Confrontés à la spirale des difficultés, beaucoup d'agriculteurs peinent encore aujourd'hui à demander de l'aide. Pas simple de dire que rien ne va plus, que ce soit sur le plan économique, familial ou médical. Certains n'attendent pas d'être pris à la gorge pour rompre le silence. C'est le cas de Ludovic, éleveur de vaches laitières en Ille-et-Vilaine, lequel a sollicité l'accompagnement du dispositif Réagir quand son exploitation a périclité.
Ludovic sait qu'il revient de loin. Cet éleveur de vaches laitières installé en Ille-et-Vilaine a perdu la moitié de son troupeau, il y a quatre ans, décimé par le botulisme. Sous le coup d'une fermeture administrative durant plusieurs mois, "avec interdiction de livrer mon lait par principe de précaution" relate-t-il, il a vu ses revenus fondre de 80 %. "Le quotidien, financièrement, a été compliqué, confie l'exploitant. Perdre ses animaux l'a été encore plus. Moralement, ce fut très difficile à vivre".
"Sentiment d'échec"
Son élevage est alors placé en redressement judiciaire pour lui permettre d'étaler sa dette. Ludovic s'est tourné vers le dispositif Réagir de la Chambre d'agriculture de Bretagne qui a mis en place un accompagnement. "Sans cela et sans la nomination d'un mandataire judiciaire, ma femme et moi allions au-devant d'une saisie de l'exploitation complète" témoigne l'éleveur, lequel reconnaît que parler de ses problèmes n'est pas chose facile.
La peur de ce que pourraient penser ceux qui sont du métier, qu'il ne sait pas travailler, la honte parfois... Autant de raisons qui poussent grand nombre d'agriculteurs à préférer le silence à une main tendue. "Ce n'est pas simple à assumer quand on se retrouve dans une situation pareille, analyse Ludovic. On pense que l'on va être jugé incompétent même si ce qui arrive n'est pas entièrement de notre faute. Quand vous êtes au bord du gouffre, il y a ce sentiment d'échec. Et ça, c'est dur à supporter, surtout si vous restez seul face aux problèmes qui s'accumulent".
Détresse
Le producteur laitier n'a pas cédé à l'engrenage de l'isolement. Il a remonté la pente petit à petit. Il dit être sorti de l'ornière et veut désormais aller de l'avant. "Ce n'est pas toujours bon de regarder en arrière non plus" relève-t-il, philosophe. Il souhaite aussi que son témoignage amène d'autres agriculteurs à pousser la porte du dispositif Réagir.
En 2023, 428 exploitations bretonnes ont ainsi été accompagnées dans leurs difficultés. 48 % d'entre elles sont des élevages laitiers. "Les contraintes de travail y sont plus importantes, observe Stéphanie Ramboasolo, coordinatrice régionale de Réagir. S'occuper des animaux, c'est matin et soir, la traite, c'est 7 jours sur 7. Cela ne s'arrête jamais. Les éleveurs sont souvent seuls, sans relais possible. C'est une filière confrontée au vieillissement, où le renouvellement de générations est en baisse, où les cheptels sont plus grands avec une charge de travail en hausse. Cette surcharge fait que, physiquement, ils ne peuvent plus suivre".
L'épuisement professionnel dégrade la santé physique mais aussi psychologique. Il est l'une des causes qui peut vite faire basculer un agriculteur dans la détresse. Tout comme les problèmes familiaux, économiques, sociaux ou techniques.
Libérer la parole
Selon Stéphanie Ramboasolo, la plupart des signalements reçus par Réagir "proviennent de l'entourage personnel ou professionnel" de l'exploitant. "Quand on nous signale une situation, on appelle l'agriculteur pour prendre rendez-vous sur son exploitation, explique-t-elle. On ne laisse personne sur la touche. Aller sur place, c'est aussi une manière d'évaluer les choses et de faire un premier diagnostic avec lui. On lui propose un plan d'action adapté à ses difficultés et s'il est d'accord, on lance les choses".
La coordinatrice régionale du dispositif Réagir constate que la parole des uns et des autres se libère "un peu plus. On évolue mais il y a encore du travail" note celle qui remarque que le déni reste néanmoins puissant. "Nous faire intervenir, c'est accepter de faire face à une réalité et que l'on a des difficultés. Certains ne sont pas prêts à entendre ce que l'on va leur dire".
"Il ne faut pas rester seul, martèle Ludovic. Déjà parce que cela fait du bien de parler, ça aide. Si je n'avais rien dit, ni moi ni ma femme ne serions encore agriculteurs à cette heure".
(Avec Antoine Calvez)