CHU de Besançon : "Personnel débordé, démuni" un rapport interne détaille les conditions de travail au pôle urgences

Dans un audit interne datant d'août 2018 que nous nous sommes procurés, des experts reviennent largement sur les conditions de travail des personnels du pôle urgences du CHU de Besançon"Le pôle urgences bisontin brûle-t-il aussi ?" s'interrogent-ils. Détails.

Une partie des salariés du centre 15 de Besançon sont en grève depuis le 4 novembre pour dénoncer la détérioration de leurs conditions de travail. Dans ce service, les semaines font parfois 50 heures et les agents multiplient les heures supplémentaires. Certaines nuits, seuls deux médecins sont en poste pour recueillir l'ensemble des appels d'urgence de Franche-Comté. 
 
Aux urgences, la situation est peu ou prou la même et la grogne est nationale depuis maintenant 8 mois. Les urgentistes et les professionnels de santé intégrés aux urgences se mobilisent et clament eux aussi leur ras-le-bol (lire notre article).

Le CHU de Besançon ne déroge pas à cette règle. D'ailleurs, il y a un peu plus d'un an un audit a été réalisé en interne pour connaître en détails les conditions de travail des équipes en place, notamment après la tentative de suicide d'une femme médecin dans les locaux du CHU de Besançon. Jeudi 1er mars 2018, en début de soirée, elle avait tenté de mettre fin à ses jours, dans le service pour lequel elle travaillait : les urgences. Ce sont ses collègues qui l'avaient sauvée.


"Dégradation des conditions de travail"


Nous nous sommes procurés cet audit interne, rendu au Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT) du CHRU de Besançon le 31 août 2018. Ce document de 251 pages, réalisé par le cabinet d’expertise Syndex, concerne la situation du pôle urgences, du Samu et de la réanimation médicale. Cette société agréée a été mandatée par le CHSCT du CHU, après différentes alertes visant à dénoncer "la dégradation des conditions de travail des agents de l’ensemble du Pôle urgences – Samu- Médecine Intensive Réanimation" ainsi que la réception de divers courriers notamment "de médecins libéraux sur l’impact des conditions de travail sur la santé des agents du centre 15 régionalisé." Les entretiens des personnels et observations ont été menés entre le 28 avril et le 10 juillet 2018. 

Au total, 104 personnes ont été rencontrées par les experts du cabinet dont 5 membres de la direction du CHU, le médecin chef du pôle, et ses deux responsables de services (SAU et Centre 15), 13 médecins en entretiens individuels, 20 Agents de Régulation Médicale en entretiens individuels et collectifs, 35 infirmiers et infirmiers anesthésistes en entretiens individuels et collectifs ou encore 9 ambulanciers en entretiens individuels et collectifs. 
 

"Des troubles importants"


Trois situations de travail, dans 3 services différents ont été observées :
- Le Service d'accueil des urgences : poste d’Infirmier Organisateur de l’Accueil (IOA) et salle des Attentes Vues
- Le Centre 15 : postes d’ARM - Agents de Régulation Médicale
- La réanimation médicale, unités C et D

Rapidement, l'audit fait état d'une grande implication des agents rencontrés dans le cadre de cette mission. "De nombreuses personnes nous ont fait part d’une très forte attente vis-à-vis de l’expertise Syndex, plusieurs agents ont préparé par écrit leur entretien. Au cours des entretiens se sont exprimées des larmes, de la colère, des agents nous ont fait part de troubles importants : du sommeil, de l’humeur, musculosquelettiques…" précise le document confidentiel.

Dans une section intitulée : "Le pôle urgences bisontin brûle-t-il aussi ?", on peut lire que "le lien entre les conditions de travail pénibles du service et cet évènement dramatique (ndlr, la tentative de suicide d'une médecin) s’est imposé pour un nombre conséquent d’agents qui nous en ont fait part au cours des entretiens menés. Pour autant, ce passage à l’acte est loin d’être le seul indice du mal être du personnel en général"

Le médecin du travail du pôle évoque quant à lui le risque d’épuisement professionnel aux urgences. Les encadrants (cadres soignants et chefs médecins) interrogés décrivent qu'au centre 15, SMUR, SAU et Réanimation médicale, le personnel est débordé, démuni, et attend avec impatience des solutions pour mener à bien son travail, à la hauteur de son investissement et souvent de son dévouement. 
 

► La situation au centre 15 


Les experts précisent que le personnel du CHST du CHU bisontin "ont demandé de porter plus précisément le regard sur les agents du Centre 15". L’évolution des appels entrants ne fait que progresser régulièrement depuis 2015, année à laquelle tous les appels ont été centralisés au centre 15 de Besançon. L’effectif des Assistants de Régulation Médicale (ARM) était de 53 unités physiques au 28/03/2018 (données service RH), dont 4 agents à temps plein qui assuraient la mission de « superviseur ». À savoir que ces chiffres ont quelque peu changé depuis la publication de ce rapport, comme par exemple le nombre d'ARM ayant encore diminué, passant actuellement à 48 + 4 superviseurs. Trois postes de médecins-régulateurs sont dédiés sur la plateforme. Mais d’une manière générale seuls deux postes sont occupés sur trois types d’horaires.
 

Concernant les conditions de travail, "l’implication des agents pour maintenir la qualité au niveau de Centre 15 est source d’une fatigue qui peut conduire à des situations d’épuisement professionnel" indique l'audit qui pointe du doigt un manque de reconnaissance des agents. Il note également des "désagréments inquiétants" relevés lors de l'établissement de l'expertise en 2018 : "la présence de souris et de puces…", au sein de ce service en raison du faux plancher qui permet de passer les câbles électriques. 
 

► La situation au SMUR


Cette partie concerne les effectifs du service mobile d'urgence et de réanimation, qui interviennent directement sur le terrain. Syndex a également analysé la situation de travail des médecins urgentistes, les infirmiers-ères IADE et IDE, ainsi que les ambulanciers du SMUR. "Si, ces trois catégories vivent des tensions très élevées dans le cadre de l’exercice de leur métier et par la -même, un profond malaise et une très grande colère, nous faisons le constat d’une continuité et une transversalité des problématiques entre les deux services" détaille le rapport.

Dans ce service, on compte sur 24h, trois médecins au SMUR, 2 médecins en régulation-Centre 15, 1 médecin aux urgences, 1 médecin à l'unité d'hospitalisation de courte durée, de jour et sur la semaine, ainsi qu'un praticien hospitalier sur la réanimation. Les personnels interrogés expliquent notamment : "mixer les postes rend supportable notre activité. Ex : on fait de la régulation les matins, du SMUR, l’après-midi (en primaire, transfert et en pédiatrie), et on retourne en régulation la nuit. Les temps de récupération se font au moment de la prise de repas, et la nuit on arrive à dormir quelques heures." Les difficultés de management et les incompréhensions hiérarchiques sont également pointées du doigt. "On a le sentiment de n’être que des pions" dit un agent. Un médecin déclare quant à lui qu'"On tue dans l’œuf toutes envies et de prises d’initiatives", lorsqu'un autre fait état "d'une ambiance au sein du collectif qui tend à souffrir progressivement d’un délitement et d’une perte de cohésion."
 


"Si on critique en staff, le ton monte… On nous fait comprendre poliment qu’il faut la boucler.", "Les moments de débrief entre nous se réduisent comme peau de chagrin. On se trouve en situation d’être moins efficace" peut-on lire, concernant les temps collectifs de travail et les réunions de service. Ces observations sont à peu près équivalentes pour le centre-15 et pour le SMUR de Besançon.

 

► La situation au Service d'accueil des urgences


Depus la grève généralisée des urgences en France, des voix s'élèvent pour dénoncer la multiplication des accueils et l'augmentation des tâches à effectuer par ces services en saturation. À Besançon, pour améliorer la situation, des moyens et matériels ont été apportés comme une salle attentes-vues, ainsi qu'un renfort de l’équipe 3 du SMUR et des postes pérennisés.

"Malheureusement, ces efforts restent globalement insuffisants" selon les experts. L’absentéisme des professionnels de santé, qui jusqu’ici pouvait se compenser par des remplacements volontaires au sein des équipes (médicales et soignantes), génère une boucle infernale d’épuisement pour le personnel, d’agressivité chez les patients et leurs familles. "Le service vit une crise profonde", conclut l'audit.

Du côté du service de réanimation du CHU de Besançon, les constatations sont un peu différentes que pour les autres services auditionnés. "A la différence des autres services du pôle, la contrainte principale est moins le manque d’effectif médical et soignant (la norme garantissant un effectif constant) que les conditions environnementales inadaptées qui sont loin de répondre aux recommandations nationales (locaux vétustes, chambres exigües, unité D éloignée, manque d’espaces de stockage, de toilettes, de salle de soin dédiée…) et l’organisation du travail qui en découle" détaille le rapport.
 

Une charge de travail en forte croissance


"Unanimement, tous les médecins rencontrés témoignent d’une augmentation importante de la charge de travail" indique l'audit. C'est d'ailleurs la principale revendication des grévistes lors des mouvements sociaux de ces derniers mois en France. Les soignants se disent à bout et tirent la sonnette d'alarme.

D’un côté, il existe une réelle progression des demandes d’intervention et de l'autre les professionnels notent que des postes médicaux ne peuvent pas être comblés. Cela se traduit forcément par une augmentation du temps de travail des praticiens. Des attitudes s’installent, comme l'explique un soignant : "… Il n’est pas rare de travailler en double casquette. Je fais deux fonctions en simultané, je suis sur régulation… avec mon Bip du SMUR ! Ce qui est contraire aux fiches de bonnes pratiques que délivre la Haute Autorité de Santé HAS." 
 

La peur d'une "chasse aux sorcières"


L'expertise inscrit une somme de préconisations à suivre pour améliorer la situation, soulager les personnels soignants et ainsi améliorer la prise en charge des patients. Les experts soulignent également "la confiance et la transparence constatées au cours des entretiens avec la Direction, l’encadrement et différents personnels" ce qui témoigne d’une volonté partagée de sortir de ce climat délétère.

La situation s'est-elle améliorée depuis la publication de ce rapport ? Contactés à plusieurs reprises par nos soins, les syndicats se refusent à tout commentaire. De manière générale, les personnels médicaux, même syndiqués, ne souhaitent pas témoigner à visage découvert ou voir leur nom citer dans nos colonnes, "par peur des représailles" et "d'une chasse aux sorcières". Également contactée ce 29 novembre, la direction du CHU n'a pas encore réagi.

"À ma connaissance, les seules choses qui ont changé c'est la salle de repos et les chaises" nous a confié un ancien délégué syndical du CHU de Besançon. Selon une source anonyme en poste, la situation est toujours la même : "rien n'a changé". 

En juin 2019, sept infirmiers et infirmières des urgences de nuit du CHU de Besançon ont été arrêtés par leur médecin pour épuisement professionnel. "Personne ne répond aux signaux d'alerte, aux problèmes d'organisation et d'effectifs, confiait alors l'un des infirmiers en arrêt maladie, sur Franceinfo. Tous ces problèmes nous ont poussé à un épuisement professionnel et à nous mettre en arrêt avant de commettre de graves erreurs." La situation est de ce fait loin d'être satisfaisante, un an après le rendu du rapport Syndex et malgré des réponses gouvernementales, jugées "insuffisantes" pour les personnels de santé.
 
5 décembre 2019 : Droit de réponse du CHU de Besançon
Votre article paru le 29 novembre dernier et intitulé « « CHU de Besançon : « Personnel débordé, démuni » un rapport interne détaille les conditions de travail au pôle urgences » opère un amalgame injustifié entre des faits que rien ne relie. Le rapport du cabinet Syndex que vous évoquez est intervenu il y a plus d’un an. Aujourd’hui vous mettez en exergue cette information comme si elle était nouvelle, en particulier dans le titre de l’article, ce qui conduit vos lecteurs à croire à une actualité immédiate ce qui n’est pas le cas. Vous aviez d’ailleurs traité l’information en son temps, en octobre 2018, et vous aviez évoqué le plan d’action de 63 mesures mis en œuvre par le CHU à la suite du rapport. Il aurait été logique de le rappeler. Le contenu du rapport a conduit à des désaccords en raison principalement du fait que les affirmations portées par le cabinet Syndex n’avaient fait l’objet d’aucune vérification de leur part. Un plan d’actions a été ensuite élaboré autour d’un diagnostic partagé et fait l’objet d’un suivi régulier dans le cadre du CHSCT. Vous soulignez d’ailleurs que, contactés à plusieurs reprises par vos soins, les syndicats n’ont pas souhaité faire de commentaires. Surtout, le CHU de Besançon ne peut accepter un rapprochement artificiel entre ce rapport déposé il y a plus d’un an et la plainte déposée par une famille du territoire de Belfort, relative à la prise en charge d’une patiente par le centre 15 le 14 septembre dernier. Il n’y a strictement aucun lien entre le rapport de 2018 déclenché à la demande du CHSCT et cet événement récent. De même, la mention dans votre article de la tentative de suicide d’un médecin du CHU au mois de mars 2018 est hors de propos. Cet événement bouleversant n’a eu aucune suite. Le CHU de Besançon ne peut donc accepter qu’à l’occasion d’une plainte déposée en septembre 2019  à l’encontre du centre 15, des informations anciennes et sans lien entre elles fassent ainsi la matière d’un article qui nous semble tendancieux ».
 
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