Bien qu'il soit suspecté dans plusieurs affaires de disparitions inquiétantes, rien ne prouve que Nordahl Lelandais soit un tueur en série. Le trentenaire a été mis hors de cause dans plusieurs dossiers, et aucun lien n'a été formellement établi parmi les autres à l'étude.
Le fantasme est né dès sa mise en cause dans le dossier Noyer, après celle dans l'affaire Maëlys. Mais Nordahl Lelandais est-il vraiment un tueur en série ? Trois ans plus tard, rien ne permet d'accréditer cette thèse.
Mise en place de la cellule Ariane par la gendarmerie, communications d'avocats et magistrats, articles de presse et émissions de radio et de télévision... Les mois qui ont suivi la mise en cause de Lelandais ont été rythmés par cette idée accusatrice.
"Nous allons regarder toutes les disparitions inquiétantes qui ont pu avoir lieu dans la région, dans le cadre d'une autre procédure", indiquait à la presse le 20 décembre 2017 Thierry Dran, alors procureur de Chambéry, en annonçant la mise en examen de Lelandais pour la mort du militaire Arthur Noyer.
Des médias recensent alors les cas de disparus et voient "l'ombre de Nordahl Lelandais" planer sur plusieurs d'entre eux. Les parquets concernés rouvrent certains dossiers, des avocats se manifestent et la gendarmerie prend l'initiative de créer la cellule Ariane, en janvier 2018, au niveau national.
Les sept enquêteurs qui la composent s'attellent alors à vérifier le "parcours de vie" du suspect. Pas moins de 900 dossiers sont dans un premier temps repris, avant que n'en soient sélectionnés "une quarantaine" pour lesquels la piste Lelandais pouvait être envisagée, précise, en février 2019, Jean-Philippe Lecouffe, à l'époque sous-directeur de la police judiciaire de la gendarmerie nationale.
En coulisses, cette initiative en solitaire déplaît fortement aux magistrats. La gendarmerie a "une grande part de responsabilité" dans l'agitation qui a entouré cette affaire, estime l'un d'eux. Au sein de la gendarmerie, on rétorque que la cellule Ariane a effectué un travail très dense et très rigoureux, en lien avec les magistrats, avant sa dissolution en octobre 2020 au moment de la création d'une "division cold case" (DCC) pour traiter "des dossiers criminels complexes hors norme".
"Aubaine"
Certains contribuent aussi à alimenter les doutes. "Nordahl Lelandais a peut-être tué d'autres personnes mais on ne le saura peut-être jamais", avance le 9 avril dernier le procureur général de Grenoble, Jacques Dallest, dans le quotidien régional Le Dauphiné Libéré. Sollicité par l'AFP, il n'a pas souhaité en dire davantage.
Du côté des avocats, Me Bernard Boulloud, conseil des familles d'Arthur Noyer et de certains disparus, admet avoir "profité de l'aubaine" pour faire rouvrir des dossiers. Un autre reconnaît même être parvenu à se greffer à l'affaire à des fins d'exposition, dans le cas où des clients potentiels apparaîtraient avec l'ouverture de nouveaux dossiers impliquant Lelandais.
En l'état actuel des investigations, "aucun lien n'est établi entre Nordahl Lelandais et d'autres disparitions", a confirmé, avant le procès, une source judiciaire haut placée. Mais "un Anglais a trouvé un rapport entre la Grande pyramide et les cabines téléphoniques anglaises, et il est très sérieux. Quand on veut trouver un rapport, on trouve toujours", avance Jean-Yves Coquillat, ancien procureur de Grenoble.
S'il n'avait pas exclu d'emblée cette piste du tueur en série, le magistrat retraité constate aujourd'hui que les enquêtes menées ont écarté un certain nombre de suspicions. Le parquet de Chambéry, par exemple, a classé sans suite, en novembre 2019, le dossier de Lucie Roux, disparue en 2012, après l'avoir rouvert à la lumière de l'affaire Lelandais.
L'enquête a démenti qu'il ait côtoyé la victime dans un hôpital psychiatrique savoyard, comme cela avait été raconté dans la presse, selon plusieurs sources judiciaires. Dans l'affaire de deux hommes disparus lors d'un festival de musique à Tamié près d'Albertville, en 2011 et 2012, une vidéo a été diffusée, montrant un homme danser lors d'une édition du festival. Certains y reconnaissaient Nordahl Lelandais mais l'enquête a démontré qu'il ne s'agissait pas de lui.
Dans le dossier de la mort près de Chambéry, en 2015, de Thomas Rauschkolb, 18 ans, une exhumation du corps en Alsace a été ordonnée en mars, après saisine d'un juge d'instruction sur constitution de partie civile. Mais alors que la famille évoque cette piste, le parquet de Chambéry affirme que le magistrat instructeur ne fait pour l'heure pas de lien avec Nordahl Lelandais.