Il décime les bois du Morvan et du Jura : le scolyte, nouveau mal des forêts

Ce petit insecte s'en prend aux résineux malades ou affaiblis. Depuis 2018, il ravage les forêts de Bourgogne-Franche-Comté, et se multiplie avec le réchauffement climatique.

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"Depuis 2018, la Bourgogne-Franche-Comté est en phase épidémique avec un pic épidémique dans le Morvan." Le lexique est le même que pour le covid ou la grippe. Ici, on ne parle pas d'un virus mais d'un insecte, un parasite des résineux : le scolyte. Une toute petite bête de moins d'un centimètre, qui cause d'énormes dégâts sur les épicéas et les sapins de la région, particulièrement dans le Morvan et le Jura.

"Dans la région, on estime à 8 millions de mètres cubes le volume d'épicéas et de sapins scolytés depuis 2018", détaille Mathieu Mirabel, responsable Bourgogne-Franche-Comté du département de la santé des forêts auprès de la DRAAF, une branche du ministère de l'Agriculture.

"Les populations de scolytes n'ont jamais été aussi hautes que depuis 2018-2019."

Mathieu Mirabel

2021 a été la seule année de répit pour les arbres. Mais "en 2018, 2019, 2020 et 2022, on a eu une génération supplémentaire de scolytes", note le spécialiste. Au lieu de deux cycles de reproduction, il y en a eu trois. Et donc davantage d'insectes.

Le réchauffement climatique en cause

Une raison à cela : le réchauffement climatique. "Plus il fait chaud, plus les insectes se reproduisent", détaille Mathieu Mirabel. Autre problème : la sécheresse, qui affaiblit les arbres, "donc les scolytes ont davantage tendance à les coloniser". En effet, ces insectes ne s'en prennent qu'aux arbres malades ou faibles. Du moins, jusqu'à présent : depuis quelque temps, en phase épidémique, les forestiers observent même des cas de colonisation sur des arbres sains. 

► À LIRE AUSSI : Doubs : les scolytes reviennent avec le printemps et s'attaquent toujours aux forêts (avril 2022)

Comment les parasites opèrent-ils ? Les scolytes s'introduisent sous l'écorce des arbres en y creusant de petits trous. Puis, ils forent des galeries et se reproduisent à l'intérieur de l'arbre. Les larves se nourrissent du bois, cela bloque la circulation de la sève, et l'arbre meurt. 

Pas de traitement : il faut abattre les arbres malades

Et tout le problème, c'est que ce mal est incurable. Il n'existe pas de traitement, aucun moyen de "soigner" les arbres malades. Seule solution : les abattre. "Dans la forêt, on n'utilise pas de traitements pesticides", explique Mathieu Mirabel, "déjà parce que c'est interdit, mais en plus parce que ce n'est pas possible étant donné que l'insecte est sous l'écorce". En 2020, des forestiers avaient demandé une dérogation pour utiliser des pesticides dans le Morvan, sans succès.

La seule solution, à l'heure actuelle, est d'abattre les arbres malades et de les sortir de la forêt le plus vite possible, pour que les scolytes n'aient pas le temps de coloniser d'autres arbres. Emmener les pestiférés loin des parcelles saines, car les scolytes ont une capacité de vol de 3 à 5 kilomètres.

Surtout, les spécialistes de la forêt pointent l'urgence d'agir en "préventif". "L'enjeu est de repérer les arbres attaqués le plus vite possible. On le voit avec de petits trous creusés dans l'arbre, et une sciure rousse rejetée au pied de l'arbre lorsque les parasites creusent."

"C'est un travail fastidieux"

 Mathieu Mirabel

responsable Bourgogne-Franche-Comté du département de la santé des forêts auprès de la DRAAF

Mais un travail essentiel car passé ce stade, il est souvent trop tard. "Lorsque les arbres prennent une couleur rouge, signe d'une infection, c'est trop tard : en général, les scolytes sont déjà partis."

En préventif, les services du ministère effectuent aussi des repérages des épicéas morts par images satellites. Des coupes préventives sont effectuées, notamment dans le Jura, après les tempêtes de l'hiver : "Lorsque les arbres tombent ou sont cassés, ils risquent d'être scolytés, donc l'enjeu est de les évacuer rapidement", ajoute Mathieu Mirabel.

Rapidement, c'est-à-dire avant l'essaimage de la deuxième génération, qui aura lieu entre fin juin et début juillet. Période à laquelle les scolytes se mettront en quête de nouveaux hôtes.

Cette année, l'essaimage, c'est-à-dire la reproduction des scolytes, a commencé fin avril-début mai. "Ils se sont réveillés après avoir hiverné. Mais pour l'instant, le printemps est plutôt favorable aux arbres", note Mathieu Mirabel. Pour autant, les forestiers sont très attentifs.

Le scolyte commence à s'attaquer au douglas, l'or vert du Morvan

Car les "habitudes" des scolytes sont en train d'évoluer. Il faut distinguer deux espèces : le scolyte typographe, qui s'en prend aux épicéas, et le scolyte dit "des sapins". "On a vu des cas sur des sapins pectinés dans le Morvan et le Clunisois. Mais aujourd'hui, le scolyte des sapins commence à s'attaquer aux douglas", explique Mathieu Mirabel. "Certains scolytes font maintenant leur cycle complet sur les douglas."

Une source d'inquiétude pour les forestiers du Morvan, puisque le sapin douglas est le résineux le plus cultivé dans ces bois... Et qu'en cas d'infestation, la valeur marchande des arbres diminue drastiquement. En 2019, le ministère de l'Agriculture avait d'ailleurs débloqué 16 millions d'euros pour la filière forêt-bois, pour compenser les dégâts des scolytes.

Aujourd'hui en Bourgogne-Franche-Comté, "on a par endroits 10 à 20% de mortalité de douglas en plaine, en-dessous de 500-600 mètres d'altitude, mais pour l'instant le coeur du Morvan n'est pas touché", relativise Mathieu Mirabel. 

Des arbres initialement pas faits pour vivre sous nos latitudes

Il faut aussi se souvenir que les douglas, importés d'Amérique du Nord, tout comme les épicéas, venus des montagnes, ne sont pas des espèces originaires de Bourgogne. "Les épicéas ont été plantés après-guerre car on avait besoin de bois, mais leur optimum écologique se situe à partir de 1000 mètres d'altitude", rappelle Mathieu Mirabel.

À nos altitudes, ils ne sont donc pas dans leur environnement de prédilection, et ont donc tendance à être plus affaiblis lorsqu'il y a des aléas climatiques.

"Là, l'épidémie révèle leur fragilité."

Mathieu Mirabel

En tout état de cause, les observateurs de la forêt vont suivre avec attention l'évolution des prochaines semaines. Va-t-il pleuvoir, faire doux, très sec ou humide ? À l'avenir, les scolytes de sapin peuvent-ils se fixer entièrement sur les douglas ? 

Les spécialistes surveillent aussi un autre mal des résineux, la "nécrose cambiale", dont les symptômes de rougissement des aiguilles peuvent être confondus avec les invasions de scolytes.

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