Trafic de drogue, jeunes dealers et règlements de compte : un sociologue nous explique pourquoi la situation dégénère dans certains quartiers

Un mineur de 15 ans est mort dimanche 4 septembre 2022, touché par balles à Besançon (Doubs), dans le quartier de Planoise, dans un secteur où les dealers sont omniprésents, vendant cannabis, héroïne, cocaïne... Nous avons questionné un spécialiste des banlieues et du trafic de drogue pour mieux comprendre ce qui se passe aujourd’hui dans de nombreux quartiers, de Besançon à Lyon, Toulouse ou Marseille. INTERVIEW.

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Michel Kokoreff est professeur de sociologie à l’Université Paris 8, il est spécialiste des pratiques déviantes liées à la drogue. Ce sociologue a acquis une fine connaissance du monde des trafiquants et des “fonctions” qui le composent : le guetteur qui surveille les places de deal pour parfois une cinquantaine d’euros par jour, le charbonneur qui vend la drogue, le gérant qui organise et protège les lieux de vente, les trafiquants qui importent la drogue sur le sol français depuis principalement le Maroc et la Hollande. Une organisation complexe d’une ville et d'un quartier à l’autre. Une organisation tenue par des profils jeunes et masculins, qu’il a vu évoluer au fil du temps.

Coups de feu, victimes… Pourquoi voit-on les actes de violence se multiplier dans certaines villes et banlieues ?


Le trafic de drogue est un monde qui n’est plus organisé comme il a pu l’être par le passé. Avec quelques gros trafiquants qui tenaient la place, faisaient régner l’ordre dans un quartier pour ne pas attirer l’attention policière, résume Michel Kokoreff. “Comme dans toute division du travail, il y a une division des tâches. Comme dans toute économie, dans celle de la drogue, on ne peut pas gagner des millions. Aujourd’hui, les positions lucratives sont minoritaires, et les ‘smicards du trafic de drogue’ sont plutôt majoritaires” dit-il.

Entre les uns et les autres, il y a des rivalités, des équipes en concurrence ce qui provoque régulièrement des embrouilles, parfois des expéditions punitives, des représailles,

Michel Kokoreff, sociologue

Pour ce dernier, les actes de violences s'expliquent par le fait que “certains territoires ne sont pas tenus par les gérants ou fournisseurs de drogue. Si ces terrains ne sont pas tenus, ou s’il y a de la concurrence et des actions de répression, cela déstabilise les acteurs du trafic. Les réseaux de trafic de drogue peuvent alors devenir plus discrets, pratiquer la vente à domicile dans certaines métropoles, se délocaliser.”



Autre constat, “les effets de la répression déstabilisent le marché, ils favorisent cette délocalisation et les tensions internes entre les équipes de trafiquants” note le sociologue.

“Dans bien des cas, à Toulouse, Marseille, on a un marché “dérégulé” où les positions ne sont pas stables, et elles peuvent être très concurrentielles. Et il y a un usage des armes à feu qui est sans règle. On tire en pleine journée, on joue avec des armes. Heureusement parfois, ils ne savent pas tirer. Et par moments, il y a des drames” conclut Michel Kokoreff. Une montée de la violence notable un peu partout dans l’hexagone du fait des nouvelles et jeunes générations qui animent les trafics de stupéfiants.

Cannabis, héroïne, cocaïne, “la demande sociale de drogue est très forte”


Ces trafics de drogue cesseront ils un jour ? Sont-ils faciles à éteindre ? Non. Pour le sociologue, on est loin de ce scénario. Car la drogue n’a jamais été aussi facile à trouver et à acheter en France. Dans la rue, sur Internet, sur le darknet, en livraison à domicile, en allant s’en procurer au-delà des frontières en Belgique, en Hollande voisine. “Il y a une demande sociale de drogue très forte, et ce, malgré l’orientation répressive forte en France, ce qui est le paradoxe” estime Michel Kokoreff.

Selon l'INSEE, les Français ont dépensé 4,2 milliards d'euros en 2020 pour s'approvisionner en cannabis, cocaïne, héroïne, crack et autres produits stupéfiants. 

Un usage des armes à feu qui est sans règle.

Michel Kokoreff, sociologue

La répression française inefficace ?

“En France, on a des pratiques répressives qui se situent à un niveau très fort, il y a plus de poursuites, mais ça n’empêche pas les consommateurs de consommer. La demande sociale étant forte, les cités sont un peu un supermarché, même à risque. Et c’est un peu compliqué de faire face à cette demande sociale, donc la police arrête les petits usagers de cannabis, comme ils sont incités à faire du chiffre cela leur va bien... Ça s’attrape facilement, ça fait monter les statistiques de la délinquance, mais force est de constater que les moyens ne sont pas donnés et que la volonté politique n’existe pas forcément pour s’attaquer aux gros, remonter les filières alors qu’on sait très bien d’où vient la drogue” estime Michel Kokoreff.

Faut-il dépénaliser certaines drogues comme le cannabis ?


Certains pays comme le Canada en 2018 ont fait le choix de dépénaliser le cannabis. Les Canadiens ont été les premiers pays du G20 à le faire. Le marché noir a reculé. Le Canada a misé en parallèle sur une politique de santé publique de prévention et de lutte contre les cartels, rappelle Michel Kokoreff. Faut-il s’inspirer de leur exemple ? Faut-il décriminaliser l’usage des drogues pour les usagers ? Deux voies qui ne sont pas à l’ordre du jour en France selon le sociologue.

“Les solutions, elles existent. Mais la solution française, c’est le statu quo. On ne change pas la loi, et donc on continue à mettre en avant les enjeux répressifs sur les enjeux de santé publique, même si on constate un échec ou des ratés, cela ne marche pas comme on voudrait” lance le spécialiste.

Sur le plan des politiques publiques, il y a une hypocrisie qui est à la fois sociale, car on sait que les riches consomment plus que les pauvres, car les sanctions sont pas du tout les mêmes en fonction des lieux d’interpellation, et une hypocrisie sanitaire, car le cannabis n’est pas pire que l’alcool, cela a été démontré par une expertise de l’INSERM. C’est une drogue, mais ce n’est pas une drogue dure. Le fait de le faire passer pour la pire des choses dans le pays du vin et des apéritifs, cela n’est pas très sérieux.

Michel Kokoreff, sociologue

Le sociologue estime qu’il faut en France aller vers une politique de prévention, de réduction des risques, de santé publique comme l’ont choisi la Hollande, la Suisse, l’Hollande ou l’Allemagne. Il ne se dit pas opposé à la répression, mais selon lui, “la police du cannabis est aujourd’hui en partie vouée à l’échec quand elle se limite aux usagers, et qu’elle se voile la face sur les filières d’approvisionnement et les réseaux internationaux”.


Bibliographie : Michel Kokoreff est l’auteur de “Les mondes de la drogue (Odile Jacob, 2000) et Refaire la cité (Seuil, 2013). 

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