Affichage sauvage, infiltration dans des manifestations, nouvelles implantations... L'ultra-droite, nébuleuse regroupant plusieurs mouvements parfois violents, est de plus en plus visible dans la capitale comtoise, notamment ces derniers mois. Enquête.
Vous les avez peut-être remarquées si vous vivez en centre-ville de Besançon. Depuis plusieurs semaines, des inscriptions sont visibles régulièrement, sous forme de tags ou affichage papier, sur les murs ou panneaux de signalisation de la boucle. Dans la nuit du 12 au 13 septembre, plusieurs ont été constatées, notamment dans le quartier Rivotte. On peut y lire l'acronyme “GUD”, en référence au syndicat d’extrême droite “Groupe Union Défense”. De plus, de nombreux stickers attribués à l’ultra-droite fleurissent ici et là.
Selon Laurent Nunes, coordonnateur national du renseignement, interrogé en janvier 2021 sur le sujet par Francetvinfo, “l'ultra-droite est une nébuleuse de plusieurs mouvements composés d'identitaires, de nationalistes, d'ultra-nationalistes, de néo-nazis, une partie aussi de la branche royaliste et de plus en plus des suprémacistes blancs.”
Le groupuscule GUD affilié à la droite radicale, dont l'histoire est liée à celle du Front National, a été créé à la suite de la dissolution en 1968 du Mouvement Occident, adepte des violences répétées et à l’origine d'un début de dérive terroriste d'une partie de ses chefs. C’est Alain Robert, son principal leader, qui a décidé de fonder un syndicat étudiant à l'université Panthéon-Assas Paris II : l'Union Droit, surnommé ensuite “GUD” pour “Groupe Union Droit”.
Une présence de plus en plus visible
“Si le GUD multiplie les actes de violence, ceux-ci ne visent plus des groupes mais des personnes isolées (au motif que ces dernières seraient des gauchistes, ou bien qu'elles sont noires, etc...)“ explique Nicolas Lebourg, historien spécialiste de l'extrême droite, pour Slate.fr, dans un article qui explique les origines de ce mouvement réputé pour ses actions violentes.
Les inscriptions du GUD ne sont pas les seuls éléments à attester de la présence de plus en plus visible de l’ultra-droite à Besançon. En effet, des affiches de “La Cocarde étudiante” sont apparues en ville à plusieurs endroits début septembre, et notamment sur les panneaux d’affichage de la salle de musique actuelle La Rodia.
Cette organisation étudiante de droite traditionnelle présente dans plusieurs villes françaises, dont Dijon, dénonce “le gauchisme culturel” et le libéralisme ainsi que l’immigration et l’ensauvagement de la société. Le président de ce syndicat n’est autre que Luc Lahalle, ancien assistant parlementaire de Jordan Bardella, du Rassemblement National. “Nous défendons la nation et l’identité de celle-ci contre les théories décoloniales et communautaristes, et nous opposons un conservatisme civilisationnel à toutes les thèses de la déconstruction sociétale et de l’idéologie LGBT” déclarait-il en avril 2020.
Soutien de Génération Identitaire, mouvement nationaliste blanc et islamophobe dissous en mars 2021, les jeunes du syndicat “La Cocarde Étudiante” n’hésitent pas à vanter la civilation française en opposition à l’histoire d’autres peuples, comme celle de l’Afghanistan par exemple.
Le compte Twitter de “La cocarde Franche-Comté” a été créé en septembre 2021, témoignant ainsi de sa récente constitution dans la capitale comtoise.
Autre fait plutôt remarqué, le 14 septembre, un sympathisant d’Eric Zemmour a été vu à proximité du lycée Pasteur distribuant des tracts de “La jeunesse avec Eric Zemmour” et discutant avec des lycéens. Selon un témoin, il était pourtant âgé d’une soixantaine d’années.
"Ils se remettent en ordre de marche”
Le correspondant de presse de Média25/RadioBip, surnommé “Toufik de Planoise”, connaît bien le milieu de l’ultra-droite, notamment à Besançon. Il étudie ce réseau et ses multiples ramifications depuis environ 10 ans. Selon lui, il s’agit d’un climat global propice au réveil de l’extrême droite et des groupuscules de l’ultra-droite et ce dans toutes les régions de France.
“Il n’y a pas vraiment de résurgence en terme numérique. On va dire qu’ils se réveillent un peu tous en même temps. Les anciens militants d’ultra-droite se remettent en ordre de marche. Au niveau des profils, ça reste des gens connus qui savent que le milieu anti-fasciste n’est plus assez actif” nous explique-t-il.
Et d’ajouter : “Si on prend l’exemple des néo-nazis sur Besançon, ils sont une vingtaine et depuis longtemps. Sur les manifestations anti-pass sanitaire, ils se dissimulent en utilisant des slogans plus généraux contre la dictature sanitaire. C’était le cas lors de leur dernière apparition le 14 août dernier”. Selon lui, ce sont eux qui taguent régulièrement du sigle “GUD” les rues bisontines mais ils se font désormais appeler “Les Vandal Besak”.
Sur les réseaux sociaux, et plus particulièrement sur le groupe Facebook “Ouest Casual XIII”, on découvre des photos du groupuscule “Vandal Besak” posant derrière leur bannière avec en légende : “Antifascists run away” ou en français “les antifascistes s'enfuient”. Les photos ont été prises le 17 juillet et le 14 août, jours de manifestations bisontines.
Affiches nazies et antisémites lors de manifestations
“Toufik de Planoise” a été agressé le 17 juillet alors qu’il couvrait pour le média indépendant Radio Bip la manifestation contre le « pass sanitaire » à Besançon. “Il s’agissait d’un des responsables d’une ancienne organisation identitaire du coin. Il m’a frappé au visage en me menaçant de mort. Il m’a dit qu’il m’enverrait au fond du Doubs” se rappelle-t-il, tout en précisant qu’une femme, qui n’a pas souhaité porter plainte, a également été agressée. Lui est allé déposer plainte au commissariat à la suite de son agression.
Adrien*, un Bisontin d’une trentaine d’années présent à “presque toutes les manifestations anti-pass sanitaire”, a lui aussi constaté la présence de membres affiliés à la mouvance néo-nazie lors de ces événements. “Il y avait des gens de Besançon mais aussi de Bretagne et de Paris” explique le Bisontin, habitué à décoller les affiches et les stickers de l’ultra-droite, particulièrement actifs ces derniers temps selon lui.
Le 14 août, “des nazillons” comme les appellent plusieurs témoins, ont été exclus du cortège avant le départ de la manifestation. Frédéric Vuillaume, syndicaliste FO très présent sur les manifestations bisontines depuis de nombreuses années maintenant, confirme cette version des faits. “J’ai pris la parole au micro en début de manifestation pour dire qu’ils n’étaient pas les bienvenus et que s’ils ne partaient pas, nous les ferions partir. Ce sont ceux qui avaient molesté des gens en juillet. Ils n’étaient pas très à l’aise. On a commencé le cortège, et on a scandé « Dégagez les nazillons ! ». Ils voulaient en venir aux mains mais ils ont fini par partir” se remémore-t-il.
Je n’avais jamais vu ça avant. Ce sont des gens qui sont là pour la haine, ils ne sont pas là pour manifester mais pour foutre la merde. Ils ont une idéologie mortifère.
Selon Adrien*, ce sont ces mêmes personnes ou leurs sympathisants qui affichaient des slogans antisémites lors des manifestations et notamment une pancarte “QUI ?” ainsi qu’une inscription inspirée du nom de la Schutzstaffel, la garde personnelle d’Adolf Hilter, comme le relataient deux articles de l’Est Républicain le 25 juillet et le 15 août.
Une plainte pour "provocation à la haine ou à la violence en raison de l'origine, l'ethnie, la nation, la race ou la religion par parole, écrit ou image" a été déposée par la Licra après la manifestation du 14 août, au sujet d’une troisième pancarte vue à Besançon. “Il était inscrit 'Génocide des Goyim', donc des non-juifs, avec une infirmière tenant une seringue” nous explique Toufik de Planoise. “C’est clairement une pancarte antisémite”.
Ce dernier reproche à la presse locale de ne pas chercher à savoir qui se cache derrière ces pancartes. “La presse ne parle jamais d’extrême-droite, de néo-nazis. Quand tu parles de pancartes antisémites mais que tu ne dis pas d’où elles proviennent, ça ne peut pas être clair pour les gens. C’est important que tout le monde comprenne qui sont les responsables de ces agressions et de ces affichages” explique-t-il.
De son côté, Adrien* continue à “nettoyer” les rues de Besançon. “Vendredi matin, j’ai enlevé une cinquantaine de stickers et affiches de La Cocarde et de l’Action française", détaille-t-il. L’Action française est une organisation politique nationaliste et royaliste d'extrême droite qui prépare “la restauration de la monarchie et, dans l'attente du retour du roi, œuvre pour la défense de l'intérêt national", selon leur manifeste.
Agression raciste et tags anti-LGBT
En février 2021, Besançon a également été le théâtre d’une violente agression raciste, attribuée à un proche de la mouvance néo-nazie, qui a fréquenté un temps “Le Bunker”, repère de sympathisants de l’idéologie nazie, situé sur la colline de Bregille.
Un entrepreneur bisontin d’origine maghrébine a été violemment roué de coups dans un quartier du centre-ville, sous les insultes racistes, par un jeune homme de 24 ans, tatoué du sigle MVSN, en référence à une milice italienne sous le régime fasciste mussolinien. L’agresseur a été reconnu coupable d’agression raciste et a écopé d’une peine de prison ferme (relire notre article).
Pour rappel également, à Besançon en juin 2021, plusieurs passages piétons arc-en-ciel ont été vandalisés quelques jours seulement après avoir été inaugurés par la Ville qui souhaitait montrer son soutien à la communauté LGBT. “Stop homofolie” pouvait-on lire sur l’un des drapeaux multicolores peints au sol et notamment celui du quartier Rivotte. La municipalité avait alors porté plainte.
La Ville de Besançon a également porté plainte pour injures à la suite d'une inscription découverte ces derniers jours, dans ce même quartier Rivotte. Il était inscrit “GUD - All communist are bastard”, ou en français “Tous les communistes sont des bâtards" (voir photo en début d’article).
Joint par nos soins, le parquet de Besançon précise que l’enquête concernant les dégradations sur les passages piétons aux couleurs arc-en-ciel est toujours en cours mais qu’elle n’a pas permis d’identifier les auteurs. L’enquête concernant l’agression du correspondant de presse “Toufik de Planoise” est elle aussi toujours en cours, mais n’a pas non plus permis d’identifier les auteurs.