Depuis plusieurs années, le monde du football amateur est marqué par des faits de violence. Entre les agressions des officiels et les bagarres générales, plusieurs arbitres, entraîneurs et joueurs de Bourgogne témoignent. Dans un sport où la violence prend parfois le pas sur le jeu.
Coups sur des arbitres, bagarres générales entre les joueurs, public ingérable, menaces de mort... Les week-ends, il est de moins en moins rare de voir des matchs de football où la situation dérape complètement, sur et en dehors du terrain.
"On entend des menaces de mort." "J'ai toujours peur d'une bagarre mais j'essaye de ne pas y penser." "Ça gâche des fois le plaisir de jouer et c’est dommage." "Je ne viens pas arbitrer pour me faire insulter." Joueurs, entraîneurs, arbitres... Ils témoignent sur l'ambiance qui fait aujourd'hui tristement la réputation du football amateur.
"La mentalité a changé"
Il y a quelques mois, le club de l'AS Fontaine-d'Ouche (Côte-d'Or) avait décidé de stopper temporairement ses activités après l'agression de deux éducateurs et un enfant. Et c'est un phénomène loin d'être isolé.
Emmanuel Simoes est éducateur au club de Dijon ULFE, et entraîneur d'une équipe en deuxième division départementale. Chaque week-end, il est conscient que la situation peut vite déraper. Pour lui, "il y a clairement un problème de comportement dans le football amateur. La mentalité a changé. Ça peut déraper, et c’est toujours dans un coin de ma tête, mais on essaie de ne pas y penser. Je dis aux joueurs de répondre que sur le terrain, de ne pas tomber là dedans."
Contrairement à ce qu'on peut croire, ce climat de tension s'installe dès les plus jeunes catégories. Une atmosphère parfois difficile à gérer pour ceux qui débutent. Lucas joue au football depuis ces cinq ans. Lorsqu'il était plus petit, il avoue avoir du faire face à des joueurs agressifs ... Ainsi que leurs parents. "Il y avait déjà des soucis avec les parents au bord du terrain. Les joueurs insultaient et cherchaient à faire mal, mais il y avait aussi la pression du public autour."
Il n’y a plus cette notion de respect. C’est déjà trop ancré dans le football, je ne sais pas si on s’en sortira.
Emmanuel SimoesEntraîneur de football en district
Malheureusement chez les plus grands, la situation ne s'améliore pas, bien au contraire. Sur le bord de terrain, garder le contrôle de la situation n'est pas toujours simple pour Emmanuel Simoes. "On a de plus en plus d’insultes gratuites, que ce soit les joueurs ou le public. Il y a quinze jours, un de mes joueurs s’est fait prendre à partie par les personnes au bord du terrain."
Pour l'entraîneur, avoir un public chambreur n'est pas choquant, mais il y a des limites à ne pas dépasser. "Ça fait partie du foot et tu es obligé de l’accepter. Il faut le faire avec respect. Il faut faire la part des choses et tous ne sont pas capable de le faire. Si tu enlèves le chambrage du foot, ce n’est pas du foot."
Des clubs avec une "sale" réputation
Emmanuel Simoes le concède, certains clubs ont une "sale" réputation et il se demande s'il ne serait pas préférable de les radier du monde du football amateur. "Mais les joueurs qui posent problème finiront par trouver un autre club. On peut être inquiet parce que des fois, on tombe sur des équipes ou les joueurs veulent plus se bagarrer que jouer au foot. Et tu ne peux pas avoir des footballeurs-boxeurs."
Ces équipes, elles sont aussi redoutées par les joueurs. Lorsqu'il vient à les jouer lors des week-end de matchs, Lucas sait déjà que sa passion pour le football va en prendre un coup. "Ils cherchent à t’intimider, à te menacer sur le terrain. On entend “t’inquiète pas tu vas voir après”. Ils veulent faire peur pour gagner. Nous on veut juste jouer au football, et c’est tout. Ça gâche le plaisir de jouer parfois. Ça met une pression le week-end où t’es censé jouer et vivre de ta passion mais non, tu ne peux pas."
Le 18 et 19 novembre 2023, aucune rencontre de football amateur ne s'était jouée en Saône-et-Loire. Le district avait fait le choix de se mettre en grève, suite à l'augmentation du nombre d'agressions et de faits disciplinaires. Une décision que Lucas a toujours du mal à comprendre. "Je déteste ça, je ne comprends pas pourquoi on ne punit pas le club, c'est toujours les mêmes. Il faut agir, Peut-être qu'ils ne veulent pas se mouiller, mais il y a un gros souci là dessus. Certaines équipes sont juste victimes."
Les arbitres, la première cible
Et si la violence est au coeur du football amateur depuis des années, ce sont principalement les arbitres qui en font les frais. Ces derniers se retrouvent très exposés, et souvent esseulés lors des matchs. "Aujourd’hui, il y a une recrudescence d’incivilités, d’insultes, de propos qui vont déstabiliser l’arbitre", assure Michel*, arbitre depuis 25 ans. "Parfois, il y a de la lassitude, moi le premier, parce qu’on rencontre ce genre d’incivilités. Quand on est arbitre, on se retrouve seul face aux joueurs, aux parents quand c’est des jeunes, et aux supporters. On se dit qu’on ne veut pas passer son dimanche après-midi à se faire appeler par des noms d’oiseaux."
On a de plus en plus de menaces de morts, ça fait partie des nouvelles tendances.
Laurent BolletPrésident de l'Union nationale des arbitres de football
Selon l'Union nationale des arbitres de football (Unaf), 20% des arbitres formés lors de leur première année décident de ne pas poursuivre leur carrière. Ce sont fréquemment les plus jeunes officiels qui sont pris à part par le public. "Quand ils commencent et qu'ils entendent toutes ces insultes, on n’a plus envie d’y retourner. On apprend au début, on fait des erreurs et c’est là que c’est dur parce que les gens sont exigeants sur la qualité de l’arbitre. Pourtant, on laisse les joueurs apprendre quand ils commencent, mais il y a peu de tolérance envers nous aujourd’hui."
Et parfois, la situation se dégrade. Le 24 octobre 2022, un arbitre avait été agressé lors d'un match en deuxième division départementale en Côte-d'Or. Ce dernier avait stoppé la rencontre car il ne se sentait plus en sécurité, avant de se faire prendre à partie par des joueurs et des spectateurs. Il y a quelques semaines, c'est dans la Nièvre qu'un arbitre a été attrapé par le cou par de pseudos supporters. Pour faire face à des situations difficiles, les arbitres sont désormais formés à la gestion des conflits.
Chaque année, entre 40 et 60 dossiers de violences sont traités au niveau national. "Il faut protéger nos arbitres", rappelle Michel. "On est en capacité de faire appliquer ce qui est applicable. Il faut aussi que tout le monde soit conscient qu’on est tous là pour prendre du plaisir ensemble."
* Le prénom a été modifié pour garantir l'anonymat.