ENTRETIEN EXCLUSIF. Dominique Pelicot : "cet homme n’avoue quelque chose que s’il y est acculé", l'expert psychiatre raconte "son manque d'empathie"

Alors que Dominique Pelicot est entendu par un juge ce jeudi dans le cadre de deux cold case, un mois après l'annonce du verdict du procès des viols de Mazan, l'expert psychiatre qui a rendu un rapport de 70 pages sur la personnalité de Dominique Pelicot nous a livré un entretien. Entre véritable amour et froideur hors normes, Paul Bensussan revient sur l'affaire qui a marqué sa carrière, la France et le monde.

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Il avait été arrêté parce qu'il filmait sous les jupes des femmes dans un supermarché. Dominique Pelicot s'est ensuite révélé être l'un des plus grands prédateurs sexuels de France. Sur son ordinateur, les policiers retrouvent 4 000 photos et vidéos surtout de sa femme, inconsciente, violée par au moins 80 hommes différents, dont son propre mari. 51 personnes ont été jugées lors d'un procès hors normes, médiatisé à l'échelle internationale, qui s'est déroulé du 2 septembre au 19 décembre 2024. Depuis, la victime principale, Gisèle Pelicot, est devenue un symbole dans le monde entier.

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Un mois après l'annonce du verdict, nous nous sommes entretenus* avec l'un des experts dont le rapport a été indispensable à la compréhension de cette affaire historique. Paul Bensussan a étudié l'intégralité du dossier et a rencontré à deux reprises Dominique Pelicot dont il a analysé de très près le profil. 

France 3 Provence-Alpes : vous avez rencontré Dominique Pelicot à deux reprises en entretien individuel, comment s'est-il comporté ?

Docteur Paul Bensussan : Dominique Pelicot m’est avant tout apparu comme froid, dénué d’affects et en tout cas d’empathie. C’est un homme à l’allure imposante, et lors de nos entretiens, il avait conservé une certaine prestance, en dépit de la situation éprouvante qu’il vivait : un homme de 70 ans, n’ayant jamais fait l’expérience traumatisante de l’incarcération, placé en détention provisoire, désigné à la France entière comme auteur de crimes sexuels d’une particulière gravité, menacé par une lourde peine, qu’il savait pratiquement certaine…

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Tout pouvait concourir à ce que je me trouve face à un homme abattu, voire déprimé, avec peut-être une idéation suicidaire, ce d’autant que la nature même de ses crimes sexuels l’exposait non seulement à une honte sociale intense, mais surtout à un sentiment de culpabilité par rapport à une épouse qu’il dit avoir adulée… Rien de tout cela dans le contact que j’ai eu avec lui : Dominique Pelicot gardait son assurance, sa froideur, ne se départissait jamais de son calme (hormis pour s’impatienter s’il trouvait mes questions trop précises ou notre entretien trop long). L’absence d’empathie m’est apparue chez lui comme un trait de caractère saillant, peut-être même au premier plan comparativement à la propension au mensonge et à la manipulation : sur ce dernier point, tout a été dit.

Lors de ce procès, Dominique Pelicot a été qualifié de "clivé", qu'est-ce que cela veut dire concrètement en psychiatrie ?

La puissance des mécanismes de défense que sont le clivage et le déni explique la cécité psychique de l’entourage, incompréhensible pour le grand public. Le clivage désigne la coexistence, dans la même personnalité, de deux facettes opposées ou incompatibles, permettant de vivre selon la réalité tout en la niant complètement. Le meilleur exemple pour illustrer ce mécanisme est que je crois Dominique Pelicot parfaitement sincère, lorsqu’il dit avoir profondément aimé son épouse, et l’aimer encore. Ce qui ne l’a pas empêché de lui infliger, une décennie durant, les traitements et les viols les plus indignes, et même de mettre ses jours en danger, que ce soit par l’administration massive d’anxiolytiques ou par des viols par inconnus, sans la moindre précaution sanitaire. Le déni affecte, lui aussi, le rapport du sujet à la réalité : il consiste en un refus inconscient de la réalité, d'une perception, parce qu'elle est vécue comme dangereuse ou douloureuse.

Dominique Pelicot a été absent de son propre procès à plusieurs reprises, ses problèmes de santé pouvaient-ils être une stratégie d'évitement ?

Lorsque je l’ai vu, il souffrait d’une arthrose de la hanche qui entraînait une claudication et une souffrance non contestable. Il devait d’ailleurs s’aider d’une béquille pour se rendre au parloir, et une intervention orthopédique était envisagée, en tout cas souhaitée. J’ignore de quels troubles il a exactement souffert au début de ce long procès, mais les hypothèses d’une pathologie réelle et de stratagèmes d’évitement ne sont pas exclusives l’une de l’autre : on peut facilement concevoir qu’un procès dont la médiatisation s’annonçait mondiale, pour des crimes sexuels aussi exceptionnels qu’abjects, puisse entraîner chez le sujet un sentiment de honte, une appréhension bien compréhensible.

Sa personnalité manipulatrice a beaucoup été évoquée, mais vous a-t-il semblé sincère à certains moments, si oui, lesquels ?

Il est difficile pour moi de parler de sincérité. Cet homme n’avoue quelque chose que s’il y est acculé, bien souvent par des preuves qu’il a lui-même produites. Il n’a pourtant pas pu admettre avoir drogué sa fille (qui ne se souvient absolument pas d’avoir revêtu la lingerie dont il l’a affublée, avant de la photographier manifestement endormie). Il avait même prétendu, à un certain moment, ne pas la reconnaître sur les photos. Comment peut-elle le croire, lorsqu’il lui assure, "les yeux dans les yeux", ne l’avoir jamais abusée ? La souffrance de Caroline Darian est aisée à concevoir : elle ne saura jamais ce que son père lui a fait (ou pas). Ce poison du doute a été instillé dans son cerveau, elle devra vivre avec et comme vous le savez, l’imagination va parfois plus loin que la réalité…

Comment qualifiez-vous la personnalité de Dominique Pelicot après ces trois mois de procès ?

J’ai perçu durant ce procès une force de caractère exceptionnelle : un homme qui ne baisse jamais la garde, n’abdique pas, se bat pied à pied. Il a, sans doute à juste titre, renvoyé ses co-auteurs à leur propre responsabilité, refusant d’assumer l’image du manipulateur qui les aurait dupés. Mais sa froideur, son absence d’empathie, sa propension au mensonge, sont des traits qui me sont apparus de plus en plus saillants, au fur et à mesure du déroulement du procès.

Pensez-vous que certains éléments de votre rapport de 70 pages sur sa personnalité ont été trop ou pas assez abordés ? 

Je n’ai pas eu l’impression que des éléments de mon rapport aient été "trop abordés" lors du procès. Je pense au contraire que la diversité des paraphilies (troubles de l’orientation sexuelle, anciennement appelées "déviances") que j’ai pu mettre en évidence chez lui, n’a sans doute pas été assez explorée, ou approfondie. Le voyeurisme, l’exhibitionnisme, le fétichisme, une possible attirance pour les mineurs, un goût certain pour la domination, sont des aspects qui ont été sinon occultés, du moins minorés par la médiatisation, bien légitime dans cette affaire, de la soumission chimique, jusqu’ici trop peu connue du public.

Caroline Darian dit que son père est l’un des plus grands prédateurs sexuels de ce siècle, aviez-vous déjà eu à traiter des profils comme le sien ?

Il s’agit sans conteste d’une affaire unique, que peu de psychiatres, y compris d’experts psychiatres, ont pu approcher dans leur vie. Bien que spécialisé dans la délinquance sexuelle, chargé de cours dans ce domaine en faculté de médecine, je n’avais pas encore eu l’occasion d’être confronté à un tel dossier. Il s’agit d’une expérience humaine et professionnelle singulière, enrichissante en ce qu’elle nous enseigne non seulement des turpitudes dont est capable l’être humain (je n’avais, à ce sujet, plus aucun doute depuis bien longtemps), mais aussi, pour reprendre la belle expression d'Hannah Arendt, de "la banalité du mal" : la diversité socio-professionnelle et même socio-culturelle de la cinquantaine de co-accusés montre, à elle seule, de quoi est capable l’être humain (en particulier masculin !). Il est vertigineux, lorsqu’on visionne les différentes vidéos des viols, d’imaginer que personne, parmi les "invités" de Dominique Pelicot, ne s’est enfui en courant après avoir découvert le corps inanimé de Gisèle Pelicot, ainsi réduite au rang de réceptacle, et que personne n’ait songé, fût-ce de façon anonyme, à alerter la police ou les secours.

Dominique Pelicot sera jugé pour d’autres actes criminels, a-t-il le profil d’un assassin ?

"Ayant été désigné expert dans cet autre dossier, relatif à des crimes sexuels d’une tout autre nature, je préfère ne pas répondre à ce type de questions tant que l’instruction, et même le procès s’il a lieu, ne sont pas achevés". 

Dominique Pelicot a été convoqué ce jeudi 30 janvier à 13 heures par le pôle "cold cases" du tribunal judiciaire de Nanterre, a appris Franceinfo auprès de son avocate, confirmant une information de BFMTV(Nouvelle fenêtre). Contactée par Franceinfo, Béatrice Zavarro confirme que son client est convoqué pour être interrogé dans le cadre de deux affaires non élucidées. Il sera extrait de la cellule dans laquelle il purge une peine de vingt ans de réclusion après sa condamnation dans le procès des viols de Mazan.

*Paul Bensussan précise : il a bien rencontré Dominique Pelicot à deux reprises, mais uniquement avant le procès d’Avignon. L’expert tient à préciser que ses réponses, dans cet interview, ne concernent que ce procès, et résument son rapport dans l’affaire dite de Mazan, ainsi que les propos tenus à la barre lors du procès.

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