Les vin sans alcool tendent à se développer en France. Mais dans les régions de terroir comme la Bourgogne, ils ont encore du mal à tirer leur épingle du jeu. Décryptage à consommer sans modération.
Un avenir sans alcool pour le vin ? En tout cas pour les Français, la tendance est claire : les boissons alcoolisées n'ont jamais si peu séduit. Depuis 2000, la part des adultes qui déclarent ne pas consommer d’alcool chaque semaine est passée de 37 % à 61% en 2024, selon un baromètre de Santé publique France.
Si la bière semble être la cible prioritaire de cette désalcoolisation, le vin aussi est désormais concerné par cette tendance.
Une offre déjà développée en France
Sur internet, en tapant "vin sans alcool", on constate que de nombreux revendeurs ou domaines proposent déjà leur gamme de boissons "sans regrets", pour reprendre les termes mis en avant par l'un des leaders du secteur. En approfondissant un peu les recherches, plusieurs domaines viticoles de l'Hexagone ont entamé ce virage vers le "no-low" (pour "No alcohol - Low alcohol").
"C'est un marché de niche, en pleine construction, mais extrêmement enthousiasmant", expliquait par exemple Geoffroy de La Besnadière, au Domaine de l'Arjolle dans l'Hérault, au cœur de l'IGP côtes-de-thongue à l'AFP en juillet 2024. Ce caveau propose différentes gammes désalcoolisées depuis 2019.
Face à cet essor, l'Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV), qui a ouvert son siège à Dijon, avait pris les devants. En 2012 déjà, l'OIV définissait la "boisson obtenue par désalcoolisation du vin" comme "issue exclusivement du vin ou du vin spécial tel qu'il est décrit dans le Code international des pratiques œnologiques de l'OIV". "L'ONU du vin" imposait aussi un volume d'alcool "inférieur à 0,5 %" ainsi que des techniques de désalcoolisation répertoriée dans le Code international des pratiques œnologiques de l'OIV.
"L'appellation "vin" est usurpée"
Olivier Poels, chroniqueur vin pour Europe 1 et rédacteur en chef de la revue du vin de France, a les oreilles qui bourdonnent en entendant parler de vin sans alcool. "Je pense que l’appellation "vin" est usurpée, ce n’est pas du vin ! Les mots ont un sens. Le vin, c’est un produit issu de la fermentation du raisin. Donc l’alcool est une constituante majeure du vin et de son équilibre. Si on enlève l’alcool du vin, on fait un autre produit, mais ce n’est déjà plus du vin."
Selon le journaliste spécialisé, la transformation fait perdre la nature même de ce qui fait un vin : "Quand on parle de vins de Bourgogne, on parle de grands vins de terroir. On a une intervention qui est la moins importante possible pour être au plus proche du goût du terroir. Alors à partir du moment où on manipule le vin, qu’on le fait passer par un osmoseur ou je ne sais quoi, est-ce que les caractéristiques du Chambolle-Musigny, du Vosne-Romanée ou du Gevrey-Chambertin sont encore respectées ? J'émets beaucoup de doutes."
En enlevant l'acool et le vieillissement, on enlève tout un énorme aspect culturel du vin et Dieu sait si la Bourgogne est attachée à l'aspect culturel de ses grands vins.
Olivier Poelschroniqueur vin pour Europe 1 et rédacteur en chef de la revue du vin de France
Une affirmation qui est validée par l'OIV. L'organisation se tient toujours à sa définition du vin établie en 1973 : "Le vin est exclusivement la boisson résultant de la fermentation alcoolique complète ou partielle du raisin frais foulé ou non, ou du moût de raisin. Son titre alcoométrique acquis ne peut être inférieur à 8,5°." En prenant cela en compte, une boisson sans alcool, même issue d'un vin par transformation, ne devrait pas pouvoir être appelée "vin". D'autres situations similaires ont d'ailleurs été réglées par décret. Par exemple, depuis le 14 juin 2017, la dénomination "lait" pour parler de boisson végétale a été interdite par la Cour de Justice de l'Union européenne.
"Le vin est en crise"
Le développement du vin sans alcool prend place dans un contexte très particulier. La viticulture est devenue de plus en plus difficile chaque année avec le dérèglement climatique.
► À VOIR AUSSI : VIDÉO. Un orage supercellulaire ravage les vignes de Chablis : "Ça nous a arraché les larmes", les viticulteurs constatent les dégâts
Olivier Poels le confirme sans détour : "Le vin aujourd’hui est en crise, il faut être honnête. Le vignoble français n’est qu’au début de la crise. Les gens consomment moins, différemment et ont un rapport à l’alcool probablement un peu différent. La production de vin telle qu’on a pu la connaître en France pendant des dizaines d’années après la Guerre n’est plus la même. Il faut rebattre les cartes."
Quelque part il faut s’adapter, mais je n’aime pas les ersatz. Boire du Gevrey-Chambertin sans alcool, ce n’est pas boire du Gevrey-Chambertin. Ce que je trouve très dangereux et inquiétant c’est qu’aujourd’hui, on ne met plus derrière les mots le sens qu’ils ont.
Olivier Poelschroniqueur vin pour Europe 1 et rédacteur en chef de la revue du vin de France
Et si certains étudient les meilleures manières de faire perdurer la filière du vin, d'autres ont opté pour le vin sans alcool. Une idée qui dérange ce spécialiste : "Si certains veulent s’amuser à faire du vin sans alcool ou plutôt cette boisson sans alcool à base de jus de raisin, très bien. Mais la production dite de vin sans alcool en laissant croire aux gens qu’ils ont le bon goût du terroir et les appellations, pour moi c’est mensonger. Il y a derrière cela une promesse un peu mensongère qu’utilisent un certain nombre de personnes pour faire du business."
Avec le processus de désalcoolisation - qui peut être fait de différentes manières - le prix du vin peut également évoluer vers la tranche haute en fonction de l'exigence du procédé. Après avoir interrogé plusieurs spécialistes et producteurs de vins bourguignons, il semble qu'aucun vigneron de la région ne se soit essayé à la désalcoolisation du vin. "C'est peu probable qu'il y en ait un jour, il n'y a pas un grand intérêt à faire ça dans la région ou dans d'autres régions réputées quand on bénéficie d'une appellation", confiait Thiébault Huber, Président de la Confédération des appellations et des vignerons de Bourgogne (CAVB).