Et si la Nièvre se couvrait de panneaux solaires ? C'est la crainte des associations de protection de l'environnement qui dénombrent une soixantaine de projets d'agrivoltaïsme en cours.
Germenay, La Nocle-Maulaix, Avril-sur-Loire... Aux quatre coins de la Nièvre, les projets d'agrivoltaïsme fleurissent. 64 projets de champs de panneaux solaires ont été recensés au 1er mars 2023. Cette prolifération inquiète les associations de protection de l'environnement comme l'Adret Morvan. David Bornstein explique : "Nous sommes face à une véritable déferlante de projets de parcs solaires, parfois sur d'immenses surfaces. Nous sommes pour le développement des énergies renouvelables mais il faut traiter cette question à la hauteur de l'enjeu. "
Des agriculteurs partagés
Le projet de Germenay-Dirol cristallise l'opposition : 75 hectares de culture de maïs seront remplacés par un champ de panneaux solaires sous lesquels poussera du foin à haute valeur énergétique, exporté dans d'autres pays européens.
Pour les opposants, l'entreprise Nièvre Agrisolaire ne répond pas aux critères de l'agrivoltaïsme définis par la loi d'accélération des énergies renouvelables adoptée en décembre 2022 : "Il faut que la production agricole soit significative par rapport à la production d'électricité, explique Aline Baumann, membre de la confédération paysanne de la Nièvre. Cette culture n'apportera rien au territoire." Cet avis est partagé par le conseil départemental de la Nièvre mais pas par le préfet qui a donné son autorisation au projet en février.
Plusieurs association (Adret 58, Confédération paysanne, France Nature Environnement, CNAD) ont déposé un recours le 31 mars dernier auprès du tribunal administratif de Dijon.
Ce projet contesté par la Confédération paysanne est soutenu par la chambre d'agriculture de la Nièvre qui souhaite développer l'agrivoltaïsme sur une surface proche des 2000 ha. Depuis 2021, la chambre est engagée dans une démarche volontariste : elle encourage les projets, suit l'évolution des productions agricoles et a créé le GUFA (groupement d'utilisation de financements agricoles de la Nièvre), un organisme regroupant la chambre et les syndicats agricoles qui collecte chaque année 1 500 euros par mégawatt produit. A la clé, à terme, 3 millions d'euros par an seront dédiés à des projets agricoles collectifs.
Le débat est vif entre agriculteurs. En louant leurs terres à des industriels de l'énergie comme Photosol, European Energy ou Total-Quadran, certains gagnent près de 2000 € par an par hectare, avec des contrats sur 30 ans. Comment résister lorsque l'exploitation est dans une situation financière précaire ? Aline Baumann, qui a lutté contre l'installation d'un parc solaire à Saint-Pierre-Moûtiers, le reconnaît : "Vous savez, en tant qu'agriculteur, nous sommes démarchés en permanence : par courrier, par mail. Mais la terre s'appauvrit sous les panneaux solaires, la biodiversité diminue. "
Pour une cohérence territoriale
Alors que le gouvernement appelle à multiplier par dix la production d'énergie solaire d'ici 2050, la Nièvre pourrait être érigée en modèle, elle qui a déjà une soixantaine de projets en gestation. Mais le conseil départemental s'alarme de la multiplication de projets sans cohérence territoriale. Même si c'est moins rentable pour les industriels, il préférerait exploiter les bâtiments existants : "Nous allons réaliser une étude avec le syndicat intercommunal d’Energies, d’Equipement et d’Environnement de la Nièvre (SIEEEN) pour référencer les lieux adaptés à l'installation de photovoltaïque (friches industrielles, toits, anciennes décharges) afin de proposer une alternative à l'utilisation des terres agricoles, explique Blandine Delaporte, la 1ère vice-présidente du conseil départemental de la Nièvre en charge des transitions et du dialogue avec les habitants.
Même si cela ne relève pas directement de sa compétence, l'élue n'imagine pas rester à l'écart de ce débat qui relève de l'avenir du territoire nivernais : "On voit bien que l'acceptabilité des parcs solaires par les riverains n'est pas bonne. Il faut que les projets soient plus concertés et plus vertueux."
Contre l'artificialisation
Pour la plupart des opposants, l'agrivoltaïsme n'est pas une solution à long terme.
Après l'installation de champs de panneaux solaires, les cultures pratiquées sont limitées : "Au lieu de cultures céréalières, on se retrouve avec 4 ovins par hectare sous des panneaux. Est-ce que l'activité agricole sera viable économiquement ? Si ce n'est pas le cas, on se rendra compte dans quelques années que l'on a artificialisé des terres agricoles" soupire Aline Baumann, elle-même agricultrice.
Ne sommes-nous pas en train de créer une nouvelle dépendance agriculteurs-industriels de l'énergie ?
Aline Baumann, membre de la Confédération paysanne 58
"D'ailleurs, imaginons que l'agriculteur qui exploite la terre sous les panneaux veuillent changer de cultures et remplacer le foin par des salades. le pourra-t-il ? s'interroge Aline. Ne sommes-nous pas en train de créer une nouvelle dépendance agriculteurs-industriels de l'énergie ?"
Blandine Delaporte, la 1ère vice-présidente du conseil départemental de la Nièvre, s'interroge elle-aussi : "La difficulté, c'est que de nombreux agriculteurs ne vivent pas de leur travail. Mais ce système n'est-il pas en train de transformer les agriculteurs en producteurs d'énergie. Est-ce la solution ?"