Lundi 17 juin, la cour a commencé à interroger les accusés sur les faits. Ex-époux de Cathy Chatelain, l'ancienne surveillante de prison renvoyée pour "assassinat en bande organisée", Dominique Sénéchal a été appelé à la barre. S’il a reconnu certains faits, comme la destruction du téléphone occulte de celle qui était alors sa femme, il a en revanche contesté être à l'époque au courant du projet criminel auquel elle a ensuite avoué avoir participé.
"Je reconnais, j’ai reconnu et je reconnaîtrai toujours."
À la barre des assises des Bouches-du-Rhône, Dominique Sénéchal maintient ses déclarations du 6 mai dernier, dès la première journée du procès du double assassinat de Bastia-Poretta. Invité ce jour-là à prendre la parole - comme tous les accusés -, il avait lui aussi reconnu sa participation à certains faits, adoptant ainsi la même position que son ex-épouse, Cathy Chatelain, accusée "d’assassinat en bande organisée".
Ce lundi 17 juin, l’ancienne surveillante de la prison de Borgo a refusé de comparaître, comme elle le fait depuis plus de trois semaines, à l’instar des autres coaccusés détenus (à l'exception de Jacques Mariani).
Dans la matinée, le président Martorano - dont la demande de récusation a été rejetée - et l'une des juges assesseures ont lu pendant plus de trois heures les neuf dépositions de l’ex-matonne face aux enquêteurs. Des interrogatoires au cours desquels elle avait reconnu être présente le jour des faits à l'aéroport afin de désigner les deux victimes au tireur. Leur lecture, mot à mot, a quelque peu "assommé" la cour et la petite trentaine de personnes ayant pris place sur les bancs réservés au public.
Renvoyé pour "association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime", Dominique Sénéchal s’est quant à lui présenté à la barre dans l’après-midi. L’homme de 47 ans, qui a eu quatre enfants avec Cathy Chatelain, est notamment poursuivi pour avoir détruit le téléphone occulte PGP de celle qui était encore son épouse fin 2017.
"Je l’ai cassé en mille morceaux, à coup de marteau, puis je l’ai brûlé", confirme-t-il face à la cour, les mains dans le dos et la tête penchée vers le micro. "C’était la fin d’après-midi du 5 décembre", date-t-il. Soit quelques heures après le double assassinat de Tony Quilichini et Jean-Luc Codaccioni à l’aéroport de Poretta.
Ce smartphone BlackBerry, avec lequel Cathy Chatelain communiquait par messages avec certains protagonistes de l'affaire, l’accusé l’avait "trouvé mi-novembre en charge sur le plan de travail de la cuisine, près de l’évier". Dominique Sénéchal dit ne l’avoir "jamais ouvert" et ne pas "avoir voulu poser de questions" anticipant le fait que "les réponses ne [lui] plairaient pas".
"Ma première pensée, explique-t-il, c’est que c’était une relation extraconjugale. J’ai gardé ça pour moi, ça a été dur car je suis assez jaloux. Avant ma garde à vue, je ne savais pas ce qu’était un téléphone PGP."
La juge assesseure lui fait remarquer qu’il était crypté. "Ce sont les policiers qui me l’ont appris en garde à vue, répond d'une voix basse l’homme au crâne dégarni, vêtu d'une chemise noire. Avant ce qui s’est passé, je n’étais au courant de rien. Que ma femme donnait des renseignements à des gens sur des détenus, elle me l'a dit plusieurs jours après la découverte du téléphone. Je ne sais pas qui étaient ces gens. Elle non plus puisqu’ils étaient cagoulés lors des rendez-vous qu’elle avait avec eux. Elle ne m'avait parlé que d'un rendez-vous. La raison, elle ne me l’a pas donnée." Il ajoute que "Cathy était assez fermée" quand ce sujet-là avait été abordé.
Dispute matinale
La cour poursuit ses questions, cherchant à savoir si celui qui est désormais fonctionnaire territorial était au courant du projet criminel dans lequel Cathy Chatelain a reconnu sa participation. Le juge assesseur revient à la charge, relevant des contradictions dans certaines déclarations de Dominique Sénéchal face aux enquêteurs puis devant le juge d’instruction. "Je n’ai jamais relu les procès-verbaux de mes gardes à vue", oppose celui qui comparaît libre, après avoir fait vingt-deux mois de prison - "dont vingt et un à l’isolement" - dans le cadre de cette procédure.
Son interrogatoire transporte la cour le 5 décembre 2017. Ce jour-là, dans la matinée, celui qui a divorcé de Cathy Chatelain en juin 2018 confie l'avoir déposée à l’aéroport à la suite d’une dispute. "Elle m’a poussé à bout", se remémore-t-il, confirmant ne "pas être à l’origine de cette dispute". "Quand on se disputait, je lui disais souvent qu’un jour j’allais la déposer à l’aéroport pour qu’elle aille à Paris..."
Le président Martorano suggère que la querelle ait pu être, ce matin-là, "provoquée volontairement" par Cathy Chatelain qui portait encore le nom de Sénéchal au moment des faits.
"Du fait de ses déclarations en garde à vue, maintenant, on sait que c’est le cas", répond son ex-mari, le regard un peu perdu.
"Elle a piqué au bon endroit ?", relance le président ? "Elle a piqué très fort", rétorque Dominique Sénéchal qui reviendra chercher sa femme "en pleurs" à l'aéroport juste après la fusillade. "Elle reprend contact avec moi vers 11h30 pour me dire qu’il y a des gens qui tirent et qu’il faut venir la chercher. À ce moment-là, la dispute on l’oublie car elle pleure et il y a des gens qui tirent. Je ne réfléchis pas et je vais la chercher."
Il décrit alors son épouse comme étant restée "prostrée" pendant toute la journée. "Quand elle m'a dit de détruire le téléphone, vu son état, c’est moi qui ai pris l’initiative de le faire", confie-t-il, expliquant avoir "agi par amour", sans penser à ce moment-là qu'il s'agissait d'un acte répréhensible. "J'ai fait ça pour protéger mes enfants qui étaient tous mineurs à l’époque. Ce sont eux le plus important pour moi", ajoute-t-il.
"Protéger, cela aurait pu être de saisir les services de police ?", questionne un juge assesseur.
"Je ne l’ai pas fait. À ce moment-là, je n’avais peut-être pas confiance dans le fait de saisir la pénitentiaire…"
Un ancien détenu se présente à votre domicile, quatre jours après le double assassinat, et vous ne réagissez pas ?
Yvon Calvet, avocat général
Pendant près de deux heures, face aux jurés, Dominique Sénéchal conteste avoir été "au courant du projet criminel". Interrogé sur une tenue de surveillant pénitentiaire qu’il dit avoir mis dans un sac à la demande de son ex-épouse (elle la déposera ensuite dans une voiture), il indique "ne pas savoir à quel usage cet uniforme était destiné".
"Avez-vous alors le sentiment que ce n’est pas normal de transmettre un habit comme ça ?", l'interroge le président.
"Oui, mais sur le coup on ne se pose pas la question."
Concernant la venue d’Ange-Marie Michelosi – accusé de complicité d’assassinat et qui refuse également de comparaître - le 9 décembre 2017 à son domicile pour voir Cathy Chatelain, il déclare :
"Je l’ai reconnu par rapport à des photos mais je ne le connaissais pas personnellement. C’est moi qui ai ouvert, c’était un samedi matin, tout le monde dormait. Il m’a juste dit être un ami de Cathy et je les ai laissés."
La réponse fait quelque peu bondir l'avocat général, Yvon Calvet, qui hausse alors le ton. "Un ancien détenu se présente à votre domicile, quatre jours après le double assassinat, et vous ne réagissez pas ?"
"Ce n’est pas ma vie", lâche l’accusé, martelant que "ce n’est pas [son] milieu", et concédant que celle qui était encore son épouse à l’époque lui avait dit qu’il était venu ce jour-là pour faire rentrer des téléphones en détention.
"Je ne suis pas un voyou. Je suis loin de tout ça, je n’ai pas voulu poser de questions", clame Dominque Sénéchal face à la cour à laquelle il explique que tout lui est apparu après le double assassinat.
"Toutes ces explications que j’ai pu avoir, j’ai pu les remettre dans l’ordre après la garde à vue. J’avais toutes les pièces du puzzle avec moi mais je ne l'ai pas construit sur le moment. C’est après la garde à vue que j’ai remis le puzzle en place." Il avait été interpellé puis entendu par les enquêteurs début juin 2018, en même temps que Cathy Chatelain.
L’une de ses deux avocates, Me Emeline Giordano, prend la parole. Elle veut savoir ce que so client, Dominique Sénéchal, "pense de tout ça".
"Je ne comprends pas et je pense que je ne comprendrai pas tant qu’on n’aura pas eu les explications de tous les protagonistes, lâche-t-il, les yeux humides, visiblement éprouvé par son passage à la barre. C’est un énorme gâchis pour tout le monde."
Le procès reprend ce mardi matin avec la poursuite des interrogatoires des accusés.