La Suisse voisine n'échappe pas à la crise du monde agricole qui touche la France et l'Allemagne. De l'autre côté de la frontière, la mobilisation a été lancée sur les réseaux sociaux par des jeunes agriculteurs du canton de Vaud. Même si leurs actions restent pour l'instant symboliques et "pacifiques", ils se disent prêts à passer à la vitesse supérieure.
"C'est parti très vite et très fort, sourit Arnaud Rochat. On a mille personnes de plus tous les jours !" C'est lui qui a battu le rappel sur les réseaux sociaux. Mercredi 24 janvier 2024, le jeune agriculteur de 23 ans, salarié à Bavois (Vaud), a créé un groupe Facebook privé intitulé "Révolte agricole Suisse CH" pour mobiliser ses collègues. Et en quelques heures, ils ont été des centaines à le rejoindre. Mais Arnaud Rochat n'est pas vraiment surpris, comme il l'explique à France 3 Franche-Comté.
On est toujours un peu les bons petits Suisses qui ne veulent pas faire de bruit. Mais on a vu le mouvement qui prenait de l'ampleur en Allemagne puis en France. Et même si on de meilleurs revenus ici, on a les mêmes problèmes de fond. Les prix ne font que baisser et c'est le moment de bouger !
Arnaud Rochat, créateur groupe Facebook "Révolte agricole suisse CH"
La révolte des jeunes
Et ils sont nombreux désormais dans tous les cantons de Suisse romande à partager les photos de leurs actions. Des actions symboliques et "pacifiques pour l'instant", précise Arnaud Rochat. Depuis plusieurs jours, les panneaux des communes sont ainsi renversés un peu partout de l’autre côté de la frontière. Une manière là aussi pour les agriculteurs de signifier qu'on "marche sur la tête". On y suspend parfois une paire de bottes pour alerter la population. Aux abords de leurs exploitations, certains reprennent également les slogans qui ont fait florès dans l'Hexagone : "Notre fin sera votre faim" ou "Sans paysans, rien à vous mettre sous la dent". Toute la presse helvète s'en fait l'écho. Arnaud croule sous les demandes d'interview.
"C'est vraiment aux jeunes de se battre pour leur avenir, assure Arnaud Rochat. Le but, c'est de maintenir la pression sur la grande distribution et l'État. Et on aimerait que la population soit derrière nous. Pour le moment, on ne veut pas bloquer les routes, mais s'il le faut, on est prêt à le faire."
Même si la Suisse ne fait pas partie de la communauté européenne et n'est pas assujettie à la fameuse Politique Agricole Commune (PAC), les revendications des jeunes agriculteurs ici ne sont pas vraiment différentes : amélioration du revenu, diminution des charges administratives et protection contre "la concurrence déloyale" des importations.
"La plupart des gens ne se rendent pas compte des problèmes de rétribution et de pression sur les prix que nous subissons de la part des grands distributeurs, confirme Steve Montandon, le président des Jeunes Agriculteurs Vaudois dans les colonnes des 24 heures de Lausanne (article payant réservé aux abonnés). Nous devons donc sensibiliser la population, mais sans entamer le capital sympathie dont nous disposons."
Une révolte des jeunes qui pousse là aussi leurs aînés à s'engager dans la bataille. "La frustration du monde paysan doit être entendue, a ainsi rappelé l'Union des Paysans Suisses (UPS), le 25 janvier, dans un communiqué. Chez nous, le Parlement est heureusement plus à l'écoute des préoccupations de l'agriculture, mais la situation reste tendue", reconnaît l'organisation syndicale qui réclame notamment "une augmentation des prix à la production de 5 à 10%" et "l'abandon de mesures d'économies défavorables à l'agriculture."
"12,70 francs de l'heure"
Face aux difficultés, Marlène Perroud, elle, veut malgré tout rester "positive". "J'ai un budget et un prêt sur 10 ans qui ont été calculés avec certains rendements., confie la jeune agricultrice de 32 ans, installée depuis un an seulement à Dompierre (Vaud). Si les prix baissent, je ne m'y retrouve plus."
La jeune femme qui fait ses comptes et se désespère. "L'hiver passé, j'ai perdu 200 francs par veau (environ 214 euros, NDLR), j'ai eu 7% de restrictions sur la production de gruyère, parce qu'on produit trop, soit 6 000 francs (environ 6 420 euros, NDLR), qui ne vont pas rentrer. J'ai livré mon colza, mais le prix a baissé quelques jours après."
Tu te lèves tous les matins mais à la fin, tu ne sais pas où tu vas atterrir. Et en attendant, le coût de la vie augmente, le prix de l'électricité augmente et les assurances maladie aussi. C'est un truc de fou !
Marlène Perroud, agricultrice à Dompierre (Vaud)
Elle a été l'une des premières à rejoindre Arnaud Rochat et à animer le groupe Facebook. Fille d'agriculteur, elle a ça dans le sang. Marlène ne renoncera pas, assure-t-elle. Mais elle ne peut pas s'empêcher de constater la dégradation du métier. "Il y aura toujours des paysans en suisse. On n'est pas les plus à plaindre, mais quand on voit ce qu'on gagne, on comprend que certains abandonnent. La personne qui est venue contrôler mon électricité gagne 130 francs de l'heure, moi, je gagne 12,70 francs de l'heure pour traire mes vaches..."