"Des patients vont vivre avec des couches" : après 37 plaintes, un chirurgien de Besançon n’a plus le droit d’opérer

Étienne Manteaux, procureur de la République de Besançon (Doubs) a annoncé ce mardi 1er octobre la mise en examen d’un chirurgien proctologue qui fait l’objet de 37 plaintes de patients. Autant de vies bouleversées après des opérations ratées.

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L’affaire prend de l’ampleur. À ce jour, 37 plaintes de patients âgés de 27 à 70 ans ont été déposées à l’encontre du Dr Luc Clémens chirurgien proctologue de la polyclinique de Franche-Comté à Besançon (Doubs). Mais 53 patients se sont signalés auprès de la justice. Des faits antérieurs à juin 2018 sont prescrits. 

“ Le point commun de ces dossiers est un médecin qui propose une opération miraculeuse et prévient peu ou pas des risques, et les patients qui découvrent qu’ils sont diminués, par des problèmes d’incontinences, des obligations d’aller 12 à 14 fois par jour à la selle. La plupart décrivent un quotidien bouleversé, des séparations. Ce sont des gens qui ont entre 30 et 60 ans et qui vivent aujourd’hui avec des couches” a décrit le procureur de la République de Besançon, Etienne Manteaux à propos de ces hommes et femmes venus se faire opérer des hémorroïdes. 

Mi-juin 2024, lorsque l’Est Républicain a révélé les premières plaintes, France 3 avait recueilli le témoignage de plusieurs patients.

Mon sphincter a été endommagé de manière irréversible. (...) Je continue de vivre l'enfer, sept ans après. J'ai des brûlures atroces, des boursouflures, je suis obligé de porter des protections en permanence.

Un patient victime, opéré en 2017.

France 3

Plusieurs victimes affirment avoir perdu leur emploi en raison des séquelles physiques. L'une d'entre elles évoque une tentative de suicide.

Interdiction d’opérer prononcée pour le médecin

Au vu du nombre de signalements et de la mise en danger possible de nouveaux patients, le magistrat instructeur a prononcé le 24 septembre, la mise en examen du chirurgien proctologue pour blessures involontaires ayant entraîné une interruption temporaire de travail de moins de trois mois, aggravées par une obligation manifestement délibérée de sécurité et de prudence. Le médecin âgé de 56 ans est placé sous contrôle judiciaire. Il pourra encore réaliser des consultations, mais n’a plus le droit d’effectuer d’actes chirurgicaux.

Il a continué à opérer de la même façon alors qu’il avait des retours de patients victimes de séquelles.

Etienne Manteaux, procureur de la République de Besançon

La justice a voulu agir vite. Le médecin en question avait été placé en arrêt de travail au moment de la médiatisation de l’affaire. Il avait repris son activité chirurgicale mi-septembre.

Le proctologue mis en examen aurait reconnu lors des premières auditions qu’il y a bien eu des séquelles opératoires sur certains patients, mais estime que “c’est un aléa par rapport au nombre d’opérations qu’il effectuait” indique le procureur. Bref, qu'il était un "très bon proctologue". 

Les dossiers des patients saisis, un expert médical désigné

Les dossiers médicaux des 37 patients ayant déposé plainte contre le proctologue ont été saisis par la justice. lls ont été remis à un expert, un gastro-entérologue désigné par la cour d’appel de Paris. L’expertise pourrait prendre cinq mois. 

Les patients qui ont engagé des plaintes, ont l'impression d'avoir enfin été entendus. "Ça fait du bien au moral, on se demandait qui allait l'arrêter ce médecin. Moi, quand je me suis fait opérer des hémorroïdes internes, le chirurgien m'a dit 'avec moi, il n'y a pas de risques, c'est simple comme une lettre à la Poste !' " se souvient Johan, 48 ans, dont l'invalidité a été reconnue. 

Ce médecin a bousillé ma vie, j'ai fait une grosse dépression, j'ai perdu mon emploi en Suisse, ça a été la descente aux enfers.

Johan, un des patients du proctologue ayant déposé plainte

L'interdiction d'opérer prononcée par la justice est un soulagement pour les victimes, estime l'avocat Me Olivier Lévy. Il a vu plus de 70 anciens patients du médecin. "De nouvelles plaintes vont arriver" dit-il. "Cette affaire est une affaire de pudeur, chacun se croyait seul face à son malheur. Grâce à la médiatisation, ils ont découvert un phénomène de masse" complète l'avocat. Il invite d'autres potentielles victimes à se lancer dans une procédure soit pénale, soit civile pour obtenir justice et réparation. 

Des premières expertises au civil pointent un “problème dans la réalisation du geste opératoire”

Parmi les 37 plaintes au pénal déposées contre le proctologue de Besançon, trois patients avaient déjà engagé des démarches en amont au civil. Dans ces trois dossiers, les expertises médicales ont fait apparaître “un gros défaut de l’information des patients sur les risques opératoires et un problème dans la réalisation du geste opératoire” a détaillé Etienne Manteaux, le procureur.

Ces premières expertises indiquent aussi que les patients ne pourront pas retrouver la qualité de vie qu'ils avaient, les séquelles laissées par les opérations sont pour la plupart irréversibles.

Le médecin avait-il le droit d’opérer comme proctologue ?

L’instruction de cette nouvelle affaire médicale qui touche une clinique bisontine, après l’affaire Péchier, cet anesthésiste soupçonné de 30 empoisonnements dont 12 mortels, va se poursuivre. De nombreuses questions restent à éclaircir. Le médecin mis en examen était urologue de formation, a précisé le procureur de la République, alors que la proctologie est une sous spécialité de la gastro-entérologie. 

Selon nos informations, le chirurgien a fait appel de son placement sous contrôle judiciaire et de l’interdiction d’opérer. La chambre d’instruction se prononcera sur ce point le 30 octobre.

Le médecin Luc Clémens encourt un an d’emprisonnement au vu des faits qui lui sont reprochés. Il bénéficie de la présomption d’innocence. Contacté par France 3, son avocat Me Xavier Précheux, n'a pas donné suite pour l'instant à nos sollicitations.

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