Apparue en Bourgogne il y a une dizaine d'années, la flavescence dorée, maladie faisant mourir la vigne, augmente dans la région. Le Mâconnais (Saône-et-Loire) a été particulièrement touché en 2022. Les viticulteurs sont eux désemparés face à un mal qui ronge petit à petit leurs exploitations. Témoignages.
Cette chaude journée de juin 2022, Nicolas Durand, chef d'exploitation du Domaine des Bruyères, à la Chapelle-de-Guinchay (Saône-et-Loire), l'a encore bien en tête. "C'était une banale inspection de parcelle, comme on en fait tous les jours", se souvient le quinquagénaire. "En marchant, j'ai tout de suite repéré que quelque chose n'allait pas sur beaucoup de pieds de vignes : les feuilles s'enroulaient et devenaient dures et leurs couleurs changeaient".
Les signes ne trompent pas. Le vigneron reconnaît tout de suite les symptômes de la flavescence dorée, une maladie propagée par un petit insecte, la cicadelle, qui fait mourir la vigne. "J'ai été très surpris, car ce mal touche d'habitude plus le nord du département. Je suis allé signaler ce qui se passait à la Fédération régionale de lutte et de défense contre les organismes de Bourgogne Franche-Comté (Fredon BFC, ndlr). Puis le couperet est tombé".
Deux hectares de pied de vignes arrachés en Bourgogne
Quelques mois plus tard, l'instance, qui chaque année, en collaboration avec les viticulteurs, mène des prospections pour traquer la flavescence, publie un lourd constat : "en 2022, l'épidémie a encore augmenté en Bourgogne. La Chapelle-de-Guinchay en est même l'épicentre. Il fallait donc arracher deux hectares de pieds de vigne pour ne pas que le mal se propage" continue Nicolas Durand.
Le domaine des Bruyères fait partie des exploitations les plus impactées. Il y a deux jours, le chef d'exploitation, la mort dans l'âme, est obligé de détruire une parcelle entière de 1 500 m2 car plus de 20 % des pieds de vigne étaient touchés . "Economiquement, ça fait très mal. Il faudra attendre deux ans avant de replanter. Et encore, le temps de retrouver le même rendement, il faut patienter au moins cinq ans. C'est un vrai manque à gagner" confie le vigneron.
Cette vigne, c'est mon père qui l'a plantée. Je l'ai vue grandir et mon fils y a appris le métier. Ca fait mal au cœur. On se dit, "pourquoi ça nous tombe dessus" ?
Nicolas Durand,chef d'exploitation du domaine des Bruyères, à La-Chapelle-de-Guinchay
Mais pour Nicolas Durand, la douleur psychologique est plus forte encore. "C'est notre outil de travail qui disparaît sous nos yeux. Cette vigne, c'est mon père qui l'a plantée. Je l'ai vue grandir et mon fils y a appris le métier. Ça fait mal au cœur. On se dit, pourquoi ça nous tombe dessus, à nous ?"
En plus de cette parcelle familiale, plus de 1 000 ceps viciés par la maladie ont également été arrachés sur les 10 hectares du domaine. Si Nicolas Durand estime que l'exploitation pourra s'en relever, il a néanmoins peur pour le futur : "Si on en reste là, ça ira", estime-t-il. "Mais c'est une maladie exponentielle. Si je découvre cet été d'autres pieds contaminés, l'exploitation va être en réel danger. L'épidémie se répand vite. Vous vous rendez compte, sur la parcelle arrachée cette année, j'avais seulement 2 pieds viciés en 2021".
Car oui, la flavescence dorée est une maladie qui s'inscrit dans la durée, comme peut en témoigner Gérald Talmard, gérant du domaine Gérald Talmard, à Uchizy, en Saône-et-Loire. Son exploitation a été l'une des première touchée par l'épidémie, en 2013. "J'avais dû arracher un hectare de vignes à l'époque. 55 000 euros de valeur foncière envolés" se souvient amèrement le vigneron.
Depuis, la flavescence ne l'a pas quitté, bien au contraire. "Même si je n'ai plus besoin de faire d'arrachage, j'enlève tous les ans 5 000 ceps contaminés", détaille Gérald Talmard. "Le manque à gagner est permanent. La cicadelle propage la maladie instantanément. En un an, si rien n'est fait, le nombre de pieds malades se multiplie par 10".
Aucune solution n'existe pour l'instant pour éradiquer cette maladie
Justement, que peut-on faire pour éradiquer cette maladie ? "Rien", reprend Gérald Talmard, dépité. "On n'a encore rien trouvé pour détruire la flavescence. On ne peut que l'empêcher de se répandre".
Pour cela, des prospections obligatoires sont organisées dans chaque commune viticole de Bourgogne pour signaler les contaminations, et des traitements chimiques, eux aussi obligatoires, doivent être utilisés. "Le problème, c'est que ces prospections prennent du temps. Elles doivent être aussi bien respectées par l'ensemble des viticulteurs pour être efficaces. Et il y a encore trop d'exploitants qui prennent cela à la légère" regrette Nicolas Durand.
Le gérant du domaine des Bruyères jugera également "qu'à cause des pensées écologistes, on a mis trop de temps à traiter nos vignes". Inversement, certains vignerons bios interrogés estiment qu'asperger leurs raisins de traitements chimiques "fait très mal au niveau éthique", tout en pointant du doigt des produits peu efficaces, "car s'ils tuent les cicadelles, ils éliminent aussi d'autres insectes nécessaires à la bonne santé de nos vignobles".
Vous l'aurez compris, la solution miracle, ce n'est pas pour tout de suite. Chez les viticulteurs, l'heure est plutôt à la résignation. Pour Gérald Talbart, "la flavescence, on l'aura encore pour au moins 15 ans". Un constat qui fait douter Nicolas Durand : "on se prend le gel, la sécheresse, maintenant cette maladie. Ca va commencer à faire beaucoup".