Après 6 ans à la rue, Éric a bénéficié d'un hébergement d'urgence dans les bureaux d'une entreprise dijonnaise, grâce à l'association Les Bureaux du Coeur. Six mois plus tard, et alors qu'il vient de retrouver un logement stable, il revient avec le patron de l'entreprise sur cette expérience encore inhabituelle.
Le sourire aux lèvres, la joie d'Éric est à peine cachée ce lundi soir. En remettant les pieds dans les locaux de l'entreprise AVS Communication, cet ancien électricien de 63 ans est accueilli comme s'il était chez lui par les employés, bien qu'il n'ait jamais travaillé pour cette société. Et pour cause : il vient d'être accueilli gracieusement pendant six mois dans ces bureaux de la zone d'activité Capnord de Dijon, après avoir passé plus de 6 ans à la rue suite à un licenciement.
Au début, j'ai eu le trac ! Alors je suis retourné à l'hôtel le premier week-end.
EricEx-sans abri, hébergé dans les locaux d'une entreprise
Éric a saisi cette opportunité proposée par l'association Les Bureaux du Coeur en début d'année. L'objectif de cette initiative née en 2019 à Nantes ? Permettre à des personnes sans domicile fixe d'être hébergées dans les locaux d'entreprises, souvent vides en soirée et la nuit. Aujourd'hui, Éric vient de quitter cet hébergement d'urgence, après être arrivé au bout du bail de 6 mois proposé par l'association.
"Au début, j'ai eu le trac !", raconte le principal intéressé, désocialisé après des années sans domicile. "Je n'avais jamais participé à ce genre d'expérience, donc en arrivant un vendredi soir je me suis dit 'mince, je vais me retrouver tout seul comme ça dans ces bureaux'. Alors le premier week-end, je suis retourné à l'hôtel !" Il confie que cette arrivée a été le moment le plus difficile de cette expérience.
"C'est devenu des copains"
Cette première appréhension passée, Éric a vite pris ses marques dans la pièce qui lui a été aménagée dans les bureaux de l'entreprise, avec un lit et quelques petits éléments de mobilier. Nous l'avions d'ailleurs rencontré une première fois au mois d'avril.
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Aujourd'hui, avec un peu de recul, il repense aux bons moments de ces six mois. Avec, déjà, les choses les plus simples de la vie : "Ça m'a resocialisé. J'ai vécu comme tout un chacun qui a son appartement, mais je me réservais un peu le droit d'accès aux ateliers. Je manifestais simplement ma présence. À part ça, j'avais la clé de la porte, le code de l'alarme, etc..."
Son meilleur souvenir ? "Il y en a beaucoup", rigole-t-il. "Mais le plus mémorable restera le dernier jour de travail avant les vacances des équipes, quand on a fait un barbecue. C'est un symbole, c'est devenu des copains".
À côté, Éric travaille au quotidien, pour la société de services aux entreprises Id'ees 21. "C'est une grosse entreprise, on est plus de 200", ajoute-t-il. Pour autant, s'il avait dit à certaines personnes qu'il logeait dans des bureaux, nombreux étaient ceux qui n'étaient pas au courant de sa situation. Jusqu'au début du mois d'avril, où Éric a fait parler de lui dans les médias.
"Beaucoup de personnes de l'entreprise ont vu une vidéo diffusée sur Facebook où j'apparais. Elle a été publiée un jeudi soir, et le vendredi matin, en arrivant, tous mes collègues m'ont applaudi, ils avaient la banane", se souvient-il. "Aujourd'hui, des employés m'appellent encore 'la star' !"
Un dispositif "plus parlant que de verser 500€ à une asso" pour l'entreprise
Au cours de notre échange, aux côtés d'Éric, il y en a un qui ne cache pas sa fierté. Arthur Deballon, le directeur de la société de communication, avait découvert le dispositif en regardant sa télé, il y a un peu moins d'un an. Pour lui, ce fut immédiatement une évidence, même s’il l'admet, "j'ai été vu un peu comme un fou par d'autres chefs d'entreprise". Un petit coup de poker, et quelques démarches pour lever les freins des assurances, et voilà qu'Éric emménageait.
Ma fierté, c'est que ce sont les 28 salariés qui ont créé des liens avec Éric. Mon choix m'a dépassé.
Arthur Deballondirecteur d'AVS Communication à Dijon.
Il l'assure, "il n'y a jamais eu de problème" tout au long de cette période d'hébergement d'urgence. "Des risques, j'en prends tous les jours, beaucoup plus qu'accueillir quelqu'un dans une pièce", assume le directeur.
L'association des Bureaux du Coeur n'organise aucune forme de casting, mais pour éviter toute mauvaise expérience et pour rassurer les entreprises, il y a tout de même quelques critères : être français, travailler, être seul, ne pas avoir d'addiction... en clair, pour Arthur Deballon, "avoir la motivation de s'en sortir".
Nouvel appartement, nouveau départ
Éric a quitté les locaux de l'entreprise de communication fin août, pour emménager dans un logement social. En mai dernier, il s'est fait aider par une travailleuse sociale sur son lieu de travail pour chercher un appartement, avant de postuler. "Au départ, on était 4 à se positionner sur le logement, puis on s'est retrouvés à 2, et le 26 juin, je suis passé en commission", détaille Éric.
Quand j'ai appris que je l'avais, j'ai pas voulu sauter de joie parce que j'étais dans le tram, mais j'étais super content !
ÉricEx-sans abri
Toutes les appréhensions ne se dissipent pas pour autant immédiatement. "On appréhende un peu les voisins lors de l'emménagement, parce qu'on retrouve un groupe social dans un immeuble". Mais le sentiment qui prédomine, c'est "la liberté ! On se sent libre, même si je l'étais dans les bureaux".
L'ancien électricien continue de meubler son nouveau chez-soi, qu'il souhaite pour le moment préserver de tout regard extérieur. Des employés d'AVS lui ont proposé de récupérer quelques meubles, et Éric a dépensé une partie de ses économies dans l'achat d'un réfrigérateur et d'une machine à laver.
L'assurance de l'entreprise séduite par l'initiative
Quant aux actions des Bureaux du Coeur, elles se développent petit à petit en Bourgogne-Franche-Comté. "La prochaine entreprise qui recevra un invité, ce sera notre assurance", se réjouit Arthur Deballon. "Ils ont été séduits par l'initiative en nous suivant dans la démarche", explique-t-il. La pièce occupée par Éric pendant ces quelques mois ne restera pas bien longtemps vide : dans quelques jours, Arthur et les salariés de l'entreprise rencontreront le ou la potentiel(le) prochain(e) invité(e)...
► En avril, les équipes de France 3 Bourgogne avaient rencontré une première fois Éric. Le reportage est à retrouver ci-dessus.