Témoignages. "C’est impossible de penser à autre chose" : un an après le drame de la rue de Tivoli à Marseille, l'inoubliable traumatisme des riverains

Publié le Écrit par Annie Vergnenegre

Un an après l’explosion au 17 rue de Tivoli, dans le 5ᵉ arrondissement de Marseille, qui a causé l’effondrement de deux immeubles et la mort de huit personnes, les habitants du quartier Camas restent profondément marqués par le drame.

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Jean-Pierre Giusiano a acheté son appartement au 37, rue Abbé de l’Epée, à l’angle de la rue Tivoli, il y a 27 ans. Et il ne se voit pas vivre ailleurs. La déflagration qui a retenti à 00 h 46 au numéro 17 rue de Tivoli, dans la nuit du 8 au 9 avril 2023, l’a brusquement tiré de son premier sommeil.

>> Quand le 17 de la rue Tivoli à Marseille s'effondrait, tuant huit personnes : récit d'une nuit cauchemardesque

De son fénestron donnant sur la rue, Jean-Pierre Giusiano a pu apercevoir l’immeuble d’en face effondré. "J’ai compris qu’il y avait eu une explosion"Dans la panique, le couple s’est rué à l’extérieur avant de remonter rapidement prendre quelques affaires. De son balcon, Jean-Pierre Giusiano a pris la mesure du drame. "C’est violent, surtout que j’ai vu l’immeuble à côté, le 15, qui était totalement éventré, ils ont été évacués par une nacelle, j’ai vu ça sous mes yeux, c’est une vision qui m’est restée". Et à 7h45, il a vu le 15 s’effondrer à son tour. 

Comme leurs voisins, les Giusiano ont été évacués dans la demi-heure qui a suivi l'explosion, en pleine nuit. Ils ont pu revenir le lendemain matin pour récupérer quelques effets personnels. Trois fois rien. 

"On campe, on tourne avec peu d’habits"

Depuis la mise en place du périmètre de sécurité, ils peuvent venir chercher des affaires sur rendez-vous. "Je peux y aller toutes les semaines, pour prendre des vêtements, mais on campe un peu quand même, on tourne avec peu d’habits", explique Jean-Pierre Giusiano, qui est membre du collectif "Tivoli 9 avril".

"Six jours après l’explosion, ils ont mis des butons sur la façade de notre immeuble pour soutenir l’immeuble d’en face, 19 rue de Tivoli, parce qu’il risquait de s’effondrer, le mur pignon au 17 s’était effondré, une partie du toit aussi, donc il était énormément fragilisé, explique le propriétaire, depuis plus personne ne peut accéder au quatre immeubles, au croisement entre Abbé de l’Epée et Tivoli".

Après quelques nuits de dépannage en famille, à l’hôtel, et chez une amie, les Giusiano ont trouvé rapidement une location grâce à une personne "solidaire". Leur assureur paie le loyer. La prise en charge accordée par leur contrat pour un an a été reconduite jusqu’au 31 octobre.

"Des procédures très longues qui nous désespèrent"

Jean-Pierre n’a aucune certitude de réintégrer son duplex d’ici là. Etudes et litiges avec les assurances ont retardé le début des travaux de mise en sécurité du 19 : "ça a pris six mois pour que la situation se débloque sur les solutions techniques", note-t-il. Les travaux sont achevés depuis 15 jours. "On a eu un communiqué de la mairie qui nous indique qu’il y a une période d’observation jusqu’au mois de juin, sous réserve des conclusions de cette période, si tout va bien, ils enlèveront l’interdiction d’occupation". Quatre-vingt cinq personnes attendent cette décision pour rentrer chez eux. 

Pour les Giusiano, ça se complique. Des problèmes structurels, sans lien direct avéré avec l’explosion, ont été diagnostiqués sur leur immeuble. Des travaux de consolidation seront nécessaires. Des frais que l’assurance ne prendra peut-être pas en charge. "Il y a encore tout un tas de procédures très longues qui nous désespèrent, mais on n’a pas le choix", confie Jean-Pierre. 

Le provisoire n’en finit pas. 

J’espérais rentrer au mois d’avril, après mai, après juin..., et là, on commence à se dire qu’on va passer l’été ailleurs encore, on ne sait pas trop. 

Jean-Pierre Giusiano, membre du collectif Tivoli 9 avril

France 3 Provence-Alpes

Pour Jean-Pierre, comme pour beaucoup, il y a un avant et un après 9 avril. "Le souci, c’est que c’est impossible de penser à autre chose, on a beaucoup de mal à travailler", confie l’artisan. Son épouse, bibliothécaire à l’Alcazar, est toujours en mi-temps thérapeutique.

"C’est difficile de ne plus voir ces deux immeubles, ça transforme le quartier, il va y avoir des travaux, ils ont le projet de reconstruire le 15 et le 17 probablement, ça va être long, la rue Tivoli va être fermée aussi encore pendant des années, c’est sûr que ça va beaucoup changer de choses dans notre quotidien". Pour autant, le Marseillais n’envisage pas de partir. "Je n’ai pas envie d’aller habiter ailleurs, on est attachés au quartier", conclut-il. 

Un son "immonde"

"Tous les jours, on passe devant les barrières, tous les jours, on passe devant la rue coupée, et on y repense". Claude Paris habite lui aussi rue Abbé de l’épée. Un peu plus loin, à quelques portes du croisement de la rue Tivoli. Il n’a "pas eu cette malchance" d’être délogé, comme il dit. 

L’explosion n’a causé chez lui que quelques dégâts, aux fenêtres et à la porte. Mais l’ancien photographe de presse a vécu le drame du 9 avril au plus près. Il s’apprêtait à aller se coucher quand il a entendu la déflagration : "un son 'immonde', parce que quand on entend un tel son et après le ruissellement de l’immeuble qui s’effondre dans les secondes qui suivent, on se dit que les choses qui viennent de se passer sont très graves".

Des photos pour la mémoire

Sur le coup, Claude Paris pense d’abord à son fils, de passage, qui passe la soirée sur la terrasse avec des amis. "Une fraction de seconde, je me suis dit, c’est peut-être la bouteille de gaz de la plancha sur la terrasse qui a explosé, mais non parce qu’il n’y a pas de dégâts et je me suis précipité sur la terrasse. Ils étaient affolés, ils criaient : c’est une bombe, c’est une bombe". 

Au-dessus de l’immeuble de cinq étages, Claude Paris voit la poussière et la fumée très haute dans le ciel. Il sort dans la rue. "J’ai vu plein de monde qui courait, qui allait voir, j’ai vu le tas de gravats de l’immeuble". "Les gens étaient hébétés, tout le monde était sidéré par ce qui venait de se passer, on ne comprenait pas". 

L’ancien journaliste a le réflexe immédiat de prendre son appareil photo pour "documenter" ce qui vient de se produire. Pour la mémoire du quartier.

"Il n’y avait aucun journaliste sur place, pas de photographe, et ma réaction, ça a été de penser qu’il fallait faire absolument des images" pour "montrer la réalité" de ce qui s’était passé ce soir-là, explique-t-il, sans savoir encore qu’il y avait des victimes. Claude Paris ne prend quelques clichés avant que les secours ne sortent tout le monde du périmètre de sécurité. 

"On ne sort pas indemne d’une chose comme ça"

Le photographe de presse a couvert des événements marquants au cours de sa carrière. Le crash de la Germanwings au Vernet. L’attentat de Nice. En tant que voisin, le drame de la rue Tivoli l’a profondément affecté. 

"On ne sort pas indemne d’une chose comme ça", reconnaît-il. Et c’est encore un autre traumatisme "quand ça arrive près de chez vous", concède le retraité installé dans ce quartier depuis près de 40 ans. "Je ne connais pas tous les gens du bâtiment, mais j’en connaissais, certainement que j’ai rencontré ces gens… c’est quelque chose... moi, j’y pense tout le temps". 

La "triple peine" des délogés

Les travaux en cours, les rues barrées, les étais sur les façades, "tout rappelle au quotidien" aux habitants du quartier "qu’il y a eu un drame". "On n’oubliera jamais ce qui s’est passé, c’est évident". 

"Le drame a resserré les liens entre voisins", selon Claude Paris. "Ce n’est plus comme avant, on se parle plus volontiers". Il se sent particulièrement concerné par la situation des habitants délogés qui n’ont toujours pas réintégré leur logement un an après le drame. Pour lui, ils subissent une "triple peine", "parce qu’ils ont vu leur immeuble touché, ils ont perdu leurs voisins et aujourd’hui, ils ne savent pas ce qu’ils vont devenir" et "financièrement, c’est intenable pour eux". Il est impératif pour lui que des solutions soient rapidement trouvées pour qu’ils puissent rentrer chez eux et reprendre le cours d’une vie normale. "Le quartier ne revivra pas sereinement tant qu’on n'aura pas réglé ces problèmes et il faut les régler rapidement"

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