Transition écologique : “N’utilisons plus le mot déchetterie ! les déchets sont des ressources "

“Réduire drastiquement l’utilisation du plastique et les emballages”, “favoriser le tri et le recyclage”, c’est ce que veulent les Français qui ont répondu à la consultation citoyenne “Ma France 2022” organisée par Make.org pour France Bleu et France 3 Régions. “Rendre la gestion des déchets plus efficace et développer l'économie circulaire” est l’une des douze priorités de l’Agenda citoyen transmis aux candidats à l’élection présidentielle. Nous sommes allés à la rencontre des acteurs de cette transition écologique dans le Doubs.

D’une pierre deux coups. Jean-Paul Mastaing a le sens des économies. Quand il vient faire ses courses à Valdahon, il en profite pour déposer les objets qu’il ne peut plus utiliser à la déchetterie. Cette fois-ci, c’est un feu arrière de voiture cassé mais, précise-t-il, “je jette en dernier recours !”. L’objet sera incinéré à l’usine de Préval à Pontarlier, impossible pour l’instant de le réparer ou de le recycler.

Jean-Paul Mastaing et son épouse Fabienne aiment donner une nouvelle vie aux objets. “Utiliser du vieux pour faire du neuf, c’est encore mieux que recycler !”   Quand le couple a lu un article dans le bulletin intercommunal incitant les habitants à participer à des ateliers pour le projet “ Imaginons ensemble le réemploi sur les portes du Haut-Doubs", ils se sont tout de suite sentis concernés. Depuis janvier 2022, ils ont participé à deux réunions d'échanges et de propositions pour construire le projet d’amélioration du tri et du recyclage des déchets de la communauté de communes des Portes du Haut-Doubs. 

Ils cherchaient des gens comme tout le monde. Cela nous a intéressés. Nous sommes venus à deux réunions. On essaie d’apporter notre pierre à l’édifice. C’est la première fois que les citoyens sont consultés. Deux têtes valent mieux qu’une !

Jean-Paul Mastaing, participant au projet “Imaginons ensemble le réemploi sur les portes du Haut-Doubs"

Des portes du Haut-Doubs aux montagnes proches de la frontière suisse, les collectivités du Doubs ont décidé de passer à la vitesse supérieure pour mieux traiter les déchets des habitants et des entreprises. Elles sont épaulées par Préval, établissement public pour la prévention et la valorisation des déchets.  

Le réemploi, un mot à double sens  

Déjà, sur la commune de Maîche, des objets voient leur durée de vie s’allonger depuis l’ouverture de la recyclerie Re Bon en mai 2021. C'est-ce qu’on appelle le réemploi. Un mot à double sens qui évoque un nouvel emploi pour les objets et du travail pour des hommes et des femmes qu’ils soient ou non en insertion.  Voici le reportage tourné par nos confères Marine Candel, Guillaume Soudat et Marie Loir. Ils ont rencontré ces acteurs du recyclage au quotidien.

Au-delà du recyclage et du réemploi, c’est tout un état d’esprit qui s’est déployé avec ce projet. Une quarantaine de bénévoles sont impliqués dans le fonctionnement de cette recyclerie. Depuis son ouverture, 120 tonnes d’objets ont été revalorisés.   

C’est ce type de projet qui devrait voir le jour dans les secteurs de Morteau et de Valdahon. Jean-Paul et Fabienne Mastaing participent à celui de Valdahon. Ils envisagent même de devenir bénévoles dans cette nouvelle plateforme qui pourrait ouvrir en 2024.  

Actuellement dans une déchetterie, on dépose le matériel mais c'est interdit de récupérer… Après, quand on viendra ici, on pourrait récupérer des planches, de la ferraille. On pourrait créer une structure où cela serait ouvert à la participation des gens pour recycler du matériel. On pourrait créer des objets pour les utiliser, c’est le but du jeu.

Jean-Paul Mastaing, participant au projet “Imaginons ensemble le réemploi sur les portes du Haut-Doubs"

Cette “parole citoyenne” sera-t-elle vraiment prise en compte ?

Pour s’en assurer, les élus et Préval ont fait appel à l’association France Active Franche-Comté.   “On dit souvent qu’on est pugnace ! “ affirme Julia Remonnay, responsable Pôle Territoire chez France Active. Nous l’avons rencontrée un soir lors d’une de ces réunions d’échanges ; cette fois-ci, les maires du secteur étaient venus à la salle des fêtes d’Epenoy pour s’approprier un projet coconstruit avec les habitants du secteur.  

Prendre le temps d’élaborer un projet commun, c’est aussi miser sur une implication quotidienne dans la future activité.  Pour l’instant, à Valdahon, il n’y a qu’une déchetterie où l’on peut accéder sans badge et sans véritable parcours. Le projet est de la réorganiser et de proposer des activités qui permettraient de mieux valoriser les déchets actuellement collectés.  

 

On joue le rôle de garant pour tout ce qui va être dit, imaginé en collectif, soit conservé dans les activités futures de ce lieu. On ne lâchera pas le morceau, dans le sens où on va pouvoir, à certains moments faire des erreurs, imaginer des choses qui ne vont pas fonctionner tout de suite et pour autant on ne va pas arrêter le projet, on va continuer jusqu’à ce que le projet puisse être en place et se créer.

Julia Remonnay, responsable Pôle Territoire chez France Active.

Serait-on en train d’assister à une double remise en cause ?

Une remise en cause de nos modes de consommation et celui du rôle des élus. A l’échelle locale, des tentatives prennent corps. L’une des chevilles ouvrières du projet est Pierre-François Bernard. Vice-président (sans étiquette) de la communauté de communes des Portes du Haut-Doubs, il est en charge de la gestion des déchets.  

J’ai deux intuitions profondes. Il faut que l’on sorte de cette économie linéaire et que l’on invente une autre économie qui sera source d’emploi. Si on est bien à l’impulsion du projet en tant qu’élu, je suis convaincu qu’il faut que l’on fasse un pas de côté. Il faut que l’on soit avec les associations, les entreprises, les citoyens et que l’on perde notre leadership. On fixe un cadre, on est impulseur mais après on coconstruit la solution avec l’ensemble des parties prenantes parce que nous, en tant qu’élus, nous n’aurons pas tout seuls la solution. Parfois, j’ai l’espoir que l’énergie citoyenne déborde celle des élus.

Pierre-François Bernard. Vice-président (SE) de la communauté de communes des Portes du Haut-Doubs

Cette parole active et pragmatique nous l’avons écoutée tout au long de notre reportage. Pour voir comment “Rendre la gestion des déchets plus efficace et développer l'économie circulaire”, cette priorité exprimée par les Français lors de la consultation citoyenne “Ma France 2022”, nous avons pris la Nationale 57, cet axe routier qui file des Vosges à la Suisse. Un tissu économique dense, les artisans enchaînent les chantiers en passant par la case déchetterie.  

Les déchets, des ressources à valoriser 

C’est pour leur éviter cette perte de temps que Laurent Cuinet a eu l’idée de développer une nouvelle activité de traitement des déchets à l’Hôpital-du-Grosbois, un village avec une zone artisanale à deux pas de la RN57. Fils d’un chef d’entreprise spécialisé dans les aménagements extérieurs, Laurent Cuinet s’est fixé un objectif : “Ne pas m’ennuyer !”. Un trait de caractère commun aux entrepreneurs. Le sens de l’observation doit être aussi une seconde nature. Savoir à l’avance ce dont nous allons avoir besoin dans notre quotidien, c’est trouver l’activité qui a de l’avenir. Celle du traitement des déchets est devenue incontournable.  

Nous avons choisi de valoriser les matières premières. Avant, les clients nous demandaient de les débarrasser de leurs déchets. Aujourd’hui, ils nous demandent ce que nous en faisons. Ils ne veulent plus être les pollueurs de la planète. Cela valorise leurs entreprises et cela pèse dans la balance quand elles répondent à des appels d’offres.

Laurent Cuinet, gérant de Tridoo

Dans l’immense hangar de Tridoo, le placo, le plastique, la laine de verre, le bois, chaque déchet a un avenir... Au total 25 déchets sont triés pour être ensuite expédiés dans des filières spécifiques de retraitement. Cela correspond à 80% des déchets collectés chez les entreprises clientes de Tridoo.  

Recycler le placo, c’est éviter d’extraire du gypse, la matière première pour faire du plâtre. Une démarche vertueuse valable dans toutes les filières. “ Plus le pétrole est cher, plus la valorisation des déchets est intéressante” note Laurent Cuinet. Ce qui n’est pas recyclé est brulé et utilisé pour chauffer des locaux. Seulement 2% est enfoui, c’est la solution la plus chère et la moins écologique.  

Innover pour mieux recycler les déchets

Pour simplifier la vie de leurs clients, Laurent Cuinet et son directeur Arthur Monnot ont mis au point des bennes étanches à la pluie et compartimentées. Autre innovation, le tapis de tri est en circuit fermé comme celui des valises dans les aéroports, les déchets passent et repassent devant les salariés tant qu'ils n'ont pas été bien triés. Le tri s’en trouve nettement affiné et c’est beaucoup moins stressant pour les salariés.  Des emplois qui peuvent être occupés par des personnes handicapées ou non. Actuellement, 15 personnes travaillent chez Tridoo, 5 recrutements sont en cours.

L’un des plus gros employeurs du secteur, c’est la société Guillin à Ornans. Là aussi, l’histoire de cette entreprise, c’est celle d’une bonne intuition. Il y a 50 ans, François Guillin a mis au point dans son garage de Lods, au cœur de la vallée de la Loue, une boîte à charnière en plastique pour emballer les pâtisseries. C’était nouveau, pratique et le plastique avait la côte.  

En 2022, le groupe Guillin, dirigée par Sophie Guillin, la fille du fondateur, emploie 3000 salariés en Europe dans 20 usines et 10 filiales commerciales. Vous trouvez partout ces boîtes, verrines, plats en plastique du leader européen. La grande distribution, les collectivités, les restaurants et les petits commerces utilisent les plus de 15000 références de produits mis au point par Guillin. Une réussite économique qui pourrait être fragilisée par l’émergence d’une conscience environnementale. 

L'avenir du plastique passe par le recyclage

Les Français l’ont dit dans la consultation citoyenne de “Ma France 2022”, ils veulent “réduire drastiquement l’utilisation du plastique et les emballages.” Le gouvernement en a fait une loi. Ce texte intitulé “loi anti-gaspillage pour une économie circulaire” prévoit la fin progressive de tous les emballages en plastique à usage unique d’ici à 2040.   

Je vais vous expliquer pourquoi ce n’est pas possible, nous annonce Sophie Guillin. Il faut faire la différence entre le suremballage et l’emballage utile. On oublie le rôle de l’emballage, il sert à protéger ”. 

Il est dogmatique de penser qu’un matériau est plus vertueux qu’un autre. Il faut regarder son cycle de vie. Le monde de demain ne sera pas tout carton ou tout plastique. Il faut choisir le bon emballage pour garantir de bonnes conditions de conservation des produits et éviter le gaspillage alimentaire”.

Sophie Guillin, directrice générale du Groupe Guillin

La loi française découle d’une directive européenne, qui depuis juillet 2021, interdit de mettre sur le marché des pailles, des assiettes ou encore des couverts en plastique à usage unique au sein de l’Union Européenne. Elle prévoit également un meilleur recyclage des bouteilles en plastique. Ces mesures ont été prises en réaction aux alertes lancées par des associations de défense de l’environnement.  

La pollution plastique est source de dommages à long terme aux écosystèmes terrestres et marins et à la biodiversité. Non seulement pour les animaux marins qui peuvent se retrouver coincés ou avaler des déchets plastiques et finir par mourir d'épuisement et de faim, mais cette contamination libère également dans l'environnement des substances chimiques telles que des adoucissants ou des retardateurs de flamme, nocives à la fois pour les écosystèmes et pour la santé humaine. Un problème particulièrement critique dans une mer semi-fermée comme la Méditerranée.

Minna Epps, directrice du Programme marin et polaire mondial de l'UICN.

Dès 1998, le groupe Guillin a bouleversé l’organisation de ses usines pour ne fabriquer que des produits en plastique entièrement recyclables. Et, en 2020, le groupe a signé un accord avec Prevented Ocean Plastic. Ses emballages recyclables intègrent une matière recyclée de qualité issue de collectes sur les côtes d’Indonésie et transformée selon un processus socialement responsable, certifiée par OceanCycle.

Guillin s’engage à utiliser en moyenne 30% de plastique recyclé dans sa production.   

Agir ensemble 

Il demeure un grain de sable dans ce processus vertueux. Pour recycler le plastique et éviter qu’il finisse dans les rivières et les océans, il faut le jeter dans les poubelles jaunes de recyclage. En France, ce geste n’est pas automatique. Notre pays, en 2018 selon Eurostat, a un taux de recyclage des emballages plastiques de seulement 26,9%, c’est moins que la moyenne européenne.  

 

Le recyclage des emballages plastique dans l'Union européenne
Infogram

Il faut vraiment sensibiliser les populations et leur faire prendre conscience de leurs responsabilités citoyennes. Si le plastique est jeté dans une poubelle de tri, le plastique devient sa propre ressource.

Sophie Guillin, Directrice générale du groupe Guillin

“Rendre la gestion des déchets plus efficace et développer l'économie circulaire”, cette priorité  émise lors de la consultation citoyenne Ma France 2022, n’est pas uniquement l’affaire d’un programme politique. Et même si les candidats à l'élection présidentielle ont tous formulé des propositions pour rendre effective cette priorité, c’est avant tout un engagement de tous. C’est ce que nous avons compris en rencontrant des acteurs du recyclage dans le Doubs.

En quelques années, les pratiques commencent à évoluer. Les décharges sauvages sont combattues, des citoyens et des entreprises s'engagent. Un nouveau vocabulaire apparaît comme le mot "réemploi".  Le pouvoir d'achat en berne et les crises environnementales font émerger de nouvelles pratiques vertueuses coconstruites entre citoyens, élus, associations et entreprises.   

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