Malgré la bonne récolte 2022, la pénurie de moutarde n'est pas (encore) terminée : voici pourquoi

En Bourgogne et partout en France, on est encore loin d'un retour à la normale des stocks de moutarde vendus en supermarchés. Et cela alors que la moisson de l'été dernier fut bonne. Explications.

Vous l'avez peut-être remarqué en faisant vos courses : les rayons de certains supermarchés manquent encore de moutarde... Pourtant, la récolte 2022 fut très correcte, comme nous vous le disions dans cet article de septembre 2022 : 6000 tonnes récoltées l'été dernier, soit moitié plus qu'en 2021 ! Comment, alors, expliquer que la crise ne soit toujours pas réglée ? 

Des stocks encore faibles, peu de réserves

D'abord, parce qu'on manque encore de graines de moutarde. "Il y a toujours des tensions", reconnaît Luc Vandermaesen, directeur général de la moutarderie Reine de Dijon et président de l'association moutarde de Bourgogne (qui regroupe des fabricants et des cultivateurs). 

"On n'est pas revenu à un rythme normal. D'une part, parce que malgré la bonne récolte en Bourgogne, c'est insuffisant pour répondre à l'ensemble des besoins."

"Et d'autre part, parce que du côté de la graine canadienne, on a très peu d'infos sur ce qui a été exactement récolté dans la variété qui nous intéresse."

Luc Vandermaesen

Reine de Dijon

La culture de moutarde au Canada, qui alimente une très large partie du marché, a fait l'objet de spéculations, selon le dirigeant de la Reine de Dijon. "On pense que les Canadiens ont essayé de maintenir une forte pression sur les prix, on a eu très peu d'offres jusqu'à fin février. On a été un peu rationné. Et même sur des prix élevés, on recevait des propositions rares et difficiles à concrétiser."

Depuis fin février seulement, le marché se détend et les contrats aboutissent. Mais entre la signature d'un contrat et le moment où les graines arrivent en France pour être transformées, "il faut compter deux mois ou deux mois et demi", explique Luc Vandermaesen.

Résultat : les fabricants bourguignons n'ont que très peu de réserves sous la main. "On est obligé de gérer le volume avec parcimonie, il faut gérer les quantités jusqu'à la prochaine récolte." Une situation confirmée par un autre fabricant, la Maison Fallot, que dirige Marc Désarménien : "Il faut un temps pour réapprovisionner de façon globale et suffisante la filière. En attendant, on doit prioriser. On n'acquiert pas de nouveaux clients."

"On ne peut pas répondre à toutes les demandes et parfois, on est obligé d'imposer des quotas même à nos clients fidèles."

Marc Désarménien

Maison Fallot

"Dans les rayons, on est loin d'avoir retrouvé l'abondance de choix que l'on avait avant la crise de l'an dernier", note Marc Désarménien. D'autant que d'autres raisons viennent aussi expliquer ces tensions sur le marché. 

De vives tensions sur les prix

Il y a aussi les difficultés des négociations entre les fabricants de moutarde et la grande distribution. Ces négociations annuelles se sont clôturées fin février, mais certains fabricants n'ont pas trouvé d'accord. Leurs produits peuvent donc être amenés à manquer dans les rayons des enseignes avec qui les négociations ont échoué. "Certaines marques majeures de moutarde, on ne les trouve plus en rayons", explique un acteur de la filière de moutarde bourguignonne.

Il y a une vraie guerre entre industriels et grande distribution. Certains industriels perdent leur place dans les rayons, et lorsqu'ils la perdent, c'est très dur d'y revenir.

Un acteur de la filière de moutarde bourguignonne

La raison de ces âpres négociations : "certains industriels veulent hausser leurs prix car leurs coûts ont augmenté, mais la grande distribution le leur refuse", indique notre interlocuteur. Cette hausse des prix est consécutive à un problème que l'on connaît tous en ce moment : l'inflation. 

Si la fabrication de la moutarde ne nécessite pas autant d'énergie que l'industrie métallurgique par exemple, "on subit indirectement la hausse des prix de l'énergie, ne serait-ce qu'au niveau des transports, des produits de traitement, des coûts pour les agriculteurs...", liste Marc Désarménien. Le coût des emballages a aussi fortement augmenté.

Le verre est aujourd'hui 70% plus cher qu'au 1er janvier 2022 !

Marc Désarménien

Maison Fallot

Ce n'est d'ailleurs pas le seul secteur à souffrir de cette hausse des prix des contenants, comme nous vous le relations dans cet article en mai 2022 : la viticulture, notamment, est aussi concernée.

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La moutarderie Fallot, qui a déjà dû augmenter ses prix par deux fois en 2022, s'attend à devoir à nouveau les augmenter dans le courant de l'année 2023. "Ce n'est pas nous, maîtres moutardiers, qui pourrons inverser la tendance", regrette Marc Désarménien. Car cette inflation s'inscrit dans un contexte géopolitique global. Selon le patron de la Maison Fallot, "c'est tout un modèle qui est en train de se transformer. Là, on est parti sur un cycle fort d'inflation qui va bouleverser l'économie mondiale. On ne sait pas très bien où on va."

La culture de la moutarde est en train de se relocaliser

Pourtant, dans ce contexte difficile, tout n'est pas noir pour la moutarde bourguignonne. La filière est en train de relocaliser sa production en augmentant la surface de moutarde plantée en Bourgogne, en Franche-Comté, et dans une moindre mesure, en Seine-et-Marne. 

Après la pénurie due à la mauvaise récolte 2021, "les industriels ont fait de gros efforts sur les prix pour encourager les cultivateurs à semer beaucoup de moutarde", relate Fabrice Genin, lui-même cultivateur, président de l'association des producteurs de graines de moutarde de Bourgogne (APGMB) et aussi président de la FDSEA de Côte-d'Or.

Avec 12 000 hectares plantés, on a presque triplé la surface cultivée par rapport à l'an dernier. De 200-300 cultivateurs, on est passé à environ 600.

Fabrice Genin

association des producteurs de graines de moutarde de Bourgogne (APGMB)

Ce qu'il s'est passé : les fabricants de moutarde ont proposé des prix d'achat suffisamment élevés pour convaincre certains agriculteurs, qui cultivaient d'autres céréales, de se tourner vers la moutarde. "Les industriels étaient pris à la gorge, ils n'avaient pas de graines même au Canada. Donc, ils avaient vraiment intérêt à encourager les producteurs. Ils ont réussi à trouver un prix qui donne envie de prendre ce risque."

Car la culture de la moutarde n'est pas de tout repos. Elle est bien plus risquée que pour d'autres céréales. D'abord, elle est sensible aux aléas climatiques : gel, sécheresse, inondations, fortes chaleurs... Et les cultivateurs s'attendent forcément à des pertes. Même si pour l'instant, "dans l'ensemble, les cultures sont plutôt belles et c'est encourageant", se réjouit Fabrice Genin. Mais au-delà de ça, "c'est une culture compliquée, avec des insectes ravageurs que l'on ne maîtrise pas très bien".

Et comme la moutarde représente une très faible surface cultivée en France (à peine 1%), "il n'y a pas eu beaucoup de recherche sur les produits phytosanitaires", indique Fabrice Genin. "Malheureusement, on a du mal à trouver des solutions chimiques pour lutter contre les ravageurs. C'est en partie pour cela que les rendements avaient baissé fortement."

La culture de moutarde est une vraie prise de risque pour les producteurs, c'est pour ça qu'il faut leur proposer un prix attractif. Si on accepte de prendre un risque, il faut un bon retour sur investissement si ça marche.

Fabrice Genin

APGMB

Des recherches sont actuellement menées pour trouver des variétés résistantes aux insectes ravageurs ; c'est ce qu'on appelle des améliorations variétales. "Mais ça ne se fait pas en un claquement de doigt", reconnaît Luc Vandermaesen (Reine de Dijon), et en attendant, "il est logique que la culture rapporte plus aux agriculteurs, puisqu'elle est plus compliquée à faire".

La relocalisation de la production de moutarde en France permettra à la filière d'être un peu moins dépendante du Canada. "Avec les quantités de la prochaine récolte, l'ensemble du marché va passer au-delà de 40% de graines françaises alors que cette année, on est très largement en-dessous, aux alentours de 15%", note Luc Vandermaesen. Pour sa part, Reine de Dijon compte passer au-dessus de 50% de graines françaises cette année. Les fabricants recevront les graines de Bourgogne après la récolte, à partir du mois d'octobre.

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