Pollution des rivières, destructions d'habitats d'espèces protégées, captage d'eau illégal : comment la justice veut être encore plus efficace

Depuis 2022, le Pôle régional de l'environnement du parquet de Besançon (Doubs) a fait des atteintes graves à l'environnement son cheval de bataille. À l'heure du réchauffement climatique et de la chute de la biodiversité, comment rendre cette juridiction encore plus efficace ? Le procureur François Molins, signataire de l'appel "Nous demandons justice pour l'environnement", est venu ce 12 juin 2024 participer à ce premier bilan.

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La comparaison a le mérite d'être claire. Le procureur de la République de Besançon Etienne Manteaux le rappelle. Si le risque mortel sur les routes en France a été divisé par 20 en 50 ans environ, c'est parce qu'il y a eu, essentiellement, une politique répressive pour lutter contre la délinquance routière. 

“Le volet répressif est déterminant” assure Etienne Manteaux. Et de rappeler la condamnation en juin 2022 de deux fromageries du Doubs, Monnin à Chantrans et Perrin à Cléron. 

La société Monnin a été condamnée à 70 000 euros d’amende dont 40 000 avec sursis pour pollution et infraction à la réglementation des installations classées. L’entreprise Perrin de Cléron, elle, a été condamnée pour deux infractions à une amende de 30 000 euros dont 20 000 euros assortis du sursis.  

À lire aussi => Pollution des rivières comtoises : la logique du “produire plus hier qu’aujourd’hui” face à la justice 

Étienne Manteaux se souvient de la “sidération des deux dirigeants” de ces fromageries. Le procureur rapporte leurs propos “On a toujours fait comme cela” .

“Un puissant effet de levier” 

Ces condamnations ont créé une “onde de choc”. Deux ans plus tard, les fromageries du Doubs ont pris contact avec les services de l’Etat pour vérifier que leurs installations étaient bien conformes à la législation. "Un puissant effet de levier" constate le Procureur de la République de Besançon.

"Je crois à la peur du gendarme" affirmera plus tard dans la salle du Parlement Christian Demouge, de France Nature Environnement du Doubs. 

Dans cette salle du Palais de Justice de Besançon, il y avait justement des gendarmes, des agents de l'Office Français de la Biodiversité, de l'Office National des forêts, des magistrats, des représentants d'association de défense de l'environnement, des avocats ... Tous étaient là, pour écouter trois experts invités par le Pôle régional de l'environnement du parquet de Besançon et donner leur éclairage sur la question centrale de cette journée de formation : comment rendre plus efficace ce pôle régional de l'environnement ?

"On a beaucoup, beaucoup détruit..."

Il a fallu une loi en 2020 pour permettre "une plus grande judiciarisation des atteintes à l'environnement". Deux ans plus tard, le Pôle régional de l'environnement tient à Besançon sa première audience dédiée aux dossiers d'atteinte à l'environnement. 

Pour ceux qui pourraient encore en douter, le philosophe Dominique Bourg, auteur du livre "Chaque geste compte" a rappelé l'importance de la préservation des milieux naturels alors que nous sommes en train de vivre au quotidien les effets du changement climatique, un dérèglement dû uniquement aux activités des humains.

Depuis dix ans, on se rend compte que l’on ne peut pas défendre l’environnement sans dénoncer un système économique. Cette contradiction va s’approfondir.

Dominique Bourg

 

Le philosophe rappelle le sens de cette table ronde et donne un contexte mondial pour cette action de la justice française qui veut renforcer son volet environnement. “On a beaucoup, beaucoup détruit, ces destructions nous reviennent en boomerang”  assure le professeur à l'université de Lausanne.

Et de rappeler la forte canicule en Inde.  "À 40°ou 45, c'est la fin de la photosynthèse pour les plantes” rappelle Dominique Bourg. "À 50°, la chaleur humide peut devenir mortelle pour l’homme".  

Dans les cinq ans, une pénurie alimentaire peut déboucher sur des famines. Il y aura nécessairement des flux migratoires" affirme le philosophe. 

Et pour bien comprendre l'impact de nos choix, rien de tel qu'un retour en arrière grâce à l'historien des pollutions, Thomas Leroux, maître de conférences à l'université de Bourgogne et auteur de l'essai "La contamination du monde". 

L'historien met en lumière la bascule qui s'est opérée entre le XVIIIe et le XIXe siècle en France. À partir de la révolution industrielle, il y a eu un changement de raisonnement. Jusqu’à cette bascule, l’impact des pollutions sur la santé des habitants (par exemple les activités des tanneries) suffisait à justifier des interdictions et des condamnations par la justice. L’essor de l’industrie après la Révolution française change la donne. Les conséquences du développement et de la concentration de l'activité industrielle (atmosphère irrespirable, rivières polluées) sont considérées comme “naturelles” , l’essentiel est d’assurer le développement de l’industrie, source de revenus et symbole de progrès 

"Nous demandons justice pour l'environnement"

Au XXIe siècle, une partie de la jeunesse se mobilise pour que la Terre reste vivable. C'est justement une collégienne qui a pris la parole en premier lors de cette table ronde. Elle s'appelle Valentine, elle a 14 ans. “Tout est encore possible dit-elle calmement à cette assemblée d'adultes."Il ne faut pas se résigner” lance-t-elle.

Le procureur général honoraire, François Molins, n'est pas résigné. Fin mai 2024, il a lancé un appel avec la jeune militante écologiste Camille Etienne. C'est une lettre ouverte au Président de la République intitulée "Nous demandons justice pour l'environnement". 

Pour répondre à l’attente de justice légitime de nos concitoyens, nous vous demandons donc de faire de la lutte contre les atteintes environnementales une priorité nationale. Cela exige d’augmenter les budgets alloués aux tribunaux amenés à traiter des affaires environnementales, de former et de recruter davantage de procureurs, qui, dans le ressort de leur parquet, ne disposent bien souvent que d’une demi-journée par semaine pour traiter ce type de contentieux, de mettre enfin sur pied un véritable service d’enquête environnementale, mais aussi de renforcer la législation actuelle, toujours inadaptée, en adoptant des lois plus robustes, plus compréhensibles, et plus contraignantes pour dissuader les contrevenants.

Appel "Nous demandons justice pour l’environnement"

Tout est dit ! François Molins a la parole libre. Le procureur général, aujourd'hui à la retraite, a été, entre autres, en charge des enquêtes lors des attentats à Toulouse, dans les locaux de Charlie Hebdo et ceux du 13 novembre 2015 puis ceux de Nice en 2016. Tout en reconnaissant ne pas être un spécialiste du droit de l'environnement, il y a toujours été attentif.

François Molins avait même constaté que pour appliquer la loi de décembre 2020 sur la justice environnementale, le ministère de la Justice avait évalué à 0,3 "équivalent temps plein" l'impact de cette loi en termes de création d'emploi. "Cela m'avait fait râler" se rappelle-t-il. 

À l’origine du rapport sur "le traitement pénal du contentieux de l'environnement", François Molins est bien placé pour répondre à la question du jour même si des magistrats de Besançon ont déjà mis l'environnement au cœur de leur travail. 

Se former et se spécialiser

C'est effectivement à moyen constant que le procureur de la République de Besançon Etienne Manteaux a demandé à l’une de ses substituts, Claire Keller, de s’emparer du dossier environnemental en la nommant au Pôle régional de l'environnement. Depuis septembre 2023, il y a eu une création de poste : une juriste spécialisée soutient le travail de la magistrate. 

Après avoir suivi elle-même une formation, Claire Keller a organisé une formation juridique pour les 15 agents de l'OFB (Office Français de la Biodiversité) du Doubs. Tous les trois mois, les services de l'Etat spécialisés dans les questions d'environnement et les magistrats se retrouvent pour travailler ensemble. C'était aussi le cas ce 12 juin et, cette fois-ci, sur le terrain à Cléron avec les services des autres départements. Rencontres, échanges de pratiques, d'informations, tout cela contribue à une plus grande efficacité de la justice.

Augmentation des PV et audiences spécialisées

Pour François Molins,“ l’environnement, ce sont d’abord des traitements d’enjeux locaux ". En Franche-Comté, la fragilité des cours d'eau, la typicité des paysages karstiques, la présence du loup et du lynx nécessitent des connaissances spécifiques. 

Cette journée, c’était aussi l'occasion de rappeler tout ce qui a été entrepris par le parquet de Besançon. Les procès-verbaux ont fortement progressé. +113% entre 2022 et 2023 ( de 200 à 447).

Une procédure judiciaire est particulièrement utilisée par les magistrats francs-comtois. Elle a été créée dans le cadre de la loi de décembre 2020. Il s'agit d'une "réponse judiciaire innovante qui permet la rapidité et la réparation". Sur les 23 procédures de ce type qui ont eu lieu en France depuis leur création, six se sont  déroulés en Franche-Comté, soit plus d'un quart. On appelle cela des Conventions judiciaires d'intérêt public (CJIP). Sur le site du ministère de la Justice, tout est détaillé et on peut consulter le détail des conventions passées avec les entreprises ou collectivités comme la fromagerie Bel à Dole ou la communauté de communes Lacs et Montagnes du Haut-Doubs. 

En mai 2023, une entreprise a eu une amende de 30 000 euros avec une obligation de remise en état des lieux à la suite d'un captage d'eau illégal. La société a dû verser 60 586 euros de dommages et intérêts. En décembre 2023, SNCF réseau a été condamné à payer une amende de 90 000 euros pour destruction d'habitat d'une espèce animale protégée et aménagement de terrain dans une zone interdite, plus 12 000 euros de dommages et intérêts. D'autres conventions judiciaires portaient sur des rejets en eau douce de substances nuisibles.  

Pour François Molins, "l'insuffisance des moyens ne peut pas justifier le manque d'imagination pour construire des politiques pénales innovantes". Les magistrats de Besançon ont prouvé que cela était possible, c'est ce qu'a tenu à souligner le procureur général honoraire. 

Étienne Manteaux a assuré que cet investissement allait se poursuivre. Certes, Claire Keller va continuer son travail de magistrate à Strasbourg mais sa succession est déjà assurée. Avec une magistrate qui a "un grand intérêt pour ce contentieux" (NDLR pour l'environnement). Et une mission, celle de donner au Pôle régional de l'environnement sa véritable dimension régionale. Au 1er janvier 2024, sur les 48 procédures en cours, six sont dans le Jura, une Haute-Saône, une dans le Territoire-de-Belfort. 

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