Covid : un an après le #Lancetgate, retour sur la saga de l'hydroxychloroquine portée par le Pr. Raoult à Marseille

Alors que le débat sur l'usage de la chloroquine fait rage, la publication puis le retrait d'une étude dans la revue The Lancet en juin 2020 déchire encore plus soutiens et détracteurs de la molécule, que défend le Pr Raoult à Marseille. Un an plus tard, où en est ce traitement contre le Covid-19 ?

Nulle part dans le monde, l'autorisation d'un traitement à base d'hydroxychloroquine pour soigner les malades du Covid-19 n'aura déchaîné les passions comme ce fut le cas en France. Une folie qui doit beaucoup à son chantre français, le médiatique et controversé Pr Didier Raoult de l'Institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infection de Marseille. 

Cette bataille autour de la chloroquine aura laissé de profondes traces, autant dans la communauté scientifique que dans l'opinion publique.

Sorti le 3 juin chez Gallimard, le livre des journalistes Ariane Chemin et Marie-France Etchegoin, Raoult une folie française, apporte un nouvel éclairage sur l'icône qu'est devenue Didier Raoult, et qui reste aussi détestée qu'adulée. 

Un an après le scandale du #Lancetgate, qui aura entaché la réputation de la molécule malgré le retrait de l'étude "foireuse", et son abandon par la plupart des médecins, où en sont les études et les traitements à base de chloroquine à ce jour ? Commençons, d'abord, par un retour sur cette "saga" de la chloroquine :

Acte I - L'espoir d'un remède à base d'hydroxychloroquine

"Ce coronavirus n'est pas si méchant" : pour l'une de ses premières interventions médiatiques, le Pr Didier Raoult, encore inconnu du grand public, se veut rassurant. "Il n'y a pas de raison d'avoir peur", affirme-t-il sur RMC le 3 février 2020, alors que les premiers français rapatriés de Wuhan sont arrivés en France depuis quelques jours. 

Malgré la montée en puissance de l'épidémie en France, le directeur de l'IHU Méditerranée Infection persiste, et clame la "fin de partie" grâce à une molécule miracle : la chloroquine. Un antipaludéen généralement utilisé contre des maladies auto-immunes, comme le lupus ou la polyarthrite rhumatoïde, dont le dérivé est l'hydroxychloroquine.

Pour des français inquiets et désemparés par la première vague de cette nouvelle épidémie, l'hydroxychloroquine apparaît comme un nouvel espoir, et le Pr Raoult commence à l'administrer à ses patients marseillais sous une forme expérimentale, couplée avec un antibiotique appelé azithromycine. 

Outre-Atlantique, un autre personnage défend l'usage de l'hydroxychloroquine : il s'agit pas moins que du président américain Donald Trump, qui ne tarit pas d'éloge pour ce qu'il qualifie de "don du ciel".

Déjà controversé et en conflit avec d'autres médecins, le Pr Raoult tente de convaincre la communauté scientifique en produisant plusieurs études et essais sur le sujet à l'IHU. Mais très vite, plusieurs chercheurs critiquent vivement la méthode de ses expérimentations, menées sur de faibles échantillons, avec des biais méthodologiques et des patients exclus de l'étude. 

Acte II - Des premiers doutes à l'étude du Lancet

En parallèle, la presse fait état de plusieurs décès de patients en arrêts cardiaque après avoir pris de la chloroquine. Cette molécule, en effet, est cardiotoxique, et peut avoir de lourds effets secondaires sur les patients. 

Le débat tourne rapidement à la polémique nationale entre les pros et anti-hydroxychloroquine. Didier Raoult, très soutenu par certaines communautés sur les réseaux sociaux, reçoit aussi l'appui sans faille de certains élus, comme Renaud Muselier ou Valérie Boyer (LR) en région Paca. 

À ce moment là, des médecins tirent la sonnette d'alarme face aux cas d'automédication, qui augmentent avec la médiatisation effrénée de la molécule. Sous pression, les autorités françaises décident tout de même de l'autoriser par décret fin mars, réservant la délivrance de la molécule pour les cas Covid-19 graves en milieu hospitalier

Sauf que tout s'écroule le 22 mai 2020. La prestigieuse revue médicale britannique The Lancet publie une étude qui vient confirmer les craintes de la communauté scientifique : l'hydroxychloroquine, associée ou non à l'antibiotique azithromycine, augmenterait la mortalité et les arythmies cardiaques chez les patients atteints de Covid-19. 

Très vite, l'OMS annonce la suspension de son usage dans le cadre d'essais cliniques internationaux.

Ce retournement de situation impacte aussi la France : le 27 mai, Olivier Véran met fin à la dérogation permettant l'utilisation de la molécule à l'hôpital. Les seize essais cliniques utilisant l'hydroxychloroquine sont immédiatement suspendus à la demande l'Agence de sécurité nationale du médicament (ANSM). 

La réputation du chantre de l'hydroxychloroquine, Didier Raoult, en est profondément égratignée. Le promoteur de la molécule en France parle d'étude "foireuse", et traite ses auteurs de "pieds nickelés de la science".

Acte III - #Lancetgate et désamour pour la chloroquine

Quelques jours plus tard à peine, le 4 juin, The Lancet annonce le retrait de l'étude. La raison : de sérieux doutes sur la véracité des données fournies par la société américaine Surgisphere. Cette dernière affirmait avoir récolté les informations médicales "de 96.000 patients dans 671 hôpitaux sur six continents."

Autre revue prestigieuse, le New England Journal of Medicine (NEJM) lui emboite rapidement le pas et retire une autre étude réalisée avec la même base de données. L'OMS rétropédale, et annonce la reprise de l'essai clinique Solidarity.

Malgré ce qui semble être une victoire pour la molécule, l'espoir qu'elle suscitait est déjà retombé. L’OMS finira par renoncer aux essais sur ce traitement, concluant qu'il ne réduit pas le taux de mortalité des malades du Covid-19. 

Le 15 juin, les autorités américaines retirent l’autorisation d’utiliser en urgence l'hydroxychloroquine : "il n'est plus raisonnable de croire que l'administration de chloroquine soit efficace dans le traitement du Covid-19". Quelques jours plus tard, le groupe pharmaceutique suisse Novartis met fin à son essai clinique faute de participants.

À la fin de l'été 2020, Didier Raoult est visé par une plainte de l'Ordre des médecins, qui l'accuse d'avoir enfreint des règles déontologiques. En octobre 2020, l'Agence nationale de sécurité du médicament refuse à l'IHU une recommandation temporaire d'utilisation (RTU) à l'hydroxychloroquine.

Ses soutiens ne décolèrent pas : "Laissez le professeur Raoult et les médecins de l'IHU soigner !", s'insurge alors Renaud Muselier

Qu'en est-il aujourd'hui ? 

Au mois de janvier 2021, une lettre scientifique publiée sur le site de l'IHU apparaît comme un aveu pour les détracteurs de la chloroquine. Ils y reconnaissent qu'elle permet de réduire la charge virale, mais pas la mortalité. 

Immédiatement, Raoult dément. "L’efficacité de HCQ-AZ pour réduire la durée du portage viral, montrée dans notre étude IJAA, a été confirmée, avec par la suite la démonstration d’une efficacité sur la mortalité. Nous n’avons jamais changé d’avis", répond simplement le professeur sur Twitter.

Malgré les revers, le spécialiste des maladies infectieuses reste toujours très populaire, en particulier à Marseille. Sur les réseaux sociaux, des dizaines de pages et groupes animés par des internautes continuent de relayer et soutenir ses prises de position. 

Il a aussi porté plainte en retour contre le président du Conseil national de l'ordre des médecins, l'accusant de "harcèlement".  

Aujourd'hui et depuis le mois d'octobre 2020, l'OMS estime que le traitement a "peu ou pas d'effet sur les patients hospitalisés". L'institution déconseille même le recours à l'hydroxychloroquine comme traitement contre le Covid-19.

Depuis, plusieurs dizaines d'essais cliniques randomisés ont conclu à l'inefficacité de la molécule contre le Covid-19. Plus généralement, la communauté scientifique mondiale n'envisage plus la chloroquine comme un remède efficace contre l'épidémie. 

L'IHU de Marseille, toutefois, continue de défendre son traitement et de prescrire la molécule à certains patients atteints par le Covid-19, toujours en combinaison avec l'azythromicine.

Ailleurs dans le monde, d'autres hôpitaux ont emboîté le pas du celèbre professeur. C'est le cas du Brésil ou de l'Afrique, où le chef du service des maladies infectieuses de l'hôpital Fann de Dakar estime que cette association est "bénéfique pour soigner les malades dans un état peu sévère". 

Le 27 mai dernier, Didier Raoult a annoncé sur Twitter avoir publié une nouvelle étude, montrant selon lui "l'efficacité de la bithérapie précoce HCQ+AZ" sur un groupe de plus de 10.000 patients.

Vendredi 4 juin, il ajoute que de nouveaux résultats ont été transmis pour publication dans une revue scientifique, prouvant que la mortalité d'un groupe de patients traités par cette association avait été "diminuée de 30%".

Le même jour, le site américain BuzzFeedNews a révélé l'existence d'un email du 25 mars 2020 signé par Jean-François Delfraissy, le président du Conseil scientifique, dans lequel il se plaint d'être victime d'une "énorme pression politique" pour autoriser l'accès à l'hydroxychloroquine en France. La saga de la chloroquine n'est donc pas terminée... 

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