pour lui, l’enjeu est évidemment au-delà du défilé. "Tout le monde n'aura pas sa chaise le long du catwalk. Mais l'écosystème de la mode à Marseille est prêt à échanger. Et si cet événement permettait à des créateurs locaux d'en retirer quelque chose ?"

"Depuis des siècles, notre territoire est un territoire de création. Marseille va inscrire Chanel à son pedigree. C'est formidable. Mais chiche ! Faites-nous profiter de tout ça. Chiche ! On peut vous faire rencontrer des personnes qui pourraient vous surprendre". Chiche, Chanel ?

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