"Irrespect envers Gabriel Attal" ou "liberté d'expression" ? Quand une cérémonie culturelle tourne au pugilat politique

Samedi 16 mars 2024, le Pays de Montbéliard, "capitale française de la culture 2024", accueillait le Premier ministre Gabriel Attal pour une cérémonie d'ouverture qui a fait parler d'elle. Au centre des attentions, l'attitude de l'organisatrice de l'événement, Hervée de Lafond, jugée "irrespectueuse" par certains politiques, qui ont même envoyé une lettre d'excuses à Matignon. On vous explique.

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"Tu fais le malin, t'es très intelligent, mais tu connais rien du tout du pays de Montbéliard". Joyeux bazar au Pays de Montbéliard (PMA). Depuis le samedi 16 mars 2024, l'agglomération se retrouve sur le devant de la scène, mais pas pour les raisons qu'elle espérait. Bombardée "capitale française de la culture" en décembre 2023, la collectivité menait le week-end dernier sa cérémonie d'ouverture, en présence du Premier ministre Gabriel Attal, venu le jour de son anniversaire dans le Doubs sur invitation du député Nicolas Pacquot (Renaissance).

À la houlette, Hervée de Lafond, directrice d'une institution de la région, le théâtre de l'Unité, situé à Audincourt. L'octogénaire avait été nommée en catastrophe co-commissaire artistique de cette année culturelle après le départ de l'ancien responsable de la programmation en octobre 2023.

C'est elle, connue pour son irrévérence et son franc-parler, qui a mis sur pied cette cérémonie d'ouverture et qui était chargée de l'animer. Et ses échanges avec le Premier ministre, acérés, n'ont laissé personne indifférent.

"Gabriel, j'apprends que tu es venu en avion"

"Gabriel, le mot d'ordre, c'est la sobriété, et j'apprends que tu es venu en avion ?", "Et Rachida Dati, ministre de la Culture, qui n'est pas venue, qu'est-ce que c'est que ça ?", "j'apprends qu'on va retirer 200 millions au budget de la culture" ? Le tutoiement était de rigueur entre Hervée de Lafond et le Premier ministre. Et si Gabriel Attal a encaissé les piques avec le sourire, c'était moins le cas pour la plupart des élus locaux présents, eux aussi, à l'Axone.

C'était une attitude complètement inadaptée, un vrai manque de respect qui fait honte au Pays de Montbéliard.

Nicolas Pacquot,

député (Renaissance) du Doubs

"Déjà, le tutoiement, c'est plus que limite" continue le député. "Mais en plus, l'apostropher en l'appelant "gosse" ou "Gaby", dire qu'il "n'est pas très grand", c'est inadmissible". Une position partagée par la maire de Montbéliard, Marie-Noëlle Biguinet (Les Républicains).

"On ne s'adresse pas comme ça, et surtout aussi longtemps, au chef de notre gouvernement" explique-t-elle. "On a eu de la chance d'avoir Gabriel Attal sur notre territoire. Il faut un minimum de respect pour lui, pour les fonctions et l'institution qu'il représente. Comment demander aux jeunes de faire preuve de respect après cela ?"

Les deux élus, accompagnés d'Alexandre Gauthier, en charge de la politique culturelle du PMA, ont ainsi cosigné une lettre de remerciements et d'excuses, envoyée au Premier ministre le 18 mars.

Ses actions et propos ont non seulement bafoué les principes fondamentaux républicains, mais ils ont également entaché l'image et l'honneur de notre territoire et de ses habitants, qui désiraient tant vous en faire découvrir toute la richesse.

Extrait de la lettre d'excuses envoyée au Premier ministre

"Et Mme De Lafond ne peut pas se cacher derrière l'humour" reprend Nicolas Pacquot. "Tant qu'on reste dans la dignité et le respect, on peut parler de liberté d'expression. Mais pas quand on fait preuve de cette grossièreté, alors qu'elle était censée représenter l'agglomération". Le député conclut en qualifiant la cérémonie de "ridicule". "On nous annonçait un joyeux bazar, il a tourné au sinistre".

"S'ils voulaient du politiquement correct, ils n'auraient pas du lui confier les rênes"

Un constat tranchant, que tous les acteurs ne partagent pas. "J'étais présente également auprès du Premier ministre, et à aucun moment il ne s'est offusqué" raconte Marie-Guite Dufay, présidente de la région Bourgogne-Franche-Comté (Parti socialiste). "Au contraire, c'était un jeu verbal auquel il s'est prêté de bon gré avec Hervée de Lafond".

Cette polémique m'étonne, car tous les responsables politiques du territoire sont au courant du caractère d'Hervée de Lafond. S'ils voulaient du politiquement correct, ils n'auraient pas du lui confier les rênes.

Marie-Guite Dufay,

présidente de la région Bourgogne-Franche-Comté

La socialiste va même plus loin. "Il faudrait d'ailleurs se souvenir de tout ce qu'a apporté le théâtre de l'Unité à la scène culturelle locale, et ce, depuis plusieurs années" assure-t-elle. "Sans lui, le Pays de Montbéliard n'aurait sans doute pas été choisi comme capitale culturelle".

Charles Demouge, président de PMA, s'il ne "cautionne pas l'entièreté des propos d'Hervée de Lafond", demande que les choses soient replacées dans leur contexte. "Nous sommes dans une fête populaire et Gabriel Attal l'a bien compris, il est d'ailleurs resté jusqu'au bout, preuve qu'il n'a pas été vexé" a-t-il dit au micro de France Bleu Belfort-Montbéliard.

Une sortie qui s'éloigne de la position de son chargé de politique culturelle, Alexandre Gauthier, signataire de la lettre d'excuses, et qui montre bien la division des élus locaux sur la question.

"Ce qui fait "plouc", c'est la lettre d'excuses qu'ils ont envoyée"

Et qu'en pense la principale concernée ? Contactée par France 3 Franche-Comté, Hervée de Lafond assume. "Ce sont eux qui sont venus me chercher" assène-t-elle. "Ils savent que je ne suis pas la reine des neiges. Et puis il faut arrêter, je l'ai tutoyé, c'est vrai, mais j'ai presque 50 ans de plus que lui ! Et puis ça a été réciproque. Il a ri et m'a remercié en partant".

J'avais le Premier ministre sous la main. Avec la situation actuelle de la culture, je ne me voyais pas ne rien lui dire. C'est le boulot des artistes d'être des poils à gratter et non pas des carpettes et des cireurs de pompes.

Hervée de Lafond,

directrice du Théâtre de l'Unité, organisatrice de la cérémonie d'ouverture

"On a repris l'organisation en octobre, on a dû tout faire à l'arrache, sans beaucoup de fonds donc oui, cette cérémonie était chaotique" reprend l'artiste. "Mais la traiter de ridicule, ou de "plouc", je ne crois pas. Ce qui fait "plouc", c'est la lettre d'excuses qu'ils ont envoyée à Gabriel Attal".

Une partie des politiques locaux demandent la démission d'Hervée de Lafond

Hervée de Lafond va-t-elle pouvoir rester commissaire de cette année culturelle en PMA ? "Je ne vois pas comment elle pourrait être maintenue" estime Nicolas Pacquot, député du Doubs. "Autrement, des attitudes comme celles-ci pourront se retrouver dans d'autres événements, ou lors de la cérémonie de clôture. C'est impensable et j'ai demandé aux élus du PMA de faire le nécessaire".

Pour Marie-Noëlle Biguinet, maire de Montbéliard, Hervée de Lafond "est libre de faire ce qu'elle veut. Mais quand on a un certain âge, on pourrait avoir la bonne idée de passer la main, pour avoir de nouvelles idées. Place aux jeunes". Un avis que la directrice du théâtre de l'Unité juge "ridicule". "Je ne démissionnerai pas de moi-même" conclut-elle. "Mais s'ils veulent me virer, qu'ils y aillent, ça me donnera un peu de repos car c'est un boulot énorme et ingrat".

La comédienne se dit malgré tout "motivée à l'idée de continuer cette année culturelle avec une programmation de qualité". Sans doute rassérénée par les propos du Premier ministre Gabriel Attal lors de son discours le 16 mars, sur la scène de l'Axone : "on est très fiers de vous. La France a les yeux rivés sur Montbéliard, merci d'avoir organisé cette soirée. La culture permet d'être ensemble et de partager". Plutôt que de diviser.

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