Au premier tour des élections législatives, le Rassemblement national arrive en tête en Provence-Alpes. Le second tour engendrera des duels et des triangulaires au gré des maintiens de candidatures. "La politique qui est menée ou les programmes proposés ont très peu de poids", commente la politologue Christèle Lagier. Elle répond à nos questions.
Le Rassemblement national arrive en tête du premier tour des législatives anticipées en Provence-Alpes. Le deuxième tour entraînera des duels, des triangulaires selon les candidats qui se maintiennent ou se retirent. Dans la région le taux de participation était de presque 67% , soit près de 20 points en moyenne supérieure à celle des législatives de 2022, et atteint plus de 70% dans les départements alpins. La politologue Christèle Lagier, maître de conférences à l'université d'Avignon, revient sur les choix des électeurs pour France 3 Provence-Alpes.
Que dire de la progression du RN dans le département des Bouches-du-Rhône ?
Christèle Lagier : Je ne suis pas très étonnée, on est sur des territoires dans lesquels le Rassemblement national est enraciné, en progression constante d'élections en élections, mais aussi où une partie significative des électeurs fait des allers-retours fréquents entre la droite et l'extrême droite. Avec une droite peut-être un peu plus à droite qu'ailleurs qui apporte plus facilement son soutien à ce parti-là, lequel apparaît aujourd'hui comme une formation politique légitime à laquelle on peut apporter son suffrage.
A contrario, Le Nouveau Front populaire peut-il créer la surprise à Marseille ?
Les grandes agglomérations, comme Paris, Lyon, Marseille sont les moins favorables au RN. Les enseignements de la sociologie électorale montrent que là où tous les verrous peuvent sauter face à l'extrême droite, le seul verrou qui tienne encore est le niveau de diplôme. Dans les grandes villes, vous avez des niveaux de diplômes qui sont plus élevés, et la probabilité de vote RN est trois fois moindre avec des diplômes supérieurs et trois fois plus forte chez les électeurs qui n'ont pas le Bac.
Dans les grandes agglomérations, il y a plus de mixité, les populations ne se côtoient pas seulement dans des espaces de pauvreté, mais aussi dans ceux des milieux favorisés. Cela reste un barrière au vote RN.
Christèle Lagier , enseignante en sciences politiquesFrance 3 Provence-Alpes
À Martigues (13ᵉ circonscription), l'édifice communiste du député sortant Pierre Dharréville semble se fissurer ?
Il faut replacer ces législatives dans la suite des européennes. La décision de la dissolution prise par le président de la République ne peut pas avoir été prise sans conscience du risque : c'était donner la possibilité au RN de s'inscrire dans sa dynamique et effectivement, c'est comme si les gens avaient confirmé leur vote aux européennes. On est dans un scrutin qui donne une prime aux formations politiques majoritaires qui sont les plus dynamiques. Donc forcément, les candidats sortants peuvent pâtir de cette forme de mouvement. C’était donc attendu que le RN soit le mieux placé d’une manière générale dans ces élections législatives, y compris dans des bastions communistes comme Martigues.
Anne-Laurence Petel (14ème des BDR), candidate sortante de la majorité présidentielle arrivée troisième, refuse de se désister ? Un risque confusion ?
Le moins qu'on puisse dire, c'est que c'est que le message est confus. Les messages nationaux délivrés dimanche soir ne sont pas clairs, à l'exception de celui du Nouveau Front populaire qui en appelle au désistement de ses candidats en cas de triangulaire. Les élus doivent donc prendre leurs responsabilités. Le président Macron a fait le choix de cette dissolution et je ne peux imaginer qu'il n'ait pas envisagé ce scénario. Mais on voit bien la difficulté pour la majorité présidentielle qui n'est pas un parti au sens traditionnel du terme, qui est un parti conçu par Emmanuel Macron, de faire respecter un certain nombre de consignes.
Emmanuel Macron a donné les clés de l'Assemblée nationale au RN en lui offrant la possibilité d'avoir a minima une majorité relative et au maximum une majorité absolue.
Christèle Lagier , politologueFrance 3 Provence-Alpes
Alors, on se retrouve avec des candidats qui vont prendre des libertés pour tirer leur épingle du jeu au plan local. Et puis, se maintenir, c'est finalement être fidèle à l'argumentation développée au long de cette campagne, "ni l'extrême droite, ni l'extrême gauche".
La question du non-respect des consignes nationales ne se pose pas que pour la majorité présidentielle...
C'est tout le risque d'une stratégie ultra-personnalisée qui atteint ses limites, dès lors que la figure du "sauveur" ne rassemble plus, ou ne semble pas pouvoir garder la majorité. Aujourd’hui, chaque responsable politique qui se trouve en désaccord, crée son parti. Ça ne fonctionne pas comme ça. Pour mobiliser les citoyens, un travail d'intermédiation doit être effectué, sur le terrain, par des militants, or ce sont des choses qui sont complètement abandonnées parce que la communication politique occupe une place très importante. Avec les revers que cela occasionne.
Vous pouvez avoir une popularité phénoménale qui va retomber de manière systématique, quand les liens qui sont tissés avec les organisations partisanes sont des liens faibles.
Christèle Lagier, maitresse de conférence à l'université d'AvignonFrance 3 Provence-Alpes
Cela peut d'ailleurs se produire avec Jordan Bardella dans les mois qui viennent. Il bénéficie d'un effet communicationnel très fort. Mais derrière, il faudra qu'il réponde aux attentes des électeurs qui ont voté pour lui au motif du "on n'a jamais essayé" : si l'essai n'est pas concluant, il risque de subir la même forme de discrédit. La politique qui est menée ou les programmes proposés ont très peu de poids au bénéfice de la communication politique et du buzz.
Est-ce que quelque chose peut changer en une semaine jusqu'au second tour ?
Il est trop tard, c'est soit une majorité relative au RN, soit une majorité absolue. Rien ne peut changer dans le temps de cette semaine, entre la confusion sur les désistements et de dissensions au sein des différents camps. Par ailleurs, il y a eu un effet de dramatisation du scrutin, la participation a été très forte, mais il faut la replacer dans quarante ans de décroissance de participation aux élections. Aujourd'hui, on a une abstention intermittente, majoritaire, les électeurs ne votent pas de manière systématique, les gens entrent et sortent de l’abstention et la volatilité des électorats est importante. Et je ne pense pas que le spectacle donné dimanche soir sur les plateaux de télévision a contribué à ramener une partie significative des citoyens vers les urnes.