TEMOIGNAGES. "Il y a une méfiance de nos chefs" : des salariés racontent leurs difficultés pour passer en télétravail

En cette période de confinement, le gouvernement préconise le télétravail pour lutter contre l'épidémie de coronavirus. Mais les entreprises jouent-elles le jeu ? France 3 a recueilli à travers un appel à témoignages la parole des salariés.

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"Ma direction ne se justifie de rien et considère le télétravail comme un cadeau, ce qui n'a pas été le cas lors du premier confinement où tout fut appliqué à la lettre avec un télétravail à 100%, souffle, Françoise*. Et pourtant, maintes preuves furent fournies, jour après jour, de ma productivité. J'en ai même été félicitée."

Comme cette salariée d’une entreprise privée d'Aubagne, de nombreux salariés ont répondu à notre appel à témoignages pour raconter comment, alors que le pays est frappé par la deuxième vague du Covid-19, ils ont dû être obligés par leur employeur à assurer du présentiel alors que le télétravail était possible. Pourtant, le gouvernement a martelé que les entreprises devaient absolument recourir au télétravail. 
 
Ce deuxième confinement étant moins coercitif que le premier, certaines sociétés ou services publics semblent en avoir profité pour garder leurs salariés in situ. Selon les témoignages recueillis par France 3, beaucoup de dirigeants se méfient encore du travail à la maison, et doutent de son efficacité, et de sa rentabilité. "Depuis le premier confinement, il y a une méfiance de nos chefs de service, et même du DRH , par rapport au télétravail", raconte Emilie*, employée dans les services d’une commune des Bouches-du-Rhône.

"Il s'abritent derrière 'la continuité des services publics' voulue par le gouvernement, précise-t-elle. Notre chef ne veut pas nous donner plus de deux jours de télétravail par semaine. Nous sommes 25. Rester chez soi pour travailler est mal perçu. Il nous l’a fait clairement comprendre. D’ailleurs, le service ne nous prête aucun matériel pour travailler à la maison. Il faut que l’on se débrouille seuls."

"Des fenêtres à châssis fixes, donc impossibles à ouvrir"


"Le télétravail n'a pas été proposé aux employés par la direction alors qu'au moins 10 personnes pourraient en faire", déplore cet autre salarié d'une entreprise publique de 50 personnes. Dans ses locaux, seuls "le port du masque et le respect des distances" sont appliqués. Il n'y a pas de désinfection, et la limite de groupe à six personnes est régulièrement dépassée.

Joël*, salarié d’un établissement social de Marseille, se rappelle avec colère la réponse de son directeur quand la question du télétravail a été abordée. "Il nous a dit : 'Je fournis les masques et le gel, après c'est la responsabilité de chacun'." Il décrit "des bureaux de trois personnes, avec des fenêtres à châssis fixes, donc impossibles à ouvrir". Et un accueil sans restriction du nombre de personnes.

Quelques patrons d'entreprise appellent en effet à la "responsabilité de chacun", reprenant les termes des autorités nationales. Mais comment faire lorsque le voisin de bureau ne respecte pas les règles ? Véronique* travaille dans les bureaux d'une entreprise de l'aéronautique, dans les Bouches-du-Rhône qui emploie une soixantaine de personnes. Elle n'est en télétravail "que lorsque c'est possible", selon les termes de sa direction. Les mesures sanitaires ont bien été annoncées, "à nous de les respecter nous a dit la direction", poursuit-elle.
Mais elle déplore sa difficulté d'être en présentiel lorsque le port du masque et la distance d'un mètre "ne sont pas respectés, en open space avec une quarantaine de personnes présentes, et sans sanctions". L'aération des locaux, préconisée plusieurs fois par jour par les autorités, "est non systématique et non surveillée". "Aucun contrôle sur le non respect... souffle-t-elle. Le poste de travail doit être désinfecté par nous-mêmes sans fourniture de produit."

Des sanctions réclamées contre les employeurs

"Ce confinement n'en est pas un et la prise de conscience des risques s'est volatilisée", souffle de son côté Danielle*.

Le masque est sur le nez des dirigeants à 9 heures, sous le nez à 9h10, sous le menton à 9h30. A 10 heures, il passe de vie à trépas.

Danielle


"Aucune sanction légale n'existe contre l'employeur en cas de non-respect des demandes gouvernementales en matière de protection des salariés en cette période. Seule la contraction du Covid permet à un employé de faire valoir ses droits", déplore-t-elle.

Si le texte et le discours du gouvernement invitent, en effet, clairement les employeurs à avoir recours au télétravail le plus largement possible, ceux-ci conservent une marge de manœuvre. Du reste, ce protocole n'est pas une loi. "Il n'a pas de valeur contraignante, c'est une recommandation", a confirmé à franceinfo Emmanuelle Destaillats, avocate spécialiste en droit du travail. Le protocole indique que les employeurs "fixent les règles applicables" en matière de temps de travail, dans le respect cependant du "dialogue social".

D'importants débats sur le télétravail ont cours avec les partenaires sociaux pour l'élaboration d'un Plan d'accord national sur le télétravail. Le leader de la CGT Philippe Martinez a réclamé d'ailleurs, lundi 9 novembre sur franceinfo, plus de contrôles dans les entreprises.

Il faut instaurer des amendes... Quand on ne respecte pas les règles, vous et moi on est punis, pourquoi ça ne marcherait pas de la même façon pour les entreprises?


Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT

 

L'argument du "lien social" mis en avant

Une autre salarié témoigne d'une surprise durant ce confinement. Employée dans une société privée d’une centaine de personnes, cette Marseillaise s’est vue demander un jour de présence à son travail, au service des colis. "Mon travail peut se faire à 100% à la maison, assure-t-elle. Mais on me demande de venir au moins une fois par semaine en entreprise. Pour réceptionner des colis éventuels, alors que ce n’est pas du tout ma fonction."

Adrien* travaille pour sa part dans une entreprise privée de 8 000 personnes à Marignane. Sa direction réclame "la présence obligatoire sur le site, même quand le télétravail est possible et souhaité", assure-t-il. L'argument avancé auprès des salariés pour éviter le télétravail ? "Le lien social, poursuit-il, argument soi-disant appuyé par la médecine du travail qui n'a pas confirmé."

Quand au moment convivial du déjeuner à la cantine, "ce lien social n'est pas respecté car nous devons désormais manger seuls à notre poste", poursuit Adrien.
"Cette question du télétravail est une question qui a été mal soupesée dès le début, ne serait-ce que par l'emploi du terme "télétravail" pour décrire une activité qui n'est pas au sens strict du télétravail, souligne de son côté François Hommeril, président de la CFE-CGC à franceinfo. On a fait pendant le premier confinement ce qu'on appelle la continuité de l'activité à domicile et tout le monde a appelé ça télétravail. C'était une erreur. Parce que travailler chez soi, quand ça n'est pas codifié, quand les conditions réunies pour faire correctement son travail ne sont pas présentes, forcément, ça crée un malentendu." 

Reste que, comme certains salariés l'ont expliqué dans notre appel à témoignages, il est aussi parfois difficile de travailler à domicile, pour de nombreuses raisons, comme le manque de matériel, la présence de leurs tout-petits, l'isolement...

Le 5 novembre,  la ministre du travail Elisabeth Borne a rappelé que le télétravail "est quelque chose d'absolument indispensable alors qu'on voit que l'épidémie est encore très brutale". Le Premier ministre, Jean Castex, devrait revenir sur ce sujet dans son intervention prévue jeudi 12 novembre. Selon certaines sources, les contrôles en entreprise devraient devenir plus rigoureux.

*Les prénoms ont été modifiés
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