ENQUÊTE. Entre le bruit des oppositions et la majorité silencieuse, sommes-nous vraiment anti-éoliennes ?

Dans le Pays des Abers, entre la côte déchiquetée du nord Finistère et les terres fertiles des estuaires, sont dispersées plusieurs dizaines d’éoliennes. Des machines qui ne font pas l’unanimité auprès des riverains. Entre une opposition sonore et active et une majorité silencieuse, nous avons voulu savoir si les Bretons étaient vraiment anti-éoliennes.

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A quelques kilomètres du nord-Finistère et de ses côtes sauvages, Plouvien, ses 3796 habitants et ses huit éoliennes. Installées dans les champs, elles ne semblent plus faire parler.

Au bar PMU du bourg, ils sont quelques uns, accoudés au comptoir, réticents au premier abord quand le sujet s’invite entre deux lappées de café. "Ca ne me fait ni chaud, ni froid" concède un client. "C’est une question qui s’est tassée ici. Il y a eu quelques tensions entre les pour et les contre au début du projet, mais maintenant on n’en parle plus" reconnaît un autre.

Ca fait 15 ans qu’elles tournent, on s’est habitué, on ne fait plus attention

Même son de cloche, en face, au restaurant ouvrier. "Ca fait 15 ans qu’elles tournent, on s’est habitué, on ne fait plus attention. Quelques personnes sont contre, mais dans l’ensemble ce n’est plus un sujet ici." C’est pourtant bien un sujet devant les tribunaux.

Et un sujet, l'environnement, qui ressort parmi les préoccupations des Français lors de la consultation citoyenne #MaFrance2022. 

Car les éoliennes de Plouvien font couler de l’encre. 20 ans que des recours sont dirigés contre ces aérogénérateurs. Dernièrement la Cour administrative d’appel de Nantes a rejeté la demande de démolition des éoliennes alors même que le Conseil d’Etat avait reconnu l’illégalité de leur permis de construire. Un imbroglio juridique pour quiconque ne maîtrisant pas le dossier.

L’éolien breton, qui ne représente que 6% du parc français en 2019, semble être une pierre d’achoppement devant les tribunaux, entre associations de riverains et porteurs de projets. En France, on estime entre 70 et 90% les recours en justice contre les projets éoliens.

Des éoliennes pour diminuer la dépendance énergétique mais “pas dans mon jardin”

Région et départements le concèdent, la Bretagne est dépendante énergétiquement.

La péninsule importe 85% de ses besoins en énergie. C’est pourquoi dès le début des années 2000, le territoire sème ses premiers aérogénérateurs. Environ la moitié du parc éolien breton a été plantée entre 2000 et 2010.

A quelques kilomètres de la mer, dans cette autre commune du pays des Abers, les géantes des airs font partie du paysage environnant. Et la question paraît lointaine pour les habitants.

"Les éoliennes ?! Il y a celles de Plouvien et celles sur la route de Ploudalmézeau et puis il y en a à Plouguin aussi" égrène Jean-Louis sexagénaire croisé dans le bourg de Lannilis. 

Produire de l’électricité sans polluer, c’est quand même le but. Et puis même si elles produisent moins, il y a quand même moins de risques qu’avec une centrale nucléaire

Jean-Louis

Lannilisien

"Je suis mitigé sur l’énergie éolienne" reconnaît Roger. "Tout dépend des nuisances, et puis ça existe depuis pas mal de temps et la facture d’électricité ne baisse pas pour autant."

L’eau, le soleil, le vent, des sources d’énergie vieilles comme le monde qui, face au  réchauffement climatique, connaissent une nouvelle jeunesse.

En 2019, la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement de Bretagne (DREAL) dénombre 112 parcs éoliens. Ces parcs bretons produisent l’équivalent de la consommation annuelle de 414 832 foyers français (1941GWh de production annuelle).

Entre une dépendance avérée et des besoins croissants, la transition énergétique fait son chemin. La volonté politique de développer de nouvelles sources d’énergies faiblement productrices de CO² est forte. Et l’opinion publique, plutôt acquise à la cause.

"Si ce sont des petits champs d’éoliennes, ça ne me dérange pas. Tout est une question de dosage" affirme Caroline, une commerçante de Lannilis qui en voit depuis chez elle et dit s’en servir pour voir d’où vient le vent. Si l’utilité des énergies renouvelables ne fait pas débat, tous pourtant, concèdent qu’ils n’en voudraient pas à côté de chez eux.

Très peu de citoyens ont une position en bloc sur l’éolien, d’où l’importance de poser la question localement.

Pierre Wokuri, chercheur

Selon un récent sondage réalisé par l’Ifop pour le Syndicat des Energies Renouvelables, les Bretons ont une bonne image générale des énergies renouvelables. Mais dans le classement des énergies vertes, les éoliennes terrestres arrivent en queue (65% d’avis favorables contre 90% pour l’hydroélectricité et la géothermie). Sur le terrain, dans les territoires concernés, les avis sur ces géants des airs ne sont donc pas unanimes.

Les éoliennes font turbiner les juridictions administratives

A Plourhan et Pléguien dans les Côtes d’Armor, les conseils municipaux ont rejeté un projet d’installation de 2 à 4 éoliennes. Les riverains, les usagers, les élus et les habitants de la commune ne soutiennent pas "volontairement et conjointement" le projet expliquent les élus.

Même constat d’un manque de concertation avec la population par les juges du Conseil d’Etat pour les sept éoliennes de Trédias (Côtes d’Armor).

Le soutien de la population fait souvent figure d’Arlésienne dans la constitution des dossiers éoliens, ce que regrette Pierre Wokuri, chercheur en sciences politiques spécialisé sur les énergies renouvelables. "Très peu de citoyens ont une position en bloc sur l’éolien, d’où l’importance de poser la question localement."

Les populations ont-elles été associées au développement économique et politique du projet? A qui iront les bénéfices dégagés ? Quelle est l’attitude du porteur de projet vis-à-vis des habitants ?

Autant de questions qui ont leur importance alors que la loi ne prévoit l’information obligatoire des citoyens qu’au moment de l’enquête publique, soit presque deux ans après les premières démarches des porteurs, quasiment à la fin du projet.

"Il est très difficile d’expliquer les raisons de l’opposition" avoue le chercheur en sciences politiques. "L’argument du paysage n’est pas retrouvé dans tous les recours. Parfois c’est le transport de l’électricité qui est problématique, pas les éoliennes en elles-mêmes."

Une chose est sûre, l’éolien est caractérisé par sa zone d’implantation : les territoires ruraux et périurbains.

En Bretagne, les zones fertiles pour les éoliennes sont peu nombreuses

La Bretagne, et ses 2470km de côtes, est la deuxième région la plus venteuse de France, derrière l’Occitanie.

Pourtant, le territoire breton présente un certain nombre de spécificités géographiques qui interdisent ou compliquent l’implantation des parcs éoliens. Il y a d’abord, l’interdiction d’une implantation à proximité du rivage (1km de la mer), puis les servitudes des radars militaires et des radars météo.

Avec les bases aéronavales, les vols militaires à basse altitude nécessitent de réduire la puissance des éoliennes (2MW par turbine au lieu de 3MW). Enfin, la biodiversité riche mais menacée et les paysages emblématiques sont à prendre en compte.

La DREAL de Bretagne a élaboré une carte interactive qui permet de cumuler les différents critères existants pour l’implantation des éoliennes. Les critères sont répertoriés en fonction de leur nature et de leur niveau (interdiction, contrainte très forte, forte ou moyenne).

Ci-dessous, en noir et gris sur la carte, les servitudes et contraintes qui interdisent l’implantation d’aérogénérateurs ainsi que l’état des mâts et des parcs (en activité, autorisation refusée etc…)


Ces critères réduisent fortement le territoire où peuvent germer les champs d’éoliennes. Et orientent l’installation des parcs dans le centre Bretagne.

Ajoutée à ces particularités régionales, la loi. Celle-ci impose au moins 500 mètres entre les aérogénérateurs et les habitations. Or le centre-Bretagne accueille un habitat dispersé et du relief.

Dans la région, les parcs avec un petit nombre d’éoliennes s’éparpillent donc au gré des vents et des servitudes et contraintes. Les projets se multiplient provoquant ainsi l’augmentation des recours. 

Des oppositions aux multiples racines

Les oppositions à l’implantation de parcs éoliens sont vives et finissent souvent devant les tribunaux. Mais quant il s’agit de se battre contre ces nouveaux moulins, la Bretagne ne fait pas figure d’exception.

"L’éolien est devenu un sujet politique et médiatique" explique Romain Garcia à la tête de "Territoires" son entreprise de conseil en acceptabilité des projets d’aménagement et d’énergies renouvelables. "Les différents candidats aux élections régionales en débattent quelle que soit la région. C’est devenu un sujet de discussion et de médiatisation. L’un alimente l’autre."

En 20 ans de développement éolien, l’opposition s’est structurée. Elle a appris à se faire entendre. C’est aussi l’accroissement rapide de projets montés en vitesse sur le terrain qui a fait grandir cette opposition.

Romain Garcia

consultant en acceptabilité des projets d'aménagement et d'énergies renouvelables

En revanche, la raison qui voudrait que les gens soient contre les éoliennes car elles sont proches de chez eux n’explique pas tout, selon le conseiller en acceptabilité des projets. 

Entre quelques considérations sur le coût de l’énergie et l’efficacité des éoliennes, Caroline la commerçante de Lannilis développe. "Il ne faudrait pas gâcher le paysage. Quatre, ça va, mais s’il y en a 30, ça change tout."

"Le paysage est un argument récurrent dans toutes les régions", confirme Romain Garcia. Mais en Bretagne, il peut être plus fort. "La densification de petits champs d’éoliennes proches d’espaces vallonnés et bocagers, plus jolis, va créer plus d’oppositions avec l’argument du paysage. Alors que des installations sur de grands espaces plats feront naître des contestations sur l’argument du nombre de machines" explique t-il par téléphone.

Des éoliennes à tout prix, contre vents et marées, serait-ce l’avenir du renouvelable dans les territoires ?

Les objectifs de la politique française de l’énergie sont ambitieux. D’ici à 2030, le plan pluriannuel de l’énergie prévoit qu’un tiers de l’énergie provienne du renouvelable. En Bretagne, la production d’énergie par le vent devra augmenter de moitié.

Que les éoliennes éclosent au fil du temps ou qu’elles soient arrachées par décisions de justice, elles feront travailler les commerces locaux. Au resto ouvrier de Plouvien, le patron conclut, philosophe. "S’ils les démontent, ça nous fera du travail. Je n’ai jamais autant travaillé que lorsque les ouvriers étaient présents pour l’installation des éoliennes."

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