Selon un groupe de boulangers artisans de Lons-le-Saunier, deux boulangeries supplémentaires, franchisées, y auront bientôt pignon sur rue. Une concurrence qu'ils estiment insoutenable, alors qu'ils luttent pour leur équilibre depuis plusieurs mois, dans un contexte d'inflation galopante. Explications.
Dans le petit réseau des boulangers lédoniens, la rumeur s’est vite répandue. Deux enseignes de boulangerie franchisées devraient voir le jour prochainement, non loin du centre-ville.
L’agglomération, qui compte 27 000 habitants, compte d'ores-et-déjà une quinzaine de boulangeries, dont environ douze sont artisanales.
Des artisans qui, quand ils ont eu vent de la nouvelle, se sont organisés en assemblée. « C’était il y a deux semaines. On s’est tous concertés », explique Nicolas Amaté, l’un des boulangers à l’origine de cette mobilisation, que nous avions déjà rencontré lors d'une opération anti-inflation fin 2022. Inquiets de voir s’installer deux concurrents de taille, le groupe a alerté nos confrères de La Voix du Jura et Le Progrès.
« Ils pratiquent des prix, on ne peut pas lutter »
La perspective de deux nouvelles boulangeries franchisées, Ange et Marie Blachère, qui selon les artisans, doivent s’installer au même endroit, les préoccupe fortement, alors qu’ils traversent une période déjà éprouvante financièrement. « Le problème qui se pose, c’est qu’on a déjà 14 boulangeries à Lons ». « Sans parler des dépôts de pain, et des supermarchés, souffle David Gros, gérant de la boulangerie la Fabrik à Montmorot. « Avec l’inflation, le gâteau, si on le coupe en 14 ça fait déjà beaucoup. »
Ça fait deux ans et demi que c’est dur pour tous les artisans, depuis le covid. C’est notre gagne-pain, notre bébé, on ne veut pas l’abandonner.
Nicolas Amaté, gérant d’une boulangerie lédonienne
Les enseignes franchisées, les mitrons lédoniens en ont déjà un peu l’expérience. En 2021, c’était l’enseigne Marie Blachère (700 boutiques en France en 2022) qui s’installait conjointement au supermarché Grand Frais, suivie, en novembre 2022, de la boulangerie Feuillète.
« On a senti le ralentissement avec Feuillète. Je ne suis pas le seul, assure David Gros. On a tous perdu entre 5 et 10% de chiffre d'affaires en moyenne. » « Marie Blachère, on n’a pas senti, mais Feuillète oui », corrobore Nicolas Amaté, gérant d’une boulangerie-pâtisserie du centre-ville depuis 8 ans et demi.
On craint que des boulangers ne mettent la clé sous la porte, qu’ils licencient du personnel, car ils n’arrivent plus à assumer les charges.
David Gros, gérant de la boulangerie la Fabrik à Montmorot
Feuillète, qui compte une cinquantaine d’enseignes en France, suscite en particulier l’ire des artisans, par son ouverture 7 jours sur 7, contrairement aux autres boulangeries lédoniennes. « Dans le Jura, il y a un jour dans la semaine où on ne peut pas vendre de pain, précise David Gros, faisant référence à une loi de 1919. Ils ne le respectent pas. »
À la tête d’une équipe de 7 personnes, Nicolas Amaté craint de ne pas pouvoir lutter face à la puissance de ces boulangeries présentes par centaines en France. « Sur le croissant en ce moment, je suis à 1€10, on a été obligé d’augmenter ; Ange, ils arrivent à faire du 4 achetés, 4 offerts. »
Des matières premières aux salariés, deux modèles qui s’opposent
Comment des franchises peuvent-elles se permettre de telles opérations promotionnelles, qui plus est permanentes ? « Rien qu’en termes de matières premières, ils arrivent à négocier les prix sur parfois deux ou trois ans, décrit Nicolas Amaté. Malgré l'inflation, ils sont sûrs d’avoir un prix. » Un prix fixe, s’entend. Quand les « petits » boulangers sont, eux, tributaires de la conjoncture économique. « Les meuniers ne pratiquent pas les mêmes prix, poursuit l’artisan. Ça peut être du simple au double. Niveau tonnage, on ne peut pas rivaliser. »
Mais cette concurrence féroce ne s’arrête pas aux matières premières. « Ils ne fabriquent que le pain », rappelle Nicolas Amaté. Le reste étant livré sur place, la plupart du temps, surgelé. Ce qui réduit drastiquement la nécessité d’entretenir un savoir-faire. « Ils prennent des ouvriers qui n’ont pas les mêmes salaires que nous. Les trois quarts, ce sont des ouvriers sans expérience ».
Je comprends leur désespoir. Ils ont mis des vies là-dedans.
Vanessa Futin, gérante du Ribeïrou de Lons-le-Saunier
Parmi la dizaine de boulangers qui s’opposent à l’arrivée des chaînes, figure également le Pétrin Ribeïrou. L’enseigne, qui compte une cinquantaine de franchisés en France, estime également ne pas pouvoir faire le poids face à ces poids lourds du secteur. « Au niveau des prix, on peut pas concurrencer. La gratuité, on ne peut pas se le permettre », tranche Vanessa Futin, gérante du Ribeïrou de Lons-le-Saunier.
Si le « Pétrin » n’a pas été inclus au sein du groupe des artisans, la gérante s’affiche à leurs côtés dans cette opposition. « Clairement, ça nous met au même point que les autres boulanger artisans. Le but est de contrer ces deux enseignes. »
Une réunion prévue en mairie
Après la médiatisation, l’action, en coulisses. « On va se réunir en début de semaine, on a rendez-vous mardi avec le maire de Lons, annonce David Gros. On va voir ce qu’on peut faire. On va voir ce qu’il va nous dire. »
Concernant Marie Blachère, « Il y a un dépôt de permis qui a été fait », selon le groupe. Et donc un espoir fortement diminué de pouvoir s’opposer à sa construction. Concernant la franchise Ange, « c’est en cours, assure Nicolas Amaté. On espère faire empêcher cette installation. »
Le mot d’ordre ? « L’artisanat avant tout, répond Nicolas Amaté. La lutte contre les chaînes. »
Sollicitée par France 3 Franche-Comté, la mairie de Lons-le-Saunier n'a pas donné suite à nos questions.