Dans la vallée de l’Ouche (Côte-d'Or), un plan de construction d'éoliennes, dans une zone Natura 2000 protégée, est contesté par les habitants et associations luttant pour la biodiversité. Ils s'interrogent sur les raisons de construire ce parc en zone naturelle.
"On a réalisé une pétition qui réunit plus de 10 000 signatures et 600 commentaires. Il y a eu un engagement très fort avec cette pétition", confie un membre du collectif pour la préservation des forêts Natura 2000 de la vallée de l'Ouche et de l'arrière-côte de Beaune, qui souhaite rester anonyme. "Les gens se demandent : mais pourquoi ils installent ça dans cette zone protégée ?"
Ce projet, appelé "Des grands communaux", est porté par l’entreprise Q Energy France. Les éoliennes seraient bâties en pleine forêt, dans un espace protégé. Ce sont 13 éoliennes de 180 mètres de haut qui sont prévues, au-dessus des communes de Saint-Jean-de-Bœuf et Antheuil, dans cette zone Natura 2000. Ce réseau protège les sites de l’Union Européenne rassemblant de la faune et de la flore, jugées exceptionnelle.
"On cherche à produire de l’énergie verte mais on massacre la biodiversité pour le faire, qui mettra des dizaines d’années à s’en remettre", proteste Yves Curis, administrateur des amis de la Terre de Côte d’Or et coordinateur du groupe Nuit-Saint-Georges.
Un avis favorable donné par la commission d’enquête publique
Une enquête publique avait été demandée par la société Q Energy France, en vue d’obtenir l’autorisation de construction et d’exploitation d’une installation de production d’énergie électrique du préfet de Côte-d’Or. Le 11 février 2024, la commission d’enquête publique a tranché en livrant un avis favorable.
Une décision que ne comprennent pas les collectifs et associations qui défendent cet espace. "La ligue pour la protection des oiseaux (LPO) suit la situation depuis 2020, et on a rendu un avis défavorable sur la commission d’enquête publique", détaille Pascal Mariton, bénévole de la LPO de Bourgogne-Franche-Comté. "Le conseil national de la protection de la nature (CNPN) a aussi soumis un avis défavorable, tout comme les gestionnaires du site Natura 2000". Les amis de la Terre Côte d’Or ont également donné un avis défavorable.
On ne comprend pas cette décision, mais on n’est pas surpris. Maintenant on attend l’avis du préfet et la réponse à la dérogation de destruction d’espèces protégées.
Pascal Maritonbénévole de la LPO de la Bourgogne-Franche-Comté
Leurs avis défavorables sont motivés par différentes raisons : "Pour ce projet, ils prévoient de déchiffrer 10 hectares de cette zone qui sert d’habitat à plusieurs espèces rares. Il y a aussi un risque de collision pour les rapaces et les chauves-souris", signale Pascal Mariton.
Dans cette zone Natura 2000 il y a plusieurs espèces protégées comme le faucon pèlerin, le roitelet triple bandeau et 18 espèces de chauve-souris. "Il suffit qu’un seul oiseau se fasse tuer par les pales et c’est toute la biodiversité du coin qui est déréglé", alerte Yves Curis.
Le Collectif pour la préservation des forêts Natura 2000 de la vallée de l'Ouche et de l'arrière-côte de Beaune pointe également un impact visuel, avec les éoliennes gâchant le paysage.
Pourquoi installer ce parc éolien en zone protégée ?
"Les communes du territoire nous ont contactées pour qu'on collabore, et cet espace est le meilleur compromis", explique Eric Cornier, responsable régional éolien de Q Energy.
Les élus, déjà concernés par le Parc éolien de Portes de la Côte d'Or, conçu par la même société, échangent régulièrement avec Q Energy, selon le responsable régional. Ce parc, mis en service en 2016, est également en zone Natura 2000.
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Ce soutien local est un "élément majeur" pour la société. "Pour eux, ça va aussi générer d'importantes retombées financières. Il y aura plus de 500 000 € de loyer versé aux communes et au département", précise Eric Cornier.
Patrick Seguin, président de la communauté de communes Ouche et Montagne, approuve : "C’est une opportunité pour nous, il faut être honnête. On devrait recevoir 150 000 € pour notre communauté. Notre conseil était favorable au projet, à l'unanimité sauf un."
Lorsqu'on fait un projet éolien, on le regarde sous tous les prismes. Il y a des contraintes de Météo France, de l'armée de l'air, du paysage, de l'acoustique, de l'acceptation locale, il n'y a pas que la biodiversité.
Eric Cornierresponsable régional Q Energy France
Au départ, la société avait prévu d'installer ses éoliennes près d'Aubaine (Côte-d'Or), mais les contraintes visuelles liées aux climats des vignobles de Bourgogne étaient trop importantes. Ils ont donc choisi de prévoir leurs installations dans cette zone naturelle, espace où il y a "un enjeu assez faible en biodiversité" et où il était possible de faire un grand parc.
Le responsable régional de Q Energy France confirme avoir été alerté sur les espèces de rapaces et de chauve-souris présentes sur ce site : "Entre 2018 et 2021, on a fait des études pour évaluer la biodiversité de ce site. On a notamment déployé un drone qui a scanné pendant plusieurs jours afin de repérer de potentielles nidifications mais il n'y en avait pas."
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Selon Eric Cornier, la société a déployé des moyens "hors normes" pour s'assurer de respecter toutes les contraintes :"C'est un projet bien meilleur qualitativement que l'autre parc, on a pris énormément de mesures".
Des mesures de compensation suffisantes ?
Q Energy France prévoit un dispositif pour s'adapter à la situation des chauves-souris : "On a analysé leur activité pendant un an et on a conçu un bridage spécialement prévu pour ce projet", expose Eric Cornier. Cependant, pour Pascal Mariton, membre de la LPO de Bourgogne-Franche-Comté, ce n'est pas une science exacte, "le risque demeure".
Concernant le risque de collision entre les rapaces et les pales d'éoliennes, le responsable de Q Energy explique avoir un système prévu :"on a installé sur les 13 machines un système de détection à raie, il permet d'arrêter les pales s’il repère un vol à risque". Mais selon la LPO, ce système de détection ne marche pas à 100%."Il y a eu un cas récent de collision dans l'Herault, deux aigles royaux sont décédés".
Yves Curis, administrateur des amis de la Terre de Côte-d'Or, surenchérit : "le terme compensation, déjà, c'est mauvais. Ils vont déchiffrer 10 hectares en massacrant des grands arbres et ils pensent compenser."
"On va bien défricher 10 hectares, concède le constructeur d'éoliennes. Mais il faut ramener ça à la taille de la zone Natura 2000 qui est de 60 000 hectares. Ecosphère, le bureau d'études qui a travaillé sur cette zone, dit que ce ne sont pas de vieux arbres impactant pour la biodiversité".
Pour "compenser" ce défrichement, Q Energy France prévoit la création de 16 hectares de régénération forestière et de 30 hectares d’îlots d'arbres. "Si on parle de bilan carbone, c'est très positif avec le parc éolien", ajoute le responsable régional de la société.
Les associations qui défendent cet espace et Q Energy France n'attendent à présent plus qu'une seule chose : la décision du préfet.