ENTRETIEN. "C'est un réel point de bascule", comment le drame de la rue d'Aubagne a bousculé le destin politique de Marseille

À quelques heures de l’ouverture du procès des effondrements de la rue d'Aubagne, le journaliste et documentariste marseillais Gilles Rof, explique en quoi ce drame est venu bouleverser l’échiquier politique local.

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Cinq ans après l'effondrement de deux immeubles rue d'Aubagne, un procès hors norme s’ouvre le 7 novembre devant le tribunal correctionnel de Marseille. Des dizaines de parties civiles et proches des victimes attendent que soient clairement établies les responsabilités dans cette catastrophe qui a coûté la vie à huit personnes, ensevelies sous les décombres. Au-delà du drame humain, cet événement a provoqué une onde de choc politique qui a changé le destin de la ville de Marseille. Gilles Rof, correspondant du journal Le Monde à Marseille et auteur en 2019 du documentaire "Gaudin, l'heure de l'inventaire", explique pourquoi à France 3 Provence-Alpes. 

France 3 Provence-Alpes : comment le journaliste que vous êtes a vécu ce drame de la rue d'Aubagne ?

Gilles Rof : En tant que Marseillais, ayant habité rue d'Aubagne, ça a été un temps très fort et très dur à couvrir professionnellement parce qu'il y avait une dimension affective profonde. Et puis, cela a été un moment de bascule de cette ville que j'ai vu changer d'un seul coup. Et j'ai vu le changement se concrétiser sous mes yeux.

On assiste très vite à un rassemblement spontané des Marseillais sous les fenêtres de Jean-Claude Gaudin, ce maire réélu quatre fois qui bénéficiait toujours, malgré son âge, ses défauts, son inertie, d'une aura de sympathie. Pour la première fois, on entend des slogans anti-Gaudin hyperviolents, et notamment le “Gaudin assassin” qui résonne dans la rue d'Aubagne immédiatement après la catastrophe.

Quelles sont les erreurs commises par Jean-Claude Gaudin et son équipe dans les moments qui ont suivi drame ?

Des erreurs d'appréciation et de communication. Après son communiqué de presse désignant la pluie comme responsable, Gaudin s'enferme dans son bureau, c'est un symbole très fort. Et puis il y a cette "fête du chocolat" qui n'est pas annulée. Quelques jours après le drame, les manifestations convergent vers la mairie et à la place du dialogue, il y a cette réponse policière, des lacrymogènes, des barrières autour d'une mairie qui se retrouve assiégée. Et Jean-Claude Gaudin qui reste retranché, ce qui est très mal perçu par la population. Trois jours après le drame, lors de la première conférence de presse, il lâche un "je ne regrette rien" qui sera repris partout, ça passe mal.

La rue d'Aubagne, c'est un révélateur incroyable : il montre à quel point le système Gaudin est déconnecté de sa ville et son administration n'est pas à la hauteur de la crise.

Gilles Rof, correspondant du journal Le Monde à Marseille

France 3 Provence-Alpes

Il y a une rupture du maire en fin de règne avec le "peuple" marseillais ?

Dans les semaines suivantes survient une série de révélations qui entachent le camp Gaudin et éclaboussent la droite marseillaise, laquelle compte dans ses rangs des propriétaires de logements jugés indignes. Le voile se lève sur un système. On sent pointer ce sentiment que des élus d'un microcosme local jouissent d'une sorte d'impunité. Là encore, la communication est désastreuse. Cela devient une crise politique.

Comment expliquer ce renversement de l'opinion publique ?

Une grosse partie de la population de la ville, qui n'est pas issue du microcosme bourgeois des beaux quartiers, mais qui est capable de se mobiliser et de manifester, s'identifie dans ce drame.

Les gens sont touchés de manière intime, soit parce qu'ils étaient riverains, proches du quartier, qu'ils y avaient vécu ou que leurs enfants fréquentaient l'endroit. On remarque que des élus de l'actuelle municipalité habitaient rue d'Aubagne, ce qui a créé une proximité par opposition avec une administration Gaudin hors sol. Cet électorat ne constitue pas la clé unique, mais l'une des clés de la victoire du Printemps marseillais aux élections municipales de 2020.

S'ensuit une vague d'arrêtés de périls et de délogements, que penser de la gestion opérationnelle de cette crise ?

Cette catastrophe révèle aussi une administration défaillante. Le balancier part complètement dans l'autre sens : de la négligence absolue et pour se prémunir d'un quelconque effondrement bis, on verse dans la psychose totale. Dès qu'un signalement est donné, on évacue, on décrète des arrêtés de péril malgré l'incapacité de gérer les relogements, de gérer les gens, d'aller vite, de décider si un bâtiment doit rester fermé ou pas... autant d'éléments qui montrent à quel point l'administration municipale n'était absolument pas armée pour répondre à cette question de l'habitat indigne, parce qu'elle ne se l'était jamais posée.

Les collectifs et les militants ont joué un rôle déterminant en poussant les autorités à bouger. Ils ont plus réfléchi sur l'habitat indigne que les autorités qui auraient dû le faire.

Gilles Rof, journaliste et documentariste

France 3 Provence-Alpes

Pourtant, tout était écrit noir sur blanc dans le rapport Nicol sorti en 2015, "100 000 Marseillais habitent dans un logement indigne", balayé d'un revers de main par Gaudin qui ne voyait là qu'un coup politique. Avec ce drame, il apparaît clairement que rien n'a été fait entre 2015 et 2018.

Comment la nouvelle municipalité gère-t-elle la question de l'habitat indigne ?

Le discours a changé : il faut éradiquer le logement indigne. La Ville, qui transmet systématiquement tous les dossiers au parquet, montre qu'elle a envie d'avancer. Mais c'est un sujet qui reste très compliqué à manœuvrer après des décennies de dérives. Il y a une vraie lenteur qui s'explique. Les propriétaires privés, les bailleurs, les syndics font-ils ce qu'il faut ? Les outils de contrôles sont-ils suffisants ? Non.

On est passé de 10 à 150 personnes au service du logement de la Ville, l'effort est réel, mais 150 pour 40 000 logements insalubres, c’est insuffisant. La première rénovation officielle lancée par la société publique qui a été créée pour réhabiliter le centre-ville vient d'être lancée en octobre, soit six ans après la catastrophe. Aujourd'hui, certes, sur le plan politique, la question de l’habitat indigne fait consensus.

Ce procès peut-il avoir des conséquences politiques aujourd'hui ?

Non, Jean-Claude Gaudin est mort, la carrière de son ex-adjoint Julien Ruas, sur le banc des prévenus, est plutôt derrière lui que devant, la droite marseillaise n'est finalement pas trop éclaboussée par le procès… Les conséquences politiques ont déjà eu lieu. Mais avec le problème de l'habitat indigne, l'éléphant est toujours dans la pièce et tous ceux qui aspirent à des responsabilités politiques n'auront d'autre choix que le prendre à bras-le-corps.

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