Témoignages. "Les gens n'entendent plus rien, sauf la télé et leur portable !" Et si le silence devenait une urgence salutaire ?

Publié le Écrit par Antoinette Grall

Après le confinement, beaucoup de personnes n'ont pas souhaité revenir à la frénésie de leur "vie d'avant" et se sont mises en quête de calme. L'occasion pour certains d'une réflexion sur les impacts de la pollution sonore sur la santé et l'environnement. Une neuropsychologue, un guide ornithologique, une photographe éducatrice nature nous livrent leurs expertises et leurs témoignages.

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"Nous n'avons plus l'habitude du silence, il nous inquiète, nous le fuyons. Il nous semble falloir toujours remplir. Le bruit est le signe de notre incapacité à se déconnecter. Au lieu de nous y confronter, nous allumons la télé, la radio... ce fond sonore présentiel nous rassure" explique Murielle Guillery, docteur en psychologie au centre hospitalier Guillaume Régnier de Rennes.

Pourtant les enquêtes d'opinion démontrent que les Français attribuent une valeur importante et croissante au droit à la tranquillité sonore dans leur cadre de vie. 

Un bruit perpétuel

9 Français sur 10 considèrent aujourd’hui être exposés au bruit de façon excessive. Selon l'OMS, la pollution sonore est la deuxième cause de morbidité derrière la pollution atmosphérique.  

Comme nous n'avons pas de paupières aux oreilles, le silence absolu n'existe pas. "En plus des bruits perçus par nos oreilles, il y a aussi ceux perçus par nos os, par conduction osseuse" ajoute Murielle Guillery, neuropsychologue.

Notre cerveau est un grand filtreur. Il détecte les bruits qui l'intéressent. Lors d'une conversion plurielle, il est capable de choisir une unique discussion et de nous contraindre à ne percevoir que les bruits qu'il juge pertinents.

Murielle Guillery

" Les scientifiques nomment ce phénomène  "l'effet cocktail". Cette performance cérébrale recèle encore bien des mystères. Selon les chercheurs, cette filtration favoriserait une sensation d'angoisse lorsque nous éprouvons le silence sans en avoir l'habitude" poursuit le docteur, membre du conseil scientifique de l’exposition "Incroyable cerveau" aux Champs Libres de Rennes.

La pollution sonore environnementale concerne tous les êtres vivants et pose un problème à trois équations : changement climatique, pollution et perte de biodiversité. 

"Comme il y a de plus en plus de bruit, les oiseaux sont contraints de chanter de plus en plus fort. Conséquences, ils stressent, s'épuisent et se reproduisent moins. Leur chant plus aigu s'est enlaidi. Difficile pour eux de se rendre désirables sans cet outil de séduction. Certaines espèces ne s'entendant plus ont abandonné le chant. Privés de leur moyen de communication, ils se mettent en danger, ne se préviennent plus d'éventuels prédateurs en approche" expose David Ledan, guide ornithologique dans le Golfe du Morbihan. 

"Il en va de même dans les océans. Sous l'eau le son s'amplifie. La pollution sonore croissante des hommes brouille la communication des espèces qui échangent par ultrasons. Cette problématique expliquerait selon des scientifiques la perdition et l'échouage de certains animaux"  souligne Laeticia Félicité, éducatrice à la nature. Elle remarque lors de ses sorties le déclin des populations d'amphibiens. Pour bon nombre d'entre eux, les vocalisations servent aussi à leur reproduction.
Selon la géographie, il existe une importante disparité des nuisances sonores. Globalement le monde devient de plus en plus bruyant. De nouvelles zones impropres à la vie se créent et nous n'en n'avons pas toujours conscience. Le bruit serait-il une échappatoire à notre peur de solitude ?

La peur du silence


"L'inconfort du silence réveille en nous des peurs archaïques. L'idée de se sentir exclus nous angoisse. Il est donc important de se préparer au silence. Lors des retraites, en groupe sans se parler, juste en étant présent, les personnes apprennent à l'apprivoiser et le partager. Par la suite, elles le tolèrent mieux mais supportent moins le bruit" exprime Murielle Guillery.

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"Je suis parti seul bivouaquer en forêt polonaise à la frontière biélorusse pour recueillir des chants d'oiseaux. Une demande fortuite. Un voyage peu préparé. Pratiquant régulièrement le silence avec mon métier de guide ornithologique et aimant être seul, je n'avais pas imaginé en avoir peur. Sur trois jours, pas un seul bruit de présence humaine. En criant très fort personne n'aurait pu me porter secours" témoigne David Ledan. 

Tous les bruits de la nature devenaient hostiles. Finalement, entendre une voiture ça fait du bien.

David Ledan

"La nuit, dans le camping, j'entendais des loups manger autour des poubelles. Je me sentais en insécurité, terrifié, perdu" poursuit-il.
Immatériel, le bruit constitue une pollution invisible. Son ressenti est très subjectif. L'écologie sonore pointe du doigt les méfaits du bruit et nous invite à repenser notre écoute, pour protéger notre environnement mais aussi nos oreilles et ainsi conscientiser notre environnement phonique.

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Une non-conscience du silence

"Nos pensées sont comme un phénomène de cascade qui nous entraîne très très loin. Notre esprit vagabonde d'idées en idées sans lien avec la tâche en cours, c'est ce que l'on appelle le "mind-wandering" ou "l'effet singe" en neurosciences. Ce phénomène survient surtout dans les périodes de forte pression ou lorsque l'on poursuit un objectif avec un grand perfectionnisme. L'expérience du silence ramène à l'instant présent. Le réexpérimenter c'est dire, je me pose, comment je fonctionne ? Il nous aide à décider, il remet une bonne dose de contrôle" souligne la neuropsychologue.

Nous avons peu conscience d'être sous l'emprise d'une activité mentale précipitée ou sous l'influence du fonctionnement des autres ou dans un environnement trop bruyant.

Murielle Guillery

Avant notre conversation, Laeticia Félicité n'avait pas conscientisé la place prépondérante qu'occupait le silence dans sa vie. Depuis des années, elle photographie des paysages de brume. Des clichés en noir et blanc où le temps semble s'être un instant arrêté. Sur un îlot, quelques arbres renvoient leur reflet sur une eau tranquille. Ils baignent dans une brume matinale. Les formes sont un peu floues. L'image nous invite à ralentir, observer, imaginer. Le blanc s'impose contrasté par le noir tout comme le silence s'entend opposé au bruit. Le froid et la solitude subliment le silence. La photographe part toujours seule avant le lever du soleil.

"Tout est à l'arrêt, les hommes ne font pas encore de bruit. La faune absente n'a aucun intérêt à sortir. J'aime ces moments entre parenthèses, plane une atmosphère à mi-chemin entre le rêve et la réalité, les lumières sont vaporeuses, l'ambiance feutrée, apaisée. J'ai l'impression d'assister à la naissance du monde,  je suis émue, l'expérience est sensorielle et corporelle" révèle  Laeticia Félicité,  photographe autodidacte à ses heures perdues depuis 20 ans.

J'ai besoin de ses moments pour me retrouver, sentir ma place, me relier au vivant.

Laeticia Félicité


"Indéniablement le silence est lié à ma démarche de travail. Le silence n’est pas une privation, mais une révélation" poursuit-elle.

C'est un vide qui permet de retrouver du plein. Du plein en soi, du plein dans les sensations, du plein dans la présence aux choses.

Laeticia Félicité

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La force du vide. Il serait possible de reconnaître un morceau de musique en changeant toutes les notes mais en gardant les intervalles. Il serait pratiquement impossible de le lire un texte sans les blancs entre les mots. Laisser de l'espace de verbalisation à l'autre, autrement dit savoir se taire c'est savoir écouter. Le silence est un outil au service d'une bonne communication. Plus on a d'outils pour communiquer, moins on communique et plus la communication perd en richesse. Souvent nous n'écoutons pas pour se comprendre mais pour répondre. Nous n'aimons pas les" blancs "ces silences soudain dans une conversation, ils gênent un bon nombre d'entre nous. Des solutions existent pour les apprivoiser.

Une éducation au silence par la nature

L'ouïe, un sens primaire. Il est le sens des sens. L'écoute est liée à la capacité de l'homme à parler et alerte d'un danger en préparant le corps à l‘action. 

"Si vous êtes habitués à faire marcher vos oreilles, vous captez absolument tout. Encore plus si vous vous sentez en insécurité, là le moindre craquement devient inquiétant et vous le captez à 100%. Même un peu sourd, vous l'entendez, vos facultés auditives se retrouvent décuplées" rapporte David Ledan. 

"Mais les gens manquent de pratique, même en s'appliquant ils sont sourds, n'entendent plus rien, sauf la télé et leur portable. Impossible pour eux de reconnaître le chant d'un oiseau à 15 mètres. C'est comme s'il faisait partie d'un bruit ambiant, et pourtant mes sorties "découvrir les oiseaux par le son" se déroulent tôt le matin sur un petit circuit silencieux" poursuit l'ornithologue.

Ce qui est rare est cher, dit l'adage. Le silence. Un luxe. Laëtitia Félicité offre ce cadeau aux personnes qui l'accompagne en sorties natures. Elle remarque impressionnée que les jeunes parlent plus forts que les adultes, qu'ils ont pris l'habitude de forcer la voix pour être entendus tant leurs environnements ; école, collège, cantine, cour de récréation.... sont bruyants. Ils sont dans une spirale infernale d'escalade aux bruits et en deviennent addicts.


Selon l'OMS, en 2050 une personne sur quatre souffrira de problèmes auditifs à cause d' une exposition à des niveaux sonores trop élevés. L'ouïe est précieuse.

"Je leur propose en sortie nature un moment privilégié d'écoute et de silence. Étonnamment, ils font l'exercice facilement. Aucun groupe ne refuse la consigne. Et à l’issue des sorties beaucoup disent ressentir un sentiment de relâchement et de repos" déclare-t-elle enthousiaste.

Le silence apprend à écouter et à observer.

Laeticia Félicité

"Régulièrement, je m'arrête, écoute le chant d'un oiseau, contemple une plante. Uniquement dans ces moments, j'entends le bruit de mes pas au sol, ils sont presque dérangeants. Ce mode de fonctionnement proche de la méditation enrichit tout mon être" poursuit-elle. 

Les sciences contemplatives

Aujourd'hui, de nombreux scientifiques s'interrogent et travaillent sur l'impact des sciences contemplatives sur notre santé. Des écrits témoignent que déjà à l'époque gréco-romaine la contemplation se pratiquait.

"De ce contact avec la nature il ne s'agirait plus de voir l'homme et la nature, mais l'homme faisant partie de la nature, de trouver notre place dans une dimension plus globale" exprime la neuropsychologue. Les philosophes antiques se référaient au cosmos. "Contempler modifie notre état de conscience. Peu à peu, nous tombons dans un état de sommeil, d'hypnose, ou de méditation. Notre cerveau est naturellement attiré par des cibles mouvantes, des mouvements lents et constants comme un feu de cheminée ou les vagues de l'océan... Ils captent notre attention et nous apaise" développe Murielle Guillery.

La science a prouvé que le silence permet d'apaiser le flux des pensées, nous abandonnons nos ruminations. Affranchis de tous bruits parasites, nous lâchons prise, devenons plus flexibles et créatifs, sortons d'une forme de conditionnement. Sa pratique régulière offre une meilleure régulation émotionnelle, enrichit notre personnalité, notre sensibilité.  

C'est un supplément d'âme en habitant la beauté.

Laeticia Félicité

Admirer la nature, se poser et baigner dans un bain sonore apaisé nous rendrait plus heureux.

"Je me réjouis bien plus que de l'instant présent. Grâce à cette qualité d'écoute, de présence et de connections à la nature, mon monde s'est agrandi. J'ai découvert un monde qui vivait à côté de moi sans que je le voie. Je me sens reliée à quelque chose de plus vaste que moi, un espace qui me dépasse, qui était là avant moi et qui y sera encore après mon court passage sur terre" confie Laeticia Félicité.

Quête absolue du bonheur


Lors du confinement, un silence incroyable nous a fait réexpérimenter quelque chose de nouveau. S'en est suivi un boom d'inscriptions et de reconversions professionnelles vers des disciplines dites "psycho-corporelles", des pratiques esprits-corps comme le yoga, le taï-chi... "La pause Covid aurait permis pour bon nombre d'entre nous, une prise de conscience de l'absurdité de la surconsommation, que l'accumulation ne venait pas répondre à des besoins vitaux tout simples comme "qu'est-ce que je fais ici ? Comment donner du sens à ma vie?..." souligne Murielle Guillery.

"Le silence n'est pas un vide de l'ordre du manque mais un vide qui est plein de possible" conclut-elle.

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