Contre-offensive dans l’affaire qui vise Tomofumi Uchimura, le chef du restaurant étoilé Origine à Dijon : des salariés et anciens salariés prennent la parole pour défendre leur chef, visé par une plainte pour harcèlement et agression sexuelle, et mis en cause pour son comportement avec le personnel.
“Cette plainte, ces témoignages, c’est 100 % de mensonges.” “Ce n’est pas vrai, le chef n’est pas du tout comme ça.” “Je me sens carrément bien au restaurant !” Ces mots sont ceux de salariés et d’anciens salariés du restaurant Origine que nous avons contactés. Des mots en totale contradiction avec les témoignages forts que nous vous révélions la semaine dernière, mettant en cause un management brutal au sein de cette grande table dijonnaise. Au cœur de cette affaire, un homme : Tomofumi Uchimura, chef du restaurant Origine, étoilé au Guide Michelin.
La défense s'organise
Lundi 25 novembre, Tomofumi Uchimura est placé en garde à vue. Le chef japonais est visé par la plainte d’Anna (prénom d'emprunt), une ex-salariée, pour harcèlement moral et sexuel et agression sexuelle. Des faits qu’il conteste. À l’issue de plus de 30 heures d’interrogatoire, il ressort libre ; le parquet de Dijon est désormais en train d’analyser le dossier pour décider des suites qu’il donnera.
Mais la révélation de cette plainte a des répercussions. Dans les jours qui suivent, plusieurs ex-salariés d’Origine contactés par France 3 prennent à leur tour la parole et dénoncent le comportement du chef, entre blagues salaces, coups de colère et cadences de travail infernales.
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Le chef, lui, continue de nier ces accusations et son clan organise sa défense. Son avocat nous a fourni une liste de salariés et ex-salariés souhaitant prendre la défense de Tomofumi Uchimura. Nous nous sommes entretenus avec six d’entre eux. À leur demande, tous les prénoms ont été changés.
"Il est calme, hyper pro, soucieux de notre bien-être"
“J’ai été très choquée de découvrir cette affaire. Ça ne correspond pas du tout à ce que je vis”, affirme Clémence, pâtissière, qui travaille depuis plusieurs mois au restaurant. “Nous sommes ultra soudés, c'est une ambiance 'famille'. Ça nous arrive de faire des bowlings tous ensemble le dimanche... Le chef est calme, hyper pro. Je ne le vois pas se mettre en colère, au contraire, je le trouve soucieux de notre bien-être."
“Mes conditions de travail sont totalement à l’opposé de ce que j’ai lu la semaine dernière”, assure aussi Nolan, commis de cuisine depuis quelques mois aussi. “Je n’ai jamais eu aucun souci, jamais.” Également commis au restaurant, Seito affirme : "Le chef Tomo me respecte, il me vouvoie quand je parle avec lui. Il a toujours de la politesse pour moi et pour l'équipe."
"J'ai travaillé avec lui pendant 10 ans justement parce qu'il était respectueux", explique Iko, une Japonaise qui a fait la connaissance de Tomofumi Uchimura à la maison Lameloise (trois étoiles au Guide Michelin).
Je n’ai jamais vu le chef avoir des intentions ou des mots déplacés”
Iko
Les “blagues salaces” et les allusions sexuelles dénoncées par certains salariés ? “On se faisait des blagues entre nous, mais pas sur les femmes”, promet Taro, ancien second de cuisine. “Ça arrivait qu’on se dise, à propos d’une nouvelle dans l’équipe : ‘tiens, elle est jolie’, mais ça s’arrêtait là”, note Stéphane, consultant depuis trois ans auprès du restaurant. “Je n’ai jamais vu le chef avoir des intentions ou des mots déplacés”, certifie Iko. “La colère, des fois oui, mais c’est normal, ça existe dans tous les restaurants. Mais jamais de mots sexistes.”
"Des grosses colères, il y en avait mais c'était rare"
Dans leurs témoignages à charge, certains salariés dénoncent en effet des “colères incontrôlées”, une ambiance "invivable" avec un chef qui “hurlait tout le temps”, capable de casser du matériel en s’énervant. Ceux qui soutiennent Tomofumi Uchimura tempèrent ces affirmations.
Il peut y avoir un coup de gueule pendant le coup de feu, mais c’est l’établissement le plus serein dans lequel j’ai travaillé
Stéphane
“J’ai travaillé avec des chefs étoilés toute ma vie, et je peux vous dire que j’en ai évité, des casseroles et des assiettes qui volaient”, assure Stéphane. “À Origine, il peut y avoir un coup de gueule pendant le coup de feu, mais c’est l’établissement le plus serein dans lequel j’ai travaillé. Franchement, je n’ai jamais été dans un établissement avec un tel niveau de bien-être par rapport à la qualité du travail fourni."
Taro, ancien second de cuisine, reconnaît : “Des grosses colères, il y en avait, mais c’était rare, moins d’une fois par mois je dirais. Et jamais de violence.” Il justifie : “C’était très compliqué pour nous lorsque l’étoile est arrivée en 2022 : beaucoup de clients sont venus, une grosse pression… Si le chef Tomo s’énervait, c’est qu’il y avait un vrai risque de perdre l’étoile.” Depuis, il assure que les choses ont changé. “Le chef a modifié notre manière de travailler, en nous accordant une demi-journée de fermeture supplémentaire par exemple."
L'entourage du chef remet en cause la plainte d'Anna
Ces témoins remettent aussi en cause la plainte pour harcèlement sexuel et moral et agression sexuelle déposée par Anna (prénom d’emprunt). Dans un entretien au Bien Public, la plaignante déclarait : “Le chef me disait que j’étais du genre à aimer la fessée”, “il frottait son sexe contre mes fesses”, “pendant les coupures je buvais un à deux litres de bière, pour éteindre mes émotions, c’est la seule chose qui me permettait de tenir, j’allais pleurer dans la cave”.
“J’ai été outré de lire ça, je trouve ça déplorable”, répond Stéphane, qui a travaillé avec Anna “du début à la fin” de son contrat. “Je regrette que les médias n’aient pas parlé du caractère de cette personne”, nous dit Seito, commis de cuisine. “Elle n’arrêtait pas de casser des verres et des assiettes, elle a dormi dans la cave pendant le service…”
Anna ? C'était une personne compliquée
StéphaneEx-collègue de la plaignante
“On pense qu’elle était alcoolique depuis longtemps”, nous confient plusieurs salariés. “On a bien vu que c’était une personne compliquée, avec un problème d’alcool, des hauts et des bas dans son comportement, des irrégularités de travail, des absences plus ou moins justifiées”, se souvient Stéphane.
Des règlements de compte... et un problème plus large
Tous, parmi ceux qui soutiennent le chef, estiment que Tomofumi Uchimura est victime d’une vengeance fomentée par un ancien associé - un homme que nous avons rencontré. Ce dernier se défend de vouloir mener une “cabale”. S'il ne souhaite pas s’exprimer pour l’heure, il confirme avoir aidé Anna à libérer sa parole et à déposer plainte, et dit l'avoir fait après avoir pris conscience des agissements du chef.
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Mais au-delà des conflits personnels, cette affaire soulève un problème plus large : celui des conditions de travail dans la restauration.
Les anciens cuisiniers et serveurs qui témoignent contre le chef parlent d’horaires à rallonge, “plus de 80 heures par semaine”. Si Clémence, la pâtissière, assure qu’elle ne fait “clairement pas plus de 40 heures par semaine” et Nolan le commis juge que ses horaires "ont toujours été réglo", ce discours est plus nuancé chez d’autres salariés, qui soutiennent malgré tout le chef Uchimura.
Moi, je ne demande pas mes heures supplémentaires
Iko
“Moi, j’ai toujours travaillé dans la restauration gastronomique. Je ne demande pas mes heures supplémentaires ; je sais que c’est possible, mais je ne le fais pas. Je travaille pour moi, pour gagner de l’expérience”, explique Iko. “Je suis d’accord, on travaillait beaucoup, on faisait vraiment beaucoup d’heures, mais c’était juste après l’obtention de l'étoile. De nombreux clients venaient et on ne pouvait pas les refuser !”, justifie Taro, assurant que le rythme s’est calmé depuis.
Stéphane, consultant d’Origine depuis trois ans, confirme. “Les journées à rallonge, ça a pu arriver, j’en suis conscient. Mais aujourd’hui, le chef a conscience du travail fourni. Depuis l’étoile, il y a eu la fermeture le mardi midi, et depuis cet été on ferme aussi le mercredi midi, pour soulager les équipes.”
Ce n’est pas le restaurant Origine qui est mis en cause, c’est la restauration
Stéphane
“Ce n’est pas le restaurant Origine qui est mis en cause, c’est la restauration”, estime pour résumer le consultant. Répétant avoir travaillé toute sa vie dans des restaurants gastronomiques : “Les horaires, les heures sup’... En restauration, on ne fait jamais les heures marquées sur le contrat. On sait quand on arrive, on ne sait pas quand on part.”
Aucun établissement étoilé ne fait 39 heures par semaine
Stéphane
“Aucun établissement étoilé ne fait 39 heures par semaine. Je ne peux pas nier qu’on fait plus d’heures que la moyenne des Français. Mais la restauration n’est plus un métier d’esclavage comme avant”, assure-t-il. “Avant, on était vraiment aux ordres du chef. Tout le monde sait que la restauration, c’est militaire. Mais moi, aujourd’hui, quand je sors de mon service à Origine, j’ai un sentiment de bien-être. Je suis heureux", conclut Stéphane.
La justice continue d'interroger des témoins
Contacté, l'avocat de Tomofumi Uchimura dit être toujours en attente de la décision du parquet : classer la plainte sans suite, ou engager des poursuites. De nouveaux élements pourraient aussi apparaître : cette semaine encore, des salariés du restaurant ont été contactés par la police pour être interrogés.
La décision du parquet sera dans tous les cas attentivement scrutée par le monde de la gastronomie, et notamment le Guide Michelin. Interrogé par France 3, le Guide s'est dit "attaché au respect du principe de la présomption d’innocence" tout en condamnant "tout acte de discrimination, d’agression ou de violence", rappelant ses "valeurs d'humanisme et d'excellence". Une façon, entre les lignes, de prévenir : si les faits sont reconnus, Origine risque bien de perdre son étoile.