La préfecture de Côte d'Or cache-t-elle volontairement leurs droits à des réfugiés en situation irrégulière ? C'est ce que dénonce les associations qui fustigent également la violence de certains propos tenus devant des enfants lors d'une réunion à Dijon le 30 juin dernier
La préfecture de Côte-d’Or pousserait-elle certains migrants éligibles à une régularisation à quitter le territoire français en leur cachant leurs droits ? C’est en tout cas ce que dénoncent les associations locales d’aide aux sans-papiers et la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) de Dijon. Elles pointent notamment une réunion du mercredi 30 juin entre les migrants hébergés au Samu social et des agents de la préfecture. Outre le fond, elles dénoncent aussi la méthode employée auprès de ces familles en présence de leurs enfants.
Le 30 juin dernier, les services de l'Etat se rendent dans les locaux du Samu social, rue des Creuzots à Dijon, où sont accueillies les familles de sans-papiers. Les propos tenus encouragent les personnes en situation irrégulière à ne pas déposer de demande de titre de séjour et à quitter volontairement le territoire.
Eviter un afflux de demandes
Durant cette rencontre, Sébastien Gauthey, directeur de l’immigration et de la nationalité au sein de la préfecture ainsi que des représentants de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFFI) demandent aux familles présentes de partir volontairement. À plusieurs reprises, les membres de la délégation certifient que la régularisation n’est pas automatique et est particulièrement rare. Ils présentent le retour volontaire des sans-papiers dans leur pays d’origine comme la seule solution pour eux. "Ils leur ont dit qu’ils devaient partir sans quoi la police allait venir les chercher très tôt un matin, que cela pouvait être violent et traumatisant pour les enfants et qu’il valait mieux éviter cela", ajoute Paul Garrigues, responsable de la LDH Dijon.
Parmi les migrants présents, certains présenteraient pourtant les conditions pour obtenir leur régularisation selon la LDH. Depuis la circulaire Valls du 28 novembre 2012, une personne résident en France depuis au moins 5 ans, ayant un enfant scolarisé depuis 3 ans et participant à l’éducation de cet enfant remplit les critères pour obtenir ses papiers.
Six ans après le début de la vague migratoire qui a touché le sud de l'Europe, le nombre de candidats potentiels à ce statut est en hausse. Une situation qui pourrait expliquer l'insistance des services de l'Etat.
Des enfants sous le choc selon leurs enseignants
La démarche choque également les associations car les enfants des familles assistent à la réunion du mercredi 30 juin. "Certains élèves ont pleuré et en ont parlé en classe le lendemain. Pour eux, ce qu’ils ont entendu, c’était violent. La gamine la plus jeune qui est inscrite dans mon école et qui a 7 ans a dit à sa maîtresse : 'Je ne comprends pas, il y a des gens très méchants qui sont venus. Ils parlaient très fort'", raconte le directeur d’une école de Dijon où certains enfants de migrants vont en cours.
C’est scandaleux de mettre les gamins au milieu. Je ne comprends pas le sens de cette action sur le plan humain.
Pour les associations locales de défense des sans-papiers, comme pour ce responsable d’établissement qui souhaite rester anonyme, la présence des enfants lors de la réunion est incompréhensible. "Quel sens cela peut avoir d’aller embêter les gamins, à part la volonté de faire mal et de créer des traumatismes ? C’est de la maltraitance !", lance-t-il.
Arrivée en France en 2016, Sarah (prénom modifiée) était également présente au centre à ce moment-là. Particulièrement marquée par ce discours, elle rapporte des "propos vraiment violents", "cela m'a fait peur et les enfants étaient traumatisés. Ma fille m'a demandé quand est-ce que la police allait venir nous chercher" explique la mère de famille.
La menace de départs violents
"Ils m'ont dit "madame il faut retourner dans votre pays, il ne faut pas rester ici avec vos enfants". On nous a dit qu'il fallait demander le retour volontaire et que si on ne le faisait pas ils enverraient les policiers pour venir nous chercher à cinq ou six heures du matin et nous emmener de force dans notre pays".
Egalement présente face aux personnels de l'OFFIH et de la Préfecture, Nana (prénom modifié) déplore la "tristesse qui s'est installée" dans le centre depuis ce mercredi soir de juin. La mère de famille nous explique désormais vivre dans l'angoisse et la peur de voir débarquer les forces de l'ordre pour procéder à leur expulsion. "Ma fille aînée passait le bac à ce moment-là et cela a été horrible à vivre pour elle. Elle partait tôt le matin pour aller réviser en dehors du centre" retrace celle qui est arrivée en France en 2017 en provenance de République Démocratique du Congo.
Elle poursuit : "Pour créer le trouble, ils nous ont aussi dit que les associations nous mentaient et qu'elles se servaient de nous".
"Il y a des situations diverses, mais certaines personnes ont le droit de déposer une demande de régularisation. C’est choquant qu’on leur interdise. Ils ont au moins le droit de tenter leur chance !", reprend Paul Garrigues. Durant la réunion, les représentants de la préfecture affirment à plusieurs reprises que le discours des associations n’est pas fondé et que l’ensemble des familles n’ont aucun espoir d’obtenir un titre de séjour en France.
On trouve que c’est choquant. Cela nous semble quand même problématique. Ce côté agressif, c’est très irrespectueux.
Des départs volontaires plus rentables ?
Les représentants de l’OFFI indiquent alors aux migrants les démarches à suivre pour quitter le pays et leur détaillent le dispositif d'aide au retour volontaire. Ils assurent que leur transport en train jusqu’à l’aéroport puis en avion jusqu'à leur pays d’origine sera pris en charge par l'État s’ils signent une demande de départ volontaire. De plus, 650 euros leur seront donnés pour lancer leurs projets une fois installés.
"L’argent n’est pas la raison pour laquelle ces migrants restent. Quand on fuit son pays parce qu’on est menacé, parce qu’on a vécu des épreuves, on ne va pas y retourner parce qu’on vous propose 650 euros !", s’insurge le responsable de la LDH à Dijon. Pour Paul Garrigues, la question financière est centrale pour comprendre les agissements supposés de la préfecture. "Pour les autorités, cela coûte moins cher s’ils partent d’eux-mêmes que de payer l’ensemble des frais d’expulsion". Selon une étude parlementaire publié le 5 juin 2019, les expulsions forcées coûtent six fois plus que les départs volontaires aidés. 13 800 euros contre 2 500 euros. En France, 70 à 80% des départs de migrants sont imposés.
En réaction, la LDH prévoit d’envoyer une lettre au préfet de Côte-d’Or Fabien Sudry pour l’alerter et lui demander de prendre des mesures concernant le traitement des familles de migrants dans le département.
Contactée, la préfecture de Côte d'Or n'a pas souhaité répondre sur le sujet.